Elections en Birmanie : la démocratie confisquée

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Carte de la BirmanieLe dimanche 7 novembre, le peuple birman a voté pour des élections générales. Voulu par les généraux qui règnent sans partage sur le pays depuis 1988, ce scrutin avait pour objectif d’élire des représentants parlementaires qui siègeront aux assemblées nationales et régionales et parachève la «feuille de route pour la démocratie» lancée quelques années plus tôt. Vingt ans après les dernières élections de 1990, massivement remportées par le parti démocrate d’opposition d’Aung San Suu Kyi mais qui n’a jamais pu exercer le pouvoir, la junte birmane avait décidé de s’essayer pour la seconde fois à l’exercice démocratique… tout en verrouillant le jeu politique afin de s’assurer sa victoire.

En fait d’élections, il s’agit plutôt d’une sélection de candidats soigneusement triés sur le volet par le dictateur, le Général Than Shwe. Issus des rangs militaires ou étant proches du régime, les candidats du parti pro-junte bénéficient de la protection et des ressources financières des plus hautes autorités de l’État. Présentant un candidat dans chaque circonscription, ce parti est voué à une victoire écrasante.

A cela s’ajoute une disposition de la constitution (approuvée en 2008 lors d’un référendum fortement critiqué) qui permet la nomination de 25% de militaires dans les deux chambres parlementaires.

Qui a voté ?

Dénonçant la farce électorale qui se joue, la Ligue nationale pour la démocratie, parti d’Aung San Suu Kyi, a refusé de participer et a appelé au boycott du scrutin. Quelques partis politiques ont décidé de prendre part aux élections en affichant leur indépendance vis-à-vis des militaires, mais ils font face à de multiples contraintes: montants prohibitifs requis pour valider les candidatures, délais très courts, candidatures invalidées pour diverses raisons…

Ces partis d’opposition incarnent une résistance symbolique face à la machine de guerre bien huilée de la dictature militaire. Si la junte avait assuré que les élections seront “démocratiques et multipartites” – avec une trentaine de partis enregistrée, la seule question qui se posait était de savoir si la population birmane aurait véritablement l’occasion de s’exprimer. En 2008 déjà, le peuple birman a été l’otage d’un scrutin durant lequel les autorités ont confisqué des millions de votes grâce à divers subterfuges, et le résultat proclamé (92,4% de votes en faveur du texte constitutionnel proposé par les militaires) ne fait aucun doute sur les fraudes massives qui ont émaillé le scrutin.

Lors du processus électoral qui a abouti au scrutin du 7 novembre, des pratiques similaires ont été rapportées en provenance des quatre coins du pays : menaces à l’égard des villageois pour voter en faveur du parti pro-junte, achat de voix, votes collectés ‘à l’avance’ par les autorités locales ou encore décision arbitraire de la commission électorale de priver de droit de vote environ 1,5 million d’électeurs, au motif qu’ils résident dans des villages qui “ne sont pas en mesure d’organiser des élections libres et justes”, c’est-à-dire où les militaires ne sont pas certains de pouvoir imposer leurs candidats.

Obnubilés par la réussite de leurs élections, les généraux birmans ont négligé leurs relations avec les minorités ethniques, qui composent un tiers de la population, menaçant ainsi la paix fragile qui prévaut avec ces groupes depuis deux décennies. En raison d’un article de la constitution prévoyant la dissolution des groupes armés ethniques et leur incorporation à l’armée birmane au lendemain des élections, les relations du pouvoir militaire avec les représentants ethniques se sont nettement détériorées, ces derniers ayant sèchement refusé l’ultimatum qui leur a été adressé.

Tant que les revendications des organisations ethniques ne seront entendues par les militaires, des élections imposées par la force et sans concertation ne sauraient être une solution politique. Il apparaît au contraire que ces élections générales sont porteuses d’une dangereuse instabilité, et la perspective d’une résurgence de la guerre civile est une hypothèse chaque jour plus probante.

Le rapprochement avec la Chine

D’un point de vue régional, les généraux se sont lancés dans une course aux soutiens régionaux et cherchent à obtenir une précieuse caution de la communauté internationale, sans pour autant accorder la moindre concession. L’offre de l’Asean d’envoyer des observateurs étrangers a été déclinée, le pays ayant “beaucoup d’expérience en matière d’élections”. Pour autant, le régime birman compte sur ses partenaires régionaux pour faire avaliser le résultat des élections par la communauté internationale et obtenir la légitimité qui lui fait tant défaut.

Than Shwe, le n°1 du régime, a récemment multiplié les visites diplomatiques aux puissances asiatiques. Suite à une visite éclair en Inde au mois de juillet, il s’est rendu en Chine en septembre pour une visite au cours de laquelle les élections du 7 novembre ont immanquablement été abordées. Toujours dans cette même optique, le général s’est rendu au Laos dans les premiers jours d’octobre.

Cette reconnaissance est en passe d’être obtenue, tant les réactions internationales demeurent clivées. Barack Obama a avoué aux dirigeants de l’ASEAN que les États-Unis ont été déçus dans leurs efforts de dialogue pour promouvoir le changement démocratique en Birmanie. La Chine campe sur ses positions habituelles de non-ingérence. Le groupe des amis de la Birmanie, réuni par le secrétaire général de l’ONU, a appelé pour la énième fois à la libération des prisonniers politiques et à leur participation, un élément essentiel pour la crédibilité du scrutin, sans parvenir à insuffler un changement quelconque au processus électoral. Entre passivité et impuissance, la communauté internationale a été le témoin d’une élection jouée d’avance.

Contact : infobirmanie@gmail.com

Isabelle Dubuis

Isabelle Dubuis

Isabelle Dubuis est coordinatrice de l’association Info-Birmanie.

Isabelle Dubuis

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