De l’escroquerie à la charité sur internet
Par Christian Aghroum
S’il est une catégorie de délit qui devrait ternir l’image sympathique de l’escroc, c’est bien celle de l’escroquerie à la charité ! On a toujours considéré l’escroc comme un être sympathique, une sorte de Robin des Bois qui ne s’attaquerait qu’aux riches pour mieux donner aux pauvres, parfois ? … Rarement !
Portée par la littérature, le cinéma, les séries télévisées, l’imagerie d’Arsène Lupin fait palpiter le cœur de ces dames et briller l’œil admiratif de ces messieurs. L’homme est malin, rusé comme le renard, bel homme, beau parleur, intelligent et se rit de la police qu’il fait tourner bredin. Ce pied de nez aux forces de l’ordre s’appuie légitiment sur la faible poursuite pénale que l’escroc encourt.
L’atteinte aux biens a toujours été plus faiblement punie que l’atteinte aux personnes. Si l’escroc engrange en un coup plus de liquidités que bien des braqueurs, il ne fréquente jamais le banc des accusés des Cours d’Assises, se contentant du Tribunal Correctionnel. Et si le magistrat n’est pas dupe, la victime pour sa part y est souvent présentée comme niaise par la défense ; la démonstration des trucs utilisés par le gredin minore son rôle, le stratagème est alors décrit comme grossier et facilement détectable par toute personne de bon sens.
L’arrogance aide à croire qu’on ne se serait pas fait avoir aussi facilement ; de peur de se sous estimer, on préfère rire sous cape de la malheureuse victime. Les chroniques judiciaires de tous temps en témoignent.
L’escroc enfin représente un univers loin du nôtre entre rêve et réalité, entre fiction et quotidien, dans lequel l’autre est victime, et dans lequel surtout on ne se plaindra pas si cela nous arrive, par honte, de peur de ce ricanement qu’on avait juste auparavant au bord des lèvres. Si la démonstration est cynique, c’est qu’elle est empreinte d’empirisme, car le policier ou le gendarme connaît bien l’escroc.
Il sait avec quelle aisance celui-ci se glisse entre les interstices de la loi, avec quelle perversité il choisit ses victimes, avec quelle délectation il joue les héros pour mieux satisfaire son goût du lucre, de l’argent facile et vite dépensé, avec quel talent il attire la sympathie une fois «fait aux pattes», jouant de cette aptitude à ce que l’on appelle de nos jours «ingénierie sociale». Il sait qu’au fond l’escroc profite de la faiblesse du genre humain, que cet état relève du handicap physique, mental ou social, de l’âge ou de l’incompréhension.
La «modernité» de l’escroc
L’escroc est friand des périodes de crise ou de changement. Combien de vieilles personnes se sont faites abusées hésitant encore entre anciens francs, nouveaux francs et euros par un homme «pourtant si prévenant». Combien d’honnêtes commerçants, artisans ou professions libérales ont cru placer leur argent dans des jades de grande valeur embobinés par une équipe organisée jouant une pièce rodée où l’expert succède au vendeur dans un imbroglio vertigineux.
Inutile de rappeler qu’en période de crise, on ne peut peut-être plus «vendre» la Tour Eiffel, comme dans les années 30, mais l’on peut encore vendre un appartement payable en grande partie en liquide ; parti le liquide, fi du notaire, il ne reste plus qu’à se refaire … Comble de perversité, l’escroc, auteur de cette transaction pourrie, de ce «rip deal», n’hésitera pas à recontacter sa victime pour «l’aider à retrouver une partie de ses fonds» en lui demandant de présenter un «nouveau gogo». «Je vous aide à vous refaire», lui dira-t-il convaincant, et la victime deviendra complice.
Et ne soyons pas surpris si, après toute catastrophe naturelle, fleurissent sur le terrain quelques malandrins tentant de se faire passer pour assureurs ou autres dépanneurs miraculeusement arrivés à temps …
Internet a ouvert un champ d’action idéal pour l’escroc
Tous les éléments de la pièce en trois actes y sont. S’anonymiser : en ouvrant une adresse sous un faux nom, rien de plus facile ; rechercher ses victimes : en spammant de mails alarmistes ou peuplés de liens conduisant à des sites contrefaisants (on parle alors de phishing), en fréquentant les réseaux sociaux et sites de rencontres pour y détecter les failles des uns et autres ; jouer sur le nombre impressionnant de victimes potentielles que la technique permet d’atteindre.
Le spam promettant ce trésor caché auquel vous pourrez accéder moyennant les quelques milliers d’euros nécessaires à contribuer aux frais de recherche, nonobstant les frais d’avocat, de notaire et de cette administration si tatillonne qu’il faut bien rémunérer, ce spam n’est ni plus ni moins que la version moderne de l’antique lettre de Jérusalem, connue depuis la fin des croisades : mon seigneur passant dans votre région et partant aux croisades a enterré un trésor… La seule différence réside dans le fait que le mail peut être adressé à plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Même un pourcentage faible de réponses garantit à l’escroc réfugié derrière ses frontières lointaines un nombre suffisant de victimes et par effet de conséquence une manne substantielle. L’escroquerie dite à la nigériane dépasse largement les frontières de son pays d’origine tant elle est « juteuse » et tant ses auteurs s’abrite derrière la bonne conscience du faible luttant contre le fort, du Sud contre le Nord …
L’escroquerie à la romance quand à elle joue sur des ressorts proches ; il ne s’agit plus de gagner de l’argent facilement mais de trouver le grand amour. L’escroc est africain ou est-européen, mais il peut être franco-français même si cela devient plus facile à gérer pour les services répressifs.
L’être enamouré, qui promet de rejoindre dans l’hexagone son compagnon nouvellement rencontré sur internet, n’est pas nécessairement du sexe annoncé. Son vrai prénom est rarement propre à la rêverie alors que celui sous il se fait connaître enchante les sens.
Il gère plusieurs comptes et pose plusieurs appâts, guettant, ferrant et hameçonnant sa proie avec la patience du pêcheur jusqu’à lui faire envoyer ce mandat ou ce virement urgent, tant attendu, prometteur d’un billet d’avion à payer pour «venir t’aimer mon chéri» ou pour dépanner cet homme d’affaires voyageant de par le monde et coincé dans un pays hostile aux règles administratives complexes et onéreuses, «toi seule peut m’aider ma chérie»…
L’argent s’en va et les rêves aussi mais ils perdurent tant que l’escroc maintient le contact, cherchant plus d’argent, sautant d’un argument à l’autre, tous aussi rocambolesques que prometteurs. Que d’imagination pour les uns, que de désespoir chez les autres. Autant de victimes mal dénombrées car mal répertoriées faute de plaintes le plus souvent, autant de centaines de milliers d’euros(1) qui échappent au PIB français annuellement, hors imposition, hors valeur ajoutée pour l’économie nationale. Et la France, si cela peut rassurer, n’est pas le seul pays victime.
Tous les pays réputés riches le sont. A quoi sert cet argent, qui alimente-t-il en dehors de l’économie souterraine locale ? Tous les fantasmes sont permis.
Comment à froid et avec le recul ne pas, une fois encore, railler les victimes. Celui qui s’y risquerait devrait faire fi de la nature humaine, du drame de la solitude, du besoin de rêves et aussi de cet indéfinissable vertige que procure l’écran d’ordinateur. Sans sous-estimer la capacité des escrocs à gagner subtilement la confiance de leur victime, n’oublions pas qu’Internet est un médium et que la confiance envers les médias est forte. Et ce qui apparaît à l’écran est, dans l’esprit de nombre de nos congénères, frappé de certitude.
La preuve de la crédulité par l’écran
L’écran isole du monde, il hypnotise. « Aie confiance » dit Shere Kan à Mowgli »… L’abus de confiance est une infraction proche de l’escroquerie et ne s’en différencie que par la production d’un acte, d’un contrat ; il y a bien souvent contrat moral entre l’escroc et sa victime. Ce contrat moral généré pendant l’accomplissement de son forfait conduit aussi à maintes reprises la victime à éprouver de la compassion pour le malfrat, dans un rapport proche de celui du syndrome de Stockholm.
A ces différentes escroqueries dorénavant traditionnelles s’ajoutent celles plus conjoncturelles dites à la « charité ». Le mode opératoire en est simple qui reprend les formes classiques du genre : spam, phishing, réseaux sociaux, sites de rencontres. Il s’agit pour l’escroc de jouer sur l’émotion provoquée par une catastrophe naturelle ou technologique et appeler au don au profit d’une association, d’une ONG, d’une bonne volonté.
Si les faits dénoncés demeurent faibles, ils le sont souvent du fait d’une campagne de prévention menée par les autorités dès la survenance de l’évènement. Le risque n’est pas faible pour autant et les délinquants échappent souvent aux poursuites faute d’avoir été dénoncés soit pour les raisons préalablement citées, soit faute d’avoir été détectés : donner de l’argent à une association inconnue et distante n’impose pas de lui demander des comptes en retour.
Seule la vigilance des internautes et la connaissance du monde associatif permettent de repérer les intrus malveillants. En plus de tous les dispositifs existant, l’Etat s’est doté en France de deux plateformes au service des citoyens à titre privé ou au profit d’institutions : la plateforme «info-escroqueries» répondant au 0 811 02 02 17 en charge d’orienter ceux qui doutent si possible avant de devenir victimes à leur tour, et la plateforme «Pharos» joignable sur le site www.internet-signalement.gouv.fr ouverte à tous les internautes confrontés à un site suspect quel qu’en soit la forme ou la destination.
La plateforme a géré plus de 50.000 signalements en 2009, presque cinq fois plus qu’en 2008. Un geste citoyen bien apprécié à l’ encontre de ceux prêts à abuser de la crédibilité d’âmes généreuses émues par la douleur des victimes du Tsunami de 2004, des tremblements de terre de l’Aquila ou d’Haïti ou pourquoi pas de l’éruption du volcan Eyjafjallajokul en Islande.
Car si l’escroc peut se retrouver dans la citation de Michel Audiard «faire confiance aux honnêtes gens est le seul vrai risque des professions aventureuses»(2), l’honnête homme trouvera le salut sur internet en suivant les conseils de George Washington : «Soyez polis envers tous, mais intimes avec peu ; et choisissez-les bien avant de leur faire confiance.»
Christian Aghroum, Commissaire Divisionnaire, est Chef de l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée Aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC).
[1] Aucune étude officielle n’est connue de l’auteur à ce jour.
[2] In «Le cave se rebiffe»
Grotius International
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