Egypte : le Croissant et la Croix, au coeur de la transition politique…

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Drapeau avec le croisant et la croix réunis

Place Tahrir, de notre envoyé spécial… Il a suffit d’une rumeur… Une Copte convertie à l’Islam aurait été séquestrée dans une église. Vrai, faux ? « Peu importe », la rumeur est là… Et dans la nuit du 8 au 9 mai, des violences interconfessionnelles éclatent. Dans cette période de transition de l’après Moubarak, le gouvernement tâtonne et est bien tenté par un retour à de « bonnes vieilles » méthodes sécuritaires, tandis que d’autres – la société civile notamment, prônent une unité nationale. Mi-mai, Coptes et Musulmans ont manifesté ensemble…

Comme tous les vendredis ou presque depuis la révolution, plusieurs milliers de Cairotes sont venus Place Tahrir ce vendredi 13 mai – beaucoup en famille, comme pour rattraper le temps perdu après trente ans d’interdiction de manifestation. Comme souvent, au rendez-vous de ce mouvement : le soutien au peuple Palestinien. Cette fois cependant, le rassemblement a été lancé à l’appel d’organisations de solidarité entre Coptes et Musulmans.

Croissant et croix entrelacés

Immense symbole, après les violences interconfessionnelles de la semaine précédente qui avaient causé la mort de 15 personnes. Au dessus de la tribune principale, une grande banderole montrant un croissant et une croix entrelacés confirme sans aucun doute possible cette volonté de réconciliation. Dans la foule, une femme entièrement voilée arbore une petite affiche sur laquelle elle a elle-même soigneusement reproduit le même logo ; plus loin, une jeune fille tend ce même symbole à bout de bras construit à partir de deux morceaux de bois cloués ensemble…

Une démonstration d’unité, donc, comme pour enrayer cet accroissement de violences communautaires perceptible depuis quelques semaines, et qui risquerait de nuire à une transition politique encore fragile.

« Immédiatement après la révolution, il y avait pourtant un sentiment de bonne volonté entre les deux communautés », explique Maryam, une jeune femme copte, mais il était « surtout partagé au sein d’une certaine catégorie de la population, ici, au Caire (…) Le problème a démarré à l’extérieur de la capitale, dans les zones plus rurales (et) avec la peur entretenue par de nombreux groupes extrémistes, ce sentiment positif a commencé à s’estomper ». Maryam fait partie de cette génération de classes moyennes et supérieures qui a également contribué au succès de la révolution égyptienne.

De nombreux coptes ont en effet participé aux manifestations qui ont abouti au changement de régime, alors même que la hiérarchie religieuse – et notamment le Pope – avait ouvertement pris position pour le régime en place. Ceci s’explique selon Maryam par le fait que durant trente ans, « Mubarrak avait échangé la sécurité contre une certaine forme de loyauté ». Mais il y a eu une évolution progressive au sein de la communauté. « Pendant les années 90, poursuit-elle, tous les coptes obéissaient au Pope, mais dans la décennie suivante, nombre d’entre eux ont commencé à se détacher de ses positions. Et durant la révolution, il y a eu de nombreux slogans du type : « musulmans et chrétiens marchent main dans la main ».

Quel avenir ?

Mais l’absence de respect des consignes a également abouti à un changement de comportement vis-à-vis des agressions dont ils faisaient l’objet. Hossam Barghat, directeur exécutif de l’Egyptian Initiative for Personnal Rights (EIPR), s’inquiète de ce que les Coptes, autrefois passifs vis-à-vis de ces agressions « ont pour la première fois répondu en utilisant des armes à feu (…) il y a eu des échanges de tirs de part et d’autre, poursuit-il, mais aussi des jets de cocktails molotov ». Ce qui explique le bilan assez lourd des affrontements : quinze morts et plus de deux cent blessés de part et d’autre.

Pour Hossam Barghat, le problème est cependant plus lié à une défaillance des forces de sécurité qu’à un problème réellement nouveau. « Ces incidents existaient bien avant la révolution,  mais le gouvernement intérimaire est aujourd’hui confronté à une multitude de préoccupations, explique-t-il, il est débordé et ne peut pas pour le moment régler sur le fond le problème des relations entre les communautés ». Cependant, précise-t-il, « il doit assurer une protection et une sécurité aux membres des communautés, sans pour autant verser dans la justice expéditive».

Si l’ état d’urgence a été levée, les Cours militaires sont en effet toujours opérationnelles, et près de 7000 personnes ont été condamnés ces deux derniers mois, lors de procès pour le moins inéquitables aboutissant parfois à des peines très lourdes (5, 10, voir 15 ans de prison). « Or, après la nuit de violence pendant laquelle près de 190 personnes ont été arrêtées, rappelle Stéphanie David, représentante de la Fédération internationale des droits de l’Homme au Caire, le gouvernement a a pris des mesures drastiques, basées en grande partie sur la législation antiterroriste, mais aussi sur de nouvelles mesures adoptées à la hâte contre les ‘voyous’ ou ‘les groupes déviants’… ». Mais le souci, ajoute-t-elle avec lassitude, «c’est qu’en Egypte, on a un peu l’habitude de ces termes un peu flous. Il faudrait que le gouvernement définisse un peu plus précisément ce qu’ils sous-entendent».

D’autant que les peines prévues vont  jusqu’à la peine de mort. Selon Stéphanie David, les salafistes sont clairement visés par ces menaces, mais encore faudrait-il démontrer qu’ils soient à l’origine de ces violences. « Qu’ils y aient participé, c’est sûr, mais de là à en faire les principaux responsables… ».

Loin d’être un épiphénomène, les violences interconfessionnelles ressemblent donc à un miroir grossissant de l’Egypte en transition. Des problèmes sociaux et communautaires importants – qui se sont par ailleurs encore accentués avec la libération des espaces d’expression, Facebook et Twitter ont joué un rôle important – mais « qui ne peuvent se régler selon Maryam uniquement par un simple réflexe sécuritaire. » Dans le rassemblement Place Tahrir, la bonne humeur est toujours aussi palpable, et si l’on fait abstraction des slogans, l’atmosphère serait presque celle d’une kermesse, avec sa musique, et ses vendeurs de thés ou de pop-corn qui circulent dans la foule.

De nombreux enfants tiennent fièrement des drapeaux aux couleurs du pays. Sur les rambardes, à même le trottoir ou étalés sur des voitures à l’arrêt, la vente de produits dérivés de la révolution. Les T-shirts à la gloire du 25 janvier, date symbole du soulèvement, y côtoient des affiches plastifiées montrant les portraits des martyrs de la révolution. En bas de ces affiches, une main lève une croix, une autre un croissant. Les deux symboles sont certes côte à côte, mais ils ne sont plus entrelacés, cette fois…

(Photographies : Gaël Grilhot)

L’Egyptian Initiative for Personnal Rights (EIPR) vient de publier un rapport sur les violences interconfessionnelles des 7 et 8 mai derniers, à Inbaba, dans les faubourgs du Caire. Le rapport détaille les conclusions de l’enquête sur ces événements qui ont fait 15 morts et 242 blessés. Selon l’organisation basée au Caire, des observateurs et des témoins directs concluent que les forces de l’ordre ont failli dans leur devoir de protection.

. Rapport disponible en arabe
. Une version en anglais devrait être publiée prochainement  (résumé disponible à l’adresse suivante )



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Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

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