Algérie : «L’état d’urgence doit être levé» déclare Me Mostefa Bouchachi

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Infatigable défenseur des libertés, opposé à la torture et aux lois d’exception, dont l’état d’urgence, Me Mostefa Bouchachi, enseignant à l’université d’Alger, est le président de la Ligue algérienne des droits de l’homme. «Nous considérons que l’état d’urgence n’est pas instauré pour combattre le terrorisme et maintenir l’ordre et la sécurité mais pour museler la société et interdire à cette société civile et aux partis politiques de l’encadrer» affirme Me Mostefa Bouchachi dans cet entretien accordé à Grotius.fr. Le président de la Ligue algérienne des droits de l’homme appelle à «une coalition nationale pour lever l’état d’urgence».

Azzedine Belferag : Les familles des disparus continuent à manifester en exigeant de l’Etat algérien la vérité sur le sort des leurs. Combien sont –ils au fait et quelle est la réponse des autorités algériennes à ce drame ?

Me Mostefa Bouchachi : C’est difficile de donner un chiffre exact, mais d’après les associations de familles des disparus, ils sont environ 10.000 disparus en Algérie. Bien sur, il y a prés de 1000 dossiers qui sont déposés au niveau de la commission du groupe de travail sur les disparitions forcées au niveau de l’ONU.

Ces disparitions forcées ont eu lieu entre 1992 et 2000 surtout. Ce sont des jeunes qui ont été arrêtés par les services de sécurité dans leurs quartiers, chez eux ou sur leur lieu de travail et qui n’ont jamais été présentés à la justice et qui ne sont jamais retournés chez eux.

Le régime algérien refuse d’endosser la responsabilité des éléments de service de sécurité dans le drame des disparitions. Il refuse d’agréer les associations des familles des disparus, il refuse de reconnaitre la responsabilité de l’Etat et refuse à ces familles le droit de connaitre la vérité ainsi que les gens responsables de ces enlèvements. En contrepartie, il veut indemniser les familles qui refusent cette indemnisation car elles veulent connaitre la vérité sur ce qui s’est passé avant de décider de pardonner ou de poursuivre politiquement et pénalement les responsables de ces enlèvements.

Il y a beaucoup de pays qui ont connu ce phénomène, mais, il y a eu des mécanismes de réconciliation nationale, des commissions vérité où les responsables militaires ou politiques ont reconnu leurs responsabilités, comme en Angola, en Afrique du Sud, en Argentine ou au Chili.

Le régime algérien refuse d’en faire autant. En contrepartie, il y a cette loi sur la réconciliation. C’est une aberration ! On demande à une mère, à un fils, à une épouse d’oublier ce qui est arrivé à ses proches. Ces familles qui depuis 16 ans ne savent toujours pas si leurs enfants, maris ou parents sont morts ou vivants n’ont toujours pas fait leur deuil. C’est quelque chose qui est immoral. Les disparitions forcées sont un crime selon les conventions internationales des droits de l’homme, ce sont des crimes contre l’humain. Ce n’est pas la loi sur la réconciliation nationale qui va effacer ces crimes.

C’est malheureux, car cette démarche ne fait pas honneur à l’Algérie qui est pointée du doigt dans tous les séminaires internationaux, notamment, quand il s’agit de justice transitionnelle. Il y a des pays qui ont vécu la même expérience mais s’en sont sortis par une réconciliation nationale.

Les gens qui ont commis des délits pendant la période d’instabilité politique ou de guerre civile ont reconnu les dépassements et il y a eu une réconciliation. Il ne faut pas s’attendre à ce que le régime qui est responsable de ces disparitions forcées reconnaisse ses responsabilités. Il faut attendre un changement de régime pour pouvoir espérer une vraie réconciliation nationale et élucider le problème des disparus en Algérie.

A.B : A toutes ces familles qui n’ont toujours pas fait leur deuil, l’Etat algérien propose une indemnisation. Est-ce donc vrai ? N’est ce pas une façon d’acheter les consciences?

Me Mostefa Bouchachi : être indemnisé ou que l’état prenne en charge les familles des disparus forcés est un droit, mais prendre en charge ne veut pas dire denier le droit de savoir ce qui s’est passé…On ne peut pas acheter la conscience collective des victimes de cette tragédie avec 800.000 ou 1.000.000 dinars… Les famille ont le droit de connaitre la vérité avant de tourner cette page douloureuse, et ce n’est ni un acte du parlement ou du président qui va classer cette tragédie et les crimes qui ont été commis dans les années 90.

A.B : Quel sort attend les condamnés à mort qui se trouvent depuis des années dans le couloir de la mort ? Combien sont-ils ?

Me Mostefa Bouchachi : Je n’ai pas de chiffre, mais je sais que les tribunaux algériens continuent toujours de condamner à la peine capitale soit par des jugements par contumace soit par des jugements contradictoires.

A.B : Bien qu’elle ne soit plus appliquée depuis des années, la peine de mort est toujours d’actualité en Algérie et des tribunaux continuent à la prononcer. Son abolition semble partager la classe politique. Ne pensez-vous pas qu’une loi abolissant cette peine est nécessaire ?

Me Mostefa Bouchachi : L’Algérie a fait un pas positif en votant la résolution des nations unies en 1993 pour geler les éxecutions, mais je pense qu’il faut aller plus loin. Il faut abolir la peine de mort. Actuellement, la peine de mort est prononcée par les magistrats mais n’est pas exécutée. Cependant, laisser quelqu’un dans une prison condamné à la peine de mort pendant 16 ou 17 ans est une torture physique et morale. C’est une double condamnation. On sait qu’on est condamné à mort en attente d’exécution. Vivre dans le couloir de la mort entouré d’une haute sécurité comme cele existe dans les prisons algériennes est une torture et l’on doit aller au delà du gel de la peine capitale.

Si l’on n’exécute pas la peine de mort pourquoi la maintenir dans le code pénal ? Abolir cette sentence honorera l’Algérie qui est le seul pays arabe à avoir voté dans ce sens. Notre ligue considère la peine de mort comme une atteinte au droit fondamental. Le droit à la vie d’une part, et le droit à de vraies enquêtes pour la recherche des coupables. Nous demandons depuis une dizaine d’années à la société civile et aux partis politiques de faire pression sur les pouvoirs publics afin d’abolir la peine de mort.

A.B : Qu’en est-il de ces mêmes droits de l’homme et des libertés en Algérie ? L’état d’urgence ne semble plus d’actualité, que font donc les partis et personnalités politiques, les médias ainsi que les organisations des droits de l’homme à ce sujet ?

Me Mostefa Bouchachi : L’état d’urgence a été instauré en 1992. A l’époque, il y avait des violences, du terrorisme, mais après l’année 2000, les pouvoirs publics et les différents ministres ont affirmé que le terrorisme était vaincu. Le pouvoir algérien a organisé par quatre fois des élections présidentielles et des élections législatives et communales depuis plus d’une décennie… Cela ne veut-il pas dire que le terrorisme est vaincu et qu’il y a paix ? Alors pourquoi maintenir l’état d’urgence ? Je pense que le régime algérien prend la société civile en otage en «légitimisant» cela par l’instauration de l’état d’urgence .

Nous considérons que l’état d’urgence n’est pas instauré pour combattre le terrorisme et maintenir l’ordre et la sécurité mais pour museler la société et interdire à cette société civile et aux partis politiques de l’encadrer. Tous les rassemblements, les marches et autres manifestations sont interdites.

La ligue des droits de l’homme a demandé aux partis politiques, personnalités et société civile de faire une coalition nationale pour la levée de l’état d’urgence. Ce n’est pas possible à une société d’aller vers la démocratisation sous un état d’urgence qui est utilisé par le pouvoir contre l’opposition et la société civile. Le principe est acquis, il reste à tracer la feuille de route afin d’entamer des actions précises.

A.B : Que pensez-vous de la mort, il y a quelques jours, à Zemmouri, du jeune Hamza, tué par une balle policière ?

Me Mostefa Bouchachi : Ces bavures ont tendance à se répéter. Il y a eu l’assassinat du jeune Massinissa qui est mort à Tizi Ouzou, il y a eu le jeune Hamza qui a été assassiné, il y a 14 ans, à Tazmalt et maintenant ce nouveau drame de Zemmouri. Lorsqu’il y a ce genre de bavures policières qui se répètent, je pense qu’il y a responsabilité tolérée. Il y a une responsabilité politique et pénale. Il faut qu’une enquête judiciaire soit menée dans ce sens. Il y a malheureusement, une impunité qui concerne d’autres affaires de torture, de corruption et bien d’autres et dont les services de sécurité sont responsables.

Je pense qu’il faut installer des commissions indépendantes composées de représentants de l’état et de la société civile. Mais pas une commission installée par le président de la république, le premier ministre ou même l’assemblée (APN).

A.B : Des femmes sont agressées à Hassi Messaoud, au sud de l’Algérie, dans la plus parfaite indifférence. Sexisme, intolérance ou machisme, les autorités réagissent timidement à ce drame. Cela ne risque t-il pas de s’étendre à tout le pays et d’ouvrir les portes à une chasse aux femmes vivant seules ?

Me Mostefa Bouchachi : Cela est malheureux et montre bien l’intolérance qui existe dans notre pays. L’algérien est victime de son manque de droit mais la femme l’est doublement. Elle l’est de par les lois et de la société. Il est du devoir légal et moral de toute la société civile de se solidariser et de combattre ce phénomène . Les partis politiques et symboles politiques de la société algérienne doivent s’impliquer et se prononcer sur ça. Il est de leur devoir de combattre ce phénomène. Il faut pousser la législation à protéger la femme algérienne.

Entretien réalisé par Azzedine Belferag, journaliste (Alger).

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