Gratuité totale ou sélective : quel accès aux soins et aux médicaments? L’exemple de la Côte d’Ivoire

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Dans la plupart des pays africains, les systèmes de santé publics sont très faibles. La cause principale  vient de la faiblesse extrême des salaires et  de ce fait de la faiblesse des ressources humaines. Concernant le domaine du médicament, suite à la mise en place de l’Initiative de Bamako, une partie des recettes du médicament  vient appuyer les frais de fonctionnement des systèmes de santé  et parfois même des compléments de salaires pour les agents de santé.

 Retour vers la notion de gratuité

Comme dans la plupart des pays qui ont pris cette voie, la décision est politique et sans préparation. C’est ce qui s’est passé après la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, la gratuité des soins a suscité beaucoup d’espoir au sein des populations. Contrairement à d’autres pays ayant décrété une gratuité ciblée (enfants de moins de 5 ans et femmes enceintes), le gouvernement Ivoirien a d’abord décrété une gratuité totale qui ne devait durer qu’un mois et demi (Elle est toujours d’actualité – février 2012).

Cela s’est matérialisé par de longues files d’attentes dans les hôpitaux et les centres de santé avec engorgement des services, allongement des délais de prise en charge, aggravation des ruptures en médicaments et intrants, surexploitation du matériel médical et des équipements, épuisement du personnel… (Constat reconnu par le ministère de la Santé).

Aujourd’hui, force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances.

– manque de médicaments dans les pharmacies publiques,

– manque de matériel chirurgical (fil, bande…),

– manque de matériel d’anesthésie,

– manque de matériel de perfusion (glucose, sérum sal, perfuseur…).

Les conséquences sont la fermeture de lits d’hospitalisation, celle de blocs chirurgicaux, des approvisionnements à travers le secteur privé trois à cinq fois plus cher, la faillite des structures privées à but non lucratives, la démotivation du personnel…

La « gratuité » a un coût, il faut que quelqu’un paye. Sinon, on retombe immédiatement dans les travers des années 1980.

« La gratuité des soins et des médicaments dans les centres de santé ayant conduit à une pénurie chronique de médicaments, à une désaffection de ces centres de santé par la population; le budget de l’Etat n’arrivant plus à couvrir même les besoins les plus élémentaires; la nécessité d’une réorientation de la politique sanitaire était incontournable ».

«L’on note l’application du principe du recouvrement des coûts dont les objectifs poursuivis sont  la mobilisation de recettes additionnelles. En effet, la participation au coût permet d’accroître et de compléter les dotations budgétaires de l’Etat qui sont insuffisantes et souvent fluctuantes. Ces ressources additionnelles permettent aux formations sanitaires bénéficiaires de faire des investissements pour étendre et améliorer les services offerts » (Tambla Cinaly 2003).

Le gouvernement ivoirien a pour objectif de mettre en place une CMU.

« Ces prestations seront fournies pour une cotisation réduite à 1 000 FCFA par mois et par personne moyennant une participation aux frais de 1 000 FCFA par consultation » (ref : « Vivre ensemble »).

C’est louable mais demandera du temps. Dans l’attente, il faut une mobilisation urgente pour couvrir financièrement le « gratuité totale » qui est encore en vigueur. Les fonds nécessaires ne sont pas disponibles au niveau de l’Etat. Que doivent faire les partenaires de la santé ?

L’aide internationale

Son objectif est clairement de donner l’accès  aux soins et aux médicaments pour les plus pauvres. Force est de constater qu’une partie de l’aide internationale actuelle ne tient  compte ni du contexte, ni de l’objectif.

Pourtant il faut se féliciter de  la mobilisation financière. C’est les choix d’utilisation de cet argent que nous voulons contester. Le choix de renforcer l’offre en médicaments en privilégiant des « maladies prioritaires » ne correspond pas aux besoins du terrain. Ce choix du don en médicament fait aux pays affaiblit les ressources des systèmes de santé, désorganise les structures de soins périphériques, n’est pas compris par les populations. Comment faire comprendre que l’on peut être pris en charge gratuitement et avoir un lit « gratuit » si son voisin est lui dans un lit « payant ». Comment faire comprendre à une mère de famille que son enfant a été sauvé du paludisme « maladie prioritaire » et que maintenant qu’il a une diarrhée il faut payer.

Les circuits de distribution des médicaments sont totalement désorganisés par les dons. Les ressources financières des structures de santé ne permettent plus un fonctionnement normal en particulier un renouvellement des stocks par achat. Certaines structures voient leurs ressources baisser entrainant un usage irrationnel des médicaments. Est-ce bien cela l’aide à l’accès aux soins des plus pauvres ? Puisque nous voulons aider les plus pauvres sans perturber les systèmes de santé, il nous semble que nous devons focaliser l’aide en  payant à la place des plus pauvres les structures de santé qui ont délivrés les soins et les médicaments gratuitement. Pour cela au niveau national il faut un fond commun : un complément de la CMU ? Capable de payer ces factures après contrôle…

Les circuits de distribution du médicament ne peuvent fonctionner qu’ accompagnés d’un circuit financier permettant à chacun d’acheter ce dont il a besoin. Il nous semble aussi qu’il est bon de rappeler que rendre gratuit les soins de sante est une entreprise louable, mais il est encore plus important que ces soins soient prodigués dans de bonnes conditions, par du personnel qualifié.

Serge Barbereau

Serge Barbereau

Serge Barbereau, Pharmacien, Vice Président ReMed.