Les enjeux géopolitiques de la crise sanitaire en Haïti : le dessous des cartes…

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© Lucie Guimier, mars 2011. Ce graffiti de l’artiste Jerry représente le choléra. Il se situe à Pétionville, commune de la banlieue de Port-au-Prince où est concentrée la majeure partie des expatriés.

Acteur de premier plan de l’action humanitaire en Haïti, les Nations unies ont maladroitement tenté d’échapper à la polémique sur l’importation du choléra impliquant les Casques bleus népalais de sa force d’intervention sur l’île, la MINUSTAH (1). Critique d’une campagne de mystification.

Une implication évidente

C’est à la mi-octobre 2010, neuf mois après le séisme destructeur qui frappait Port-au-Prince et sa région (2), que les premiers cas de choléra ont été diagnostiqués en Haïti, dans le département du Centre, le long du fleuve Artibonite (3) ; l’infection s’est alors rapidement propagée, tuant plus de 900 personnes en l’espace d’un mois (4).

Le docteur Alex Larsen, ministre de la Santé Publique et de la Population déclarait l’état d’urgence sanitaire le 22 octobre et, en moins d’un mois, l’épidémie gagnait les dix départements du pays. A ce jour, 424 450 personnes ont été touchées, et 6 156 décédées.

Aujourd’hui et au grand dam de l’ONU, le lien suspecté entre l’épidémie de choléra et le bataillon népalais de la MINUSTAH installé à Meille, un hameau situé près de la ville de Mirebalais dans le département du Centre, a été confirmé non seulement par l’équipe Franco-Haïtienne dirigée par Renaud Piarroux, qui a publié en juillet 2011 (5) les résultats de l’enquête épidémiologique, menée peu après le début de l’épidémie, mais aussi par le panel d’experts mandaté par Ban Ki-moon en personne dont le rapport (6) souligne que l’épidémie de choléra en Haïti est due à la contamination du ruisseau de Meille, un affluent de l’Artibonite, avec une souche pathogène provenant d’Asie du Sud. « The evidence overwhelmingly supports the conclusion that the source of the Haiti cholera outbreak was due to contamination of the Meye Tributary of the Artibonite River with a pathogenic strain of current South Asian type Vibrio cholera ». Ce rapport précise de plus que les conditions sanitaires du camp n’étaient « pas suffisantes » pour éviter une contamination fécale de l’affluent de l’Artibonite situé à ses abords. Le doute n’est plus permis.

Cependant, pendant des mois, l’implication dans l’importation d’une épidémie meurtrière s’est avérée problématique pour l’ONU qui a tenté de contrecarrer les différentes accusations tant au sein de la population haïtienne qu’aux yeux des observateurs internationaux. L’étude des cartes élaborées par l’agence de cartographie du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (UNOCHA) met en lumière comment les cartes ont été utilisées pour éloigner la suspicion des Casques bleus népalais installés dans le Centre.

Carte n°1- Communes affectées par le choléra dans le Centre et l’Artibonite en date du 26 octobre 2010

Communes affectées par le choléra dans le Centre et l’Artibonite en date du 26 octobre 2010

Sur cette carte (7) représentant les départements du Centre et de l’Artibonite datant du 26 octobre, les cartographes de l’UNOCHA indiquent en vert les communes concernées par la flambée épidémique due au choléra dans l’Artibonite et en rose les communes du Centre, elles aussi touchées par l’épidémie : bien qu’ambiguë et floue, cette représentation n’est pas totalement contradictoire avec la manière dont la maladie a progressé dans ses premiers jours, le long du fleuve Artibonite.

Or, au lendemain de la publication de cette carte, le 27 octobre, des journalistes (8) visitaient le site de la MINUSTAH à quelques centaines de mètres de la commune de Mirebalais, où les premiers cas s’étaient déclarés à partir du 14 octobre 2010. Lors de leur enquête, ils constataient non seulement qu’un liquide noirâtre s’écoulait dans le cours d’eau aux abords du camp, mais aussi la présence de policiers militaires de l’ONU qui récoltaient des échantillons et les transposaient dans des bocaux (9). Jonathan Katz, journaliste pour Associated Press, publiait le lendemain un reportage accusateur pour l’ONU tandis que, de leur côté, des journalistes d’Al Jazeera diffusaient un reportage incriminant la base de Casques bleus népalais. Les dénonciations à l’encontre de la base onusienne de Mirebalais ont alors été rapidement diffusées par l’ensemble des médias internationaux, provoquant un ressentiment au sein de la population.

Suite à ce tapage médiatique, il apparaît qu’un nouvel angle de vue a été adopté par les cartographes de l’UNOCHA qui ont alors diffusé de nouvelles cartes représentant le département de l’Artibonite comme foyer initial de l’épidémie, et indiquant que le département du Centre n’avait été contaminé qu’à partir du 30 octobre (10).

Carte n°2- Cas cumulatifs de choléra depuis le 20 octobre 2010 en date du 04 décembre 2010

Carte n°2- Cas cumulatifs de choléra depuis le 20 octobre 2010 en date du 04 décembre 2010

A travers un processus progressif, ces cartes ont permis d’éloigner le foyer d’éruption du choléra de la base népalaise de l’ONU. Erreur, intention délibérée ou négligence ? Les méprises contenues dans ces illustrations ont été signalées à l’ONU qui diffuse chaque mois des cartes similaires présentant la progression du choléra sur le territoire haïtien. A ce jour, aucune de ces cartes n’a subi de rectification.

Des représentations erronées qui contribuent à une mystification du choléra

Depuis la contagion, les Haïtiens ont vu naître une multiplicité de croyances liées au choléra et à son mode de transmission : fruit de pratiques vaudou, maladie provoquée pour éradiquer les classes les plus pauvres, épidémie causée par l’Etat…

Des perceptions erronées renforcées par la résistance de l’ONU à informer sur l’origine de l’épidémie. Le fait que, depuis octobre, journalistes et scientifiques pointent du doigt la MINUSTAH, alors que l’ONU a d’emblée nié toute implication et retardé la publication du rapport du panel d’experts qu’elle avait mandaté, constitue un élément de tromperie pour la population qui n’a jamais pu être informée de l’origine de l’épidémie, ni par les instances de l’ONU, ni par son propre gouvernement. Bien que l’ensemble de la population accuse la MINUSTAH, c’est une sorte de schizophrénie ambiante qui anime les individus dont beaucoup ont des doutes mais n’ont jamais obtenu de confirmation de la part de l’ONU.

Cette mystification a finalement porté ses fruits, puisqu’une grande partie de l’opinion publique en Haïti est convaincue que l’épidémie a démarré depuis le département de l’Artibonite, donc loin du camp népalais de la MINUSTAH.

Le rôle des représentations est ici fondamental, et l’influence que ces cartes ont pu avoir sur leurs lecteurs traduit la complexité des enjeux pour les partenaires étrangers de l’aide internationale en Haïti : comment les acteurs de l’humanitaire sont-ils perçus par la population ? Le choix de l’ONU de nier son implication dans l’importation du choléra a par ailleurs, indirectement, entravé l’action humanitaire des ONG.

Après avoir étudié la gestion du choléra et ses enjeux géopolitiques, il apparaît notamment que les Haïtiens se sentent dépossédés de leurs ressources et de leur dignité par les intervenants étrangers de l’aide internationale, militaires ou humanitaires. Ce sentiment de dépossession de leur territoire a conduit les Haïtiens à appréhender négativement les acteurs de l’aide étrangère. En parallèle, les acteurs étrangers tels l’ONU ou les différentes ONG ont une position de représentation privilégiée en Haïti, du fait de l’absence d’un État organisé qui laisse le choix à qui le veut de se substituer à son autorité.

Ces conditions ont abouti à la situation actuelle du pays : la dilution des responsabilités de chacun dans un blocage bilatéral, à la fois du gouvernement haïtien et de ces organisations aux fins et moyens divers. La fragmentation de ces responsabilités a inévitablement généré une situation mal comprise par la population, et a donc engendré des tensions entre population et partenaires étrangers.

 (1) La Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti. Des forces d’interposition de l’ONU existent en Haïti depuis 1993 à travers des typologies différentes. Le mandat de la MINUSTAH a lui commencé le 1er juin 2004 pour une durée initiale de 6 mois, est aujourd’hui encore en cours.
(2) Le séisme du 12 janvier 2010, de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter, affiche un bilan très lourd : 316 000 décès, 350 000 blessés et 1,5 million de sans-abri.
(3) 3 L’Artibonite est le cours d’eau le plus important des Caraïbes, il prend sa source en République dominicaine et couvre 10 000 km² : 2 600 en République dominicaine et 7 400 en Haïti et parcourt 320 km avant de se jeter dans le golfe de la Gonâve. L’Artibonite est aussi le nom d’une région haïtienne.
(4) BARON.A, « Haïti : le choléra fait aussi des victimes en prison », in RFI.fr, 16.11.2010
(5) PIARROUX.R, BARRAIS.R, FAUCHER.B, HAUS.R, PIARROUX.M, GAUDART.J, MAGLOIRE.R, RAOULT.D, “Understanding the cholera epidemic, Haiti” Volume 17 – Numéro 7, in Emerging infectious diseases, disponible sur ce lien : http://www.cdc.gov/eid/content/17/7/1161.htm
(6) CRAVIOTO.A, LANATA.C, LANTAGNE.D, BALAKRISH NAIR.G, « Rapport final du panel d’experts indépendants sur le choléra en Haïti », Mai 2011, Publié par l’ONU. Disponible sur ce lien: http://www.un.org/News/dh/infocus/haiti/UN-cholera-report-final.pdf
(7) Disponible sur ce lien : http://haiti.humanitarianresponse.info/LinkClick.aspx? fileticket=kJQ93utkko8%3D&tabid=123&mid=733
(8) Un journaliste américain d’Associated Press, Jonathan M. Katz accompagné de journalistes de la chaîne Al Jazeera dont les noms ne sont pas communiqués
(9) KATZ.J.M, “UN worries its troops caused cholera in Haiti”, in Newsvine, 19.11.2010
(10) Accessible sur : http://reliefweb.int/node/18814

Lucie Guimier

Lucie Guimier

Lucie Guimier est diplômée d’un Master II à l’Institut Français de Géopolitique. Elle vient de rédiger un mémoire de Master II intitulé « L’épidémie de choléra en Haïti : lecture géopolitique d’un enjeu de santé publique ».