Libye : La protection des civils – un défi pour l’opposition

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L’entrée dans Tripoli des combattants de l’opposition marque clairement un tournant pour l’opposition libyenne, après six mois de lutte contre les forces du Colonel Mouammar Kadhafi.
Mais alors que l’équilibre des pouvoirs en Libye semble avoir changé de façon décisive, certains observateurs expriment de grandes inquiétudes quant à la protection des civils, alors que les successeurs de M. Kadhafi s’apprêtent à prendre le pouvoir. « Nous craignons que ceux qui ont souffert sous M. Kadhafi ne cherchent désormais à se venger, entraînant la Libye dans un tourbillon fatal qui ne peut que l’éloigner des objectifs déclarés de la révolution, à savoir la justice, les droits humains, l’Etat de droit et la protection des libertés, » a dit le conseiller de Human Rights Watch (HRW), Jerry Abrahams.

« Le Conseil national de transition [le CNT, c’est-à-dire le gouvernement rebelle émergeant] devrait pour le moment s’efforcer tout particulièrement de protéger les groupes vulnérables, » a dit M. Abrahams à IRIN. Tout en haut de la liste se trouvent les Libyens basanés et les citoyens d’Afrique sub-saharienne qui ont souvent été accusés de servir M. Kadhafi en tant que mercenaires étrangers et ont été les victimes de violentes attaques. Nous espérons que le CNT va prendre des mesures pour appeler les gens à ne pas s’en prendre à eux et qu’il montrera que la Libye est en train de rompre avec le passé. » Les rebelles sont entrés à Tripoli et se sont emparés de la résidence présidentielle le 23 août ; pendant ce temps, les affrontements se poursuivent dans divers villes et villages entre combattants de l’opposition et partisans de M. Kadhafi. A Tripoli, les combats ont poussé l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à affréter un bateau pour transporter 300 migrants hors de la ville, mais les conditions sécuritaires au port ont retardé l’accostage.

« Nous exhortons de toute urgence toutes les parties à permettre à l’OIM de poursuivre son travail humanitaire en toute sécurité et d’évacuer ces milliers de migrants qui veulent quitter Tripoli, » a dit William Lacy Swing, directeur-général de l’OIM. « Nous avons vu lors de nos opérations à Misrata, point culminant du conflit dans cette région, que les migrants étaient souvent les victimes innocentes de la violence. Il ne faut pas que cela se reproduise. » Il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre de migrants présents à Tripoli, mais plusieurs milliers se sont enregistrés à l’OIM dans les derniers jours pour demander assistance. Les combats ininterrompus dans les zones résidentielles de Tripoli, sur fond de coups de feu de célébration, ont aussi provoqué des inquiétudes pour les civils qui y vivent.

« Je suis inquiète d’entendre parler de déplacements forcés et de privation de mouvement dans les zones d’affrontements, » a indiqué Valérie Amos, coordinatrice des secours d’urgence de l’ONU. « Nous devons pouvoir amener et renouveler les secours, et fournir de l’aide aux personnes qui en ont besoin à Tripoli et dans les régions où les gens ont fui. »

Les difficultés de la réponse humanitaire

Il y a six mois, au début de la crise, la détresse des déplacés était un souci majeur pour les acteurs humanitaires. L’OIM et l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) avaient toutes deux établi une présence en Libye pour s’occuper des réfugiés et des populations de travailleurs migrants. Quand les affrontements ont éclaté en février, c’était les déplacements massifs et l’exode de ces communautés qui occupaient la première place dans les appels internationaux initiaux, axés sur les besoins de transports et de camps de transit, au moment où des milliers de personnes fuyaient vers l’ouest en Tunisie et vers l’est en Egypte ; d’autres se dirigeaient vers le sud, vers le Niger et le Tchad ; des Bangladais, des Philippins et d’autres retournaient en Asie. Même si, durant la crise, les pires affrontements se sont limités à certaines régions de Libye, les organisations humanitaires ont admis avoir eu beaucoup de difficultés à organiser la réponse face à des lignes de front et des gains territoriaux mouvants, les obligeant à accueillir de nouvelles vagues de déplacés. Les problèmes d’accès et la nature irrégulière des combats expliquent la difficulté [qu’on rencontrée les organisations]à soulever la question de la protection et à obtenir des deux côtés qu’ils s’engagent à respecter le droit humanitaire international, surtout dans les moments où le conflit s’intensifiait, marqué par des attaques souvent aveugles qui ont provoqué de lourdes pertes chez les civils.

Mais il y avait également d’autres complications : la partition de fait du pays entre territoire rebelle et territoire appartenant à Kadhafi signifiait que les opérations au niveau national étaient extrêmement compliquées, même pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui avait établi une délégation à Tripoli en avril. Il fallait aussi s’efforcer d’établir une séparation nette entre les objectifs humanitaires et les objectifs militaires. Certains des opérateurs humanitaires les plus connus en Libye ont leur siège dans des pays clairement associés avec l’offensive de l’OTAN et soutenant publiquement le CNT.

Des délégués humanitaires d’une récente mission à Tripoli ont fait état d’une série de plaintes de responsables sanitaires et de ministres accusant la communauté internationale de négliger les besoins humanitaires en dehors des territoires contrôlés par les rebelles ; les plaintes concernaient aussi les conséquences humanitaires des raids aériens et des sanctions.

Au cours des six derniers mois, les organisations non gouvernementales (ONG), les agences onusiennes et d’autres observateurs de la situation libyenne ont à maintes reprises souligné qu’ils travaillaient dans une situation qui était, par beaucoup d’aspects, très éloignée d’une « urgence humanitaire traditionnelle ». En tant que producteur majeur de pétrole avec un produit intérieur brut pré-guerre de plus de 150 milliards de dollars, la Libye a rarement été considérée comme une candidate à l’aide humanitaire, mais bien davantage comme un donateur potentiel. Le Croissant-Rouge y était établi depuis longtemps, mais la plus grande partie du modeste réseau libyen d’organisations de secours et de protection sociale était liée à la propre famille de M. Kadhafi et à son entourage. La réhabilitation internationale du leader libyen, transformé dans les dernières années en leader modéré du Moyen-Orient, avait rapproché le pays de l’Union européenne et il était question de partenariats et de nouveaux accords commerciaux.

L’afflux des ONG après la crise

La crise de 2011 a provoqué un afflux considérable d’ONG internationales. La plupart n’avaient que peu ou pas du tout l’expérience de la Libye, mais étaient familières de nombreux problèmes rencontrés dans d’autres contextes. Les ONG ont eu des difficultés à accéder aux zones de front à cause du caractère incessant des combats et des problèmes sécuritaires. Les ONG avaient à faire à une population profondément traumatisée, qui n’était pas habituée à la guerre civile et elles ont dû gérer les pertes qu’entraîne une guerre de ce genre. Il fallait également compter avec l’impact mortel du matériel de guerre, en particulier les bombes et les obus non explosés.

Même dans les régions comme Benghazi qui s’étaient stabilisées après les violences de février et de mars, une bonne partie de la population a été confrontée à de sérieuses perturbations. Malgré le solide bilan de la Libye en matière de santé et d’éducation, la guerre a eu des effets destructeurs sur ces deux secteurs et les écoles et les hôpitaux dépendent largement de volontaires locaux, depuis l’exode massif des ressortissants des pays tiers. Les citoyens ordinaires ont aussi eu à faire face à des problèmes de traitement de l’eau et d’assainissement, à des pénuries de carburant et des coupures de courant. Les fermetures de banques ont inévitablement provoqué des problèmes de liquidités. A présent, les responsables des ONG rappellent que les donateurs ne doivent pas abandonner le pays. « Il reste de nombreux problèmes à régler, » a confié à IRIN Steven Anderson, porte-parole du CICR. Même si on doit passer bientôt « du stade de l’urgence à celui du relèvement », une priorité essentielle pour le CICR est actuellement de pouvoir accéder aux victimes de Tripoli, a ajouté M. Anderson.

Le CNT et ses propres responsables humanitaires disent qu’ils veulent désormais mener les opérations eux-mêmes et éviter la dépendance. « Nous pouvons gérer la situation à 100 pour cent, » a récemment dit à IRIN un activiste humanitaire libyen de longue date à Benghazi. « Nous avons les qualifications, nous avons la main d’œuvre et nous avons les compétences. Ce que nous n’avons pas, c’est le financement. »

Le rôle essentiel du CNT

Maintenant que le pouvoir exercé pendant 42 ans par M. Kadhafi est sur le point de s’effondrer, les observateurs ont fait remarquer que le CNT et ses affiliés vont devoir affronter un défi majeur pour administrer la Libye dans son intégralité. Une grande partie des spéculations sur l’identité et l’orientation de la Libye post-Kadhafi se sont intéressées surtout à la richesse en pétrole du pays, aux gains potentiels pour les nouveaux investisseurs, à l’intérêt d’un fort développement des infrastructures et à la diversification du secteur privé.

Mais le CNT, coalition formée à la hâte avec des éléments clés qui comprennent à la fois des anciens ministres de Kadhafi et des intellectuels basés aux Etats-Unis, a souligné que le pays avait besoin d’un soutien extérieur substantiel, dans des domaines comme la santé et l’éducation ; il a sous-entendu que les organisations étrangères qui sont venues pour gérer la situation d’urgence provoquée par un profond conflit national ont intérêt à aider la Libye à traverser la période difficile et compliquée de la reconstruction, de la réconciliation et du relèvement ; c’est aussi pour elles une obligation morale.

« Le défi pour le CNT comme pour les acteurs internationaux qui ont permis son entrée dans Tripoli, est triple : établir une instance gouvernementale provisoire qui soit largement inclusive et représentative, faire face aux risques sécuritaires immédiats, et trouver un équilibre acceptable entre la recherche des responsabilités et la justice d’une part, et d’autre part, la nécessité d’éviter les règlements de comptes et les vengeances arbitraires, » a indiqué l’International Crisis Group.

Selon M. Abrahams du HRW, l’émergence rapide d’organisations de la société civile déterminées est encourageante, mais il a rappelé avec insistance la nécessité de rester vigilant. «Il faut surveiller le CNT, l’encourager, le dorloter, » a dit M. Abrahams. « Nous ne voulons pas ici d’une justice des vainqueurs.»

cs/eo/cb-og/amz / IRIN

 

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