De Netanyahou le «modéré» à Feiglin le «radical», l’avenir du paysage politique israélien est-il à l’extrême de la droite?

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Alors que l’été dernier se posait la question en Israël de savoir si une gauche sociale pouvait voir le jour à l’issue des plus grosses manifestations sociales que le pays ait connu de son histoire, voilà que désormais l’on se demande si la droite peut répondre aux problèmes que traverse Israël en créant une droite encore plus à droite que précédemment… Il semble que cela soit possible.

Symbole d’un roulement des élites politiques après les mouvements sociaux de l’été, Shelly Yachimovich, une femme a été élue à la tête du parti travailliste : une première depuis Golda Meir. En 2011, Ehud Barak avait déjà créé Hatzmaout, « indépendance », un parti plus centriste, afin de rester au pouvoir malgré les critiques de ses anciens partenaires, reniant encore un peu plus son passé à la tête des travaillistes. Les ministres travaillistes démissionnèrent du gouvernement. Quant au Likoud, il maintient sa place prégnante dans le pays avec une coalition gouvernementale nationaliste et religieuse qui résiste coûte que coûte depuis maintenant deux ans[1]: à la crise sociale, à la contestation des Israéliens, à la contestation du président américain Barack Obama, au Printemps arabe et aux incertitudes régionales, et à la critique virulente de la Communauté internationale pour sa politique ininterrompue de colonisation dans les Territoires.

Fin janvier, son chef de file, l’inoxydable Benjamin Netanyahou se présentait devant les militants et adhérents pour se voir renouveler une confiance sans borne à la tête du parti. Pourtant s’il a gagné avec 75% des suffrages, l’outsider Moshe Feiglin, n’a de cesse de monter au sein même du Likoud, faisant entrer régulièrement ses supporters afin de voter pour lui, et constituant par sa personnalité et ses idées un danger pour le premier Ministre, pour le pays mais probablement surtout pour les Arabes qui vivent encore en Israël. En est-on là ? Est-il représentatif de l’évolution de la société israélienne ? Et si un jour il devenait un homme politique incontournable dans le pays ?

Un échiquier politique israélien complexe et déroutant

Les Israéliens sont très sensibles aux conséquences internes et externes des perturbations de leur environnement immédiat. On dit souvent qu’un gouvernement israélien n’a qu’une vue à court terme de sa politique nationale, ce qui le ferait agir de manière tout à fait pragmatique sans vision structurée.

Après une profonde crise des travaillistes dans les années 1970, en pleine phase de normalisation historique du pays[2], la victoire galvanisante d’Israël à l’issue de la guerre des Six jours, sacralise la terre et relance l’idée de la construction d’un grand Israël, qui plait beaucoup aux religieux comme aux nationalistes. Le Bloc de la Foi[3] crée en 1977, avec l’arrivée au pouvoir de Menahim Begin, premier Premier ministre de droite de l’histoire du pays, installe dans le paysage politique israélien la vision romantique et pourtant déterminée et agressive d’une expansion nécessaire du pays: la colonisation des territoires est en marche et devient l’un des outils de sa sécurité[4].

Après la signature des accords d’Oslo en 1993, les Israéliens commencent à s’enfermer malgré ce succès de la gauche et d’Ithzak Rabin. Son assassinat en 1995 à Tel Aviv par Ygal Amir, extrémiste juif, permet à la droite religieuse de se rappeler à son bon souvenir tout comme la victoire de Netanyahou aux législatives contre Perès. Pris dans l’illusion d’un accord de paix, le camp de la paix à gauche n’a pourtant pas voulu voir la relance de la colonisation des territoires, dont le rythme sous Ehud Barak, donc à « gauche », de 1999 à 2000 explosera. Puis les Israéliens se sont fermés totalement et ont rendu responsables les Palestiniens de leurs propres malheurs[5] jusqu’en 2010 alors que Ehud Barak, encore travailliste à l’époque, était premier Ministre.

En 2011 et devant l’impasse totale des négociations, les Israéliens se sont retournés pour la première fois contre leurs dirigeants en pleine crise sociale, où selon l’OCDE un tiers des Israéliens se trouvent en dessous du seuil de pauvreté. Les Palestiniens n’étaient plus la cause de leurs soucis. La vie politique israélienne est complexe, car les Israéliens ont pu constater l’impuissance de la gauche à résoudre le conflit et leurs problèmes quotidiens. Ils ont aussi constaté que la droite avait effectué des avancées en faveur de la paix indéniables : paix avec l’Egypte en 1978 et retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza en 2008, sans apporter davantage la clé à la résolution du conflit avec les Palestiniens.

Les Israéliens continuent leur stratégie politique d’enfermement et les adhérents du Likoud ont des réserves de candidats prêts à trouver une solution finale à la question palestinienne, quelle que soit la nature de cette dernière. Moshe Feiglin, qui a fait 25% des suffrages contre 75% pour Netanyahou est de ceux là même s’il ne reste qu’un député du Likoud. Il est la petite bête qui monte qui monte depuis dix ans, et pourrait révéler la volonté profonde des Israéliens : considérer que la seule solution à la guerre avec les Palestiniens est de poursuivre la ghettoïsation, rejeter l’Etat palestinien et renforcer toujours plus la sécurité. Quitte à soutenir l’idée de Feiglin qu’il défend depuis des années : parachever le transfert ethnique de tous les Arabes d’Israël. Il a fait ses calculs, serait prêt à proposer des indemnités précises et assure qu’il n’y a guère d’autre solution. Un peu quand comme en 2001, Ariel Sharon, lui même alors encore premier ministre, avait précise à plusieurs reprises la nature de son engagement politique, déclarant en avril 2001 au quotidien Haaretz : « la guerre d’indépendance d’Israël n’est pas terminée »[6]. Il y soutenait par là même la possibilité d’envisager un jour le transfert des Arabes hors d’Israël. De tous les Arabes. En réalité, selon le journaliste Serge Dumont, correspondant du Soir à Tel Aviv, « avant Feiglin, d’autres personnalités ultra plus influentes que lui comme le rabbin Meïr Kahana[7] ou le ministre Rehavam Zeevi[8] par exemple avaient déjà lancé le même projet qui n’a évidemment jamais été appliqué. C’est une vieille rengaine de la droite nationaliste. »[9]

Netanyahou, bloqué par sa coalition religieuse et nationale,
assiste impuissant à la montée de son principal challenger

Dix ans plus tard, c’est aussi une nouvelle aile dure, certes encore mineure, qui est en train de prendre racine au sein du Likoud, abandonné par Ariel Sharon un des derniers hommes politiques israéliens à avoir une vision pour son pays et désormais pris dans un coma irrémédiable. Les formations d’ultra-droite restaient fortes par elles-mêmes et poursuivent leur ascension en dehors même du Likoud : un exemple, dans les colonies de Cisjordanie, Feiglin est apprécié, mais le Likoud ne représente quasi-rien puisque les colons votent à 80% pour les formations d’ultra-droite qui composent la majorité gouvernementale avec le Likoud.

La radicalisation politique de ces dernières années permit à Netanyahou de revenir. Cette aile dure est certes encore plutôt incarnée à la marge par les partis de sa coalition actuelle que sont le Shass[10] et Israel Beitenou[11] par exemple, mais Feiglin fait penser au ver dans le fruit. Benjamin Netanyahou n’est prêt à aucun compromis sur l’Etat palestinien et sur les colonies. Il le sait d’expérience, puisque ces discussions et concessions, mêmes minimes, en 1998, lui avaient coûté son poste de premier ministre.

Dans un cahier consacré à ce dernier, Le Monde diplomatique explique : « S’il signe, le 15 janvier 1997, un accord sur le retrait israélien des quatre cinquièmes d’Hébron, il refuse obstinément, des mois durant, le nouveau redéploiement de 13,1 % supplémentaires de Cisjordanie qu’exigent les États-Unis. Il ne cèdera qu’à l’issue du sommet convoqué par le président William Clinton à Wye River, le 23 octobre 1998. Mais il ne tiendra pas plus cette promesse que les précédentes : deux mois plus tard, le parlement vote son auto-dissolution – sur sa proposition. Car Netanyahou n’a plus d’autre choix. Sa droite rejette le «  compromis  » arraché par l’administration américaine. »[12]

Deux ans après son retour sur le devant de la scène, son image est encore relativement épargnée dans le pays pour un temps, malgré les mouvements sociaux, car il sait résister au monde entier. Et cet atout est un gage de sérieux, sans pragmatisme mais obstination, dans la vie politique en général. Shimon Perès, en s’obstinant, le sait bien, lui qui fut battu par lui en 1996 et qui a finalement réussi comme lot de consolation à devenir président de l’Etat hébreu plus de dix ans après.

Les élections au Likoud ont lieu tous les cinq ans. Netanyahou a réussi à sauver son poste à la direction du Likoud le 31 janvier dernier malgré la montée de son principal opposant. Cela lui permet encore de passer pour un « modéré ».

Alors qu’il était attendu au tournant après la crise sociale de l’été, il n’est pourtant pas parvenu à répondre aux exigences du peuple. Et ce n’est pas Feiglin, adepte de la sécurité, de la colonisation, qui aurait pu mieux y répondre, alors que pour la première fois, les Israéliens contestaient le coût de la colonisation, celui des ultra-orthodoxes toujours plus radicaux, et remettaient au cause le poids du budget de la défense, qui avoisine les 30% du budget de l’Etat. Tout cela sans compter ce que coûterait une guerre contre l’Iran.

Pourtant, Netanyahou avait créé une commission spéciale rattachée au gouvernement, la Commission « Trajteberg » destinée à prendre des mesures d’urgence en matière sociale. Mais la déstabilisation de la frontière égyptienne, les attaques à Eilat fin août, et la libération de plus de 1000 prisonniers palestiniens après celle de Gilad Shalit en octobre dernier par le Hamas ont donné raison à la vieille garde sécuritaire de l’establishment qui ne veut rien lâcher du budget de la défense. En réalité, ce que certains appelaient des « mesurettes » ont ciblé trois domaines urgents mais de manière insuffisante : l’assainissement du marché immobilier, la jugulation de l’inflation sur les produits de première nécessité, et la déconcentration de l’activité économique.

Si « Bibi », comme l’appellent ses adeptes, a sauvé sa place, combien de temps le pourra-t-il ? Et surtout dans ce contexte d’enfermement, l’acharnement de Feiglin peut il lui donner raison et lui permettre d’accéder un jour à ce poste ? On y croit encore peu mais il est un indice de l’évolution de la société qui en a encore pour le moment peur. Il est important de revenir sur le parcours de cet homme, et de voir en quoi il représente l’évolution d’une partie croissante de la société israélienne radicale, dans ce contexte de statu quo politique – donc de recul – et d’impasse avec les Palestiniens.

Moshe feiglin et l’extrême droite raciste et nationaliste,
l’homo politicus israélien nouveau ?

Il faisait 15% en 2007 aux élections du Likoud, il fait désormais 25% en 2012, et on lui promet un avenir très favorable. Moshe feiglin, 49 ans, vit dans une colonie de Cisjordanie et rejette l’existence des Palestiniens, à la manière de Newt Gingrich, potentiel candidat républicain à l’investiture suprême aux Etats-Unis en novembre prochain. Cela est déjà inquiétant.

Fondateur du mouvement Manligut Yehudit (« Leadership juif »), rattaché au Likoud – jusque quand ?-, il s’est fait remarquer par des prises de position relativement peu mainstream jusque maintenant : en 2004, il saluait la mémoire de Baruch Goldstein, cet extrémiste juif qui avait massacré 23 palestiniens dans le caveau des Patriarches à Hébron, en territoire palestinien pour les uns, en Judée Samarie pour lui[13]. Déjà en 1998, il déclarait son admiration pour Adolf Hitler, qu’il considérait comme « un génie militaire inégalé. » Il poursuivait son panégyrique : « Le Nazisme a fait passer l’Allemagne d’un bas niveau à un niveau physique et idéologique fantastique (…) les nazis n’étaient pas une bande de voyous »[14].

Etrange pour un juif ? Peut être pas tant que cela, quand on sait que les plus fervents sionistes que sont les Chrétiens évangélistes poussant à couvert les juifs à rentrer en Israël, comportent dans leurs rangs une bonne dose d’antisémites qui y voient indirectement un moyen de s’en débarrasser. Peut on craindre une nationalisation du combat et des thèses de Feiglin ? C’est encore peu possible. Pourtant  il s’y emploie manipulant toutes les thématiques chères aux nationalistes et aux religieux : galvanisation de la nation, des actes héroïques, de la résistance aux Arabes. Maintenant, qu’il parle ouvertement du transfert ethnique des Arabes hors d’Israël, une nouvelle page risquerait de s’ouvrir si Feiglin, continuait a grappiller élections après élections au Parti, la sympathie d’un nombre croissant de militants déculpabilisés, un peu perdu par leur propres politiques depuis trente ans, et peu confiants sur la capacité du Likoud a gouverner un jour de nouveau seul.

 

[1] Malgré une victoire en nombre de sièges de Kadima, emmenée par l’ancienne premier Ministre Tsipi Livni, le président Shimon Perès a confié la constitution d’un gouvernement de coalition à Netanyahou, s’assurant l’espoir d’une majorité plus stable. Kadima bascula de là dans l’opposition.
[2] Par les travaux des nouveaux historiens israéliens comme Benny Morris, on avait la preuve par les archives de la responsablilité des dirigeants israéliens en 1948, donc travaillistes, dans l’expulsion des Palestiniens, et donc dans la création de la question palestinienne, irrésolue à ce jour. Pour plus d’informations lire, Sébastien Boussois, Israël confronté à son passé, essai sur l’influence de la nouvelle histoire en Israël, L’Harmattan, Paris, 2008.
[3] Le “Gush Emounim”
[4] Lire à ce sujet l’excellent ouvrage d’Akiva Eldar et d’Idith Zertal, Lords of land, the War of Israel’s settlements in the occupied territories 1967-2007, Nation Books, New-York, 2007.
[5] L’idée selon laquelle la gauche a fait confiance aux Palestiniens en 1993, alors qu’en réalité Yasser Arafat n’aurait jamais voulu la paix, mythe entretenu par Ehud Barak lui même qui a l’issue des négociations de Campa David, le rend directement responsable.
[6] http://www.humanite.fr/node/402013
[7] Assassiné en 1990 à New York par des islamistes, il était rabbin et homme politique israélien à l’origine du kahanisme, mouvement idéologique favorable au respect scrupuleux de la Torah et à la reconquête de la Terre promise dans sa version la plus large.
[8] Ancien ministre israélien du Tourisme assassiné en 2001 par des membres du FPLP, le Front Populaire de Libération de la Palestine.
[9] Interview réalisée le 22 février 2012.
[10] Parti séfarade orthodoxe sous la direction du rabbin Ovadia Youssef.
[11] Parti nationaliste russophone dirigé par le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann
[12] http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/proche-orient/a12723
[13] Faisant partie intégrante du grand Israël.
[14] Haaretz, 1998..

 

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).