Israël : Netanyahou un colosse agile ou aux pieds d’argiles ?

0
175

La décision du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de convoquer en Israël des élections anticipées, était à remettre en perspective d’un contexte national qui lui a toujours été de plus en plus favorable depuis son arrivée au pouvoir. Son intransigeance, son refus de la négociation et du compromis ont plus marqué l’opinion que sa gestion de la crise sociale…

Malgré peu de résultats sur le plan économique, 48% d’Israéliens étaient encore convaincus il y a peu – selon selon Haaretz, qu’il était le meilleur candidat à sa réélection si des législatives survenaient.

Mais le choc politique consécutif à l’entrée du parti centriste Kadima au sein du gouvernement a annulé la perspective d’élections législatives anticipées. Si ces élections avaient été maintenues,  l’actuel Premier ministre et son parti en seraient sans doute sortis vainqueurs. La coalition actuelle regroupe 94 des 120 sièges à la Knesset, anéantissant toute forme d’opposition donc mettant en danger la démocratie. Cette fameuse démocratie qui se revendique depuis des décennies d’être la seule au Proche-Orient, oubliant souvent le Liban et la Turquie.

Depuis le 8 mai dernier, Benjamin Netanyahou est à la tête de l’une des plus larges coalitions que l’histoire d’Israël ait connu. En effet, un accord a été signé avec Shaul Mofaz, ex-Likoud et nouveau leader de Kadima, ennemi juré de Netanyahou, intégrant le parti centriste dans le gouvernement d’alliance droite-extrême droite. Un nouveau tandem qui aspirera à rester au pouvoir le plus longtemps possible en enracinant un peu plus encore le blocage total avec les Palestiniens d’une part et en poursuivant d’autre part une politique discriminatoire, radicale et de plus en plus anti-démocratique dans le pays. Preuve en est : après la loi passée l’été dernier sanctionnant les ONG pacifistes critiques de la politique israélienne en accentuant le contrôle de leurs finances, un  nouveau projet de loi est en train de circuler pour permettre à l’Etat d’Israêl de surveiller de plus près encore toutes les communications d’individus et organisations privées (appels, mails) susceptibles de mettre en danger la sécurité du pays.

La coalition gouvernementale de Netanyahou, qui ne supporte aucune concession à l’égard des Palestiniens, à l’égard de l’Iran, et à l’égard de ses voisins proches en pleine transformation politique, tient bon. En réalité, Bibi a évité l’erreur commise en 1996, où premier Ministre pour la première fois, en tentant le dialogue avec les Palestiniens et les Syriens, il avait provoqué la chute de sa majorité. Aujourd’hui, il est bien installé et la raison principale qui en devient une stratégie politique porteuse est simple: le statu-quo et l’intransigeance.

Statu quo à l’égard des Palestiniens, où les négociations n’ont pas clairement repris sur la création de l’Etat palestinien, sur la résolution du conflit qui anime les belligérants depuis 64 ans, sur la colonisation des Territoires et la judaïsation accélérée de Jérusalem-est. Statu quo à l’égard des manifestants des plus grandes protestations sociales que le pays ait connu à l’été dernier : quelques mesurettes ont été prises depuis un an en matière de logement, d’indexation des prix, mais rien de plus. La priorité du pays est ailleurs : son environnement immédiat et sa sécurité.

Observant avec inquiétude l’évolution politique en Egypte, regrettant presque la stabilité apportée par Moubarak et le traité de paix signé par Sadate en 1978, Netanyahou surveille de l’autre côté la Syrie et Bachar El Assad. Objectivement, le tyran a apporté une stabilité sans précédent à l’Etat hébreu, mais l’idée d’une guerre civile si Bachar Al Assad tombait inquiète au plus haut point les Israéliens. Statu quo enfin dans le paysage politique israélien où l’intolérance et la fermeté d’un gouvernement de droite et d’extrême droite à l’égard de la communauté internationale, des Palestiniens et des Arabes en général , a permis au Likoud de demeurer le premier parti du pays. Cette stratégie a favorisé l’effondrement du parti dit modéré Kadima, le parti de l’ancienne premier Ministre Tsipi Livni qui a échoué à sa réélection en étant écarté dès les primaires après s’être maintenu dans l’opposition ; crise existentielle enfin du parti travailliste avec un Ehud Barak, ministre indéboulonnable de la Défense qui lui a longtemps été associé et qui tape ouvertement désormais à la porte du Likoud malgré la création de son parti Hatzmaout.

L’occasion pour la gauche israélienne de revenir est-elle plausible après 10 ans d’effondrement ? La transformation de l’essai des manifestations de l’été dernier n’a pas encore permis la reconstitution d’une véritable force d’opposition travailliste, même si le parti devient désormais la première force d’opposition du pays. Pour autant, les intentions de vote pour Shelly Yachimovich, ancienne présentatrice de la télé, ne culmine qu’à 15%. Benjamin Netanyahou reste le maître incontesté en son château. Il devient le seigneur d’un domaine isolé chaque jour un peu plus dans son environnement régional, mais également à l’international.

L’idée d’une frappe contre les installations iraniennes, en coordination avec les USA, est loin d’être gagnée. Cela peut paraître pour certains comme un coup de bluff israélien pour mettre les USA face à leurs responsabilités et faire pression sur un président américain qui ne souhaite pas y aller. Et bien sûr, Barack Obama n’y a aucun intérêt en pleine campagne pour sa réélection en novembre prochain. Et les derniers sondages en Israël de l’opinion publique témoignent de l’incertitude d’un choix dangereux pour le pays : en effet, 44% des Israéliens pensent qu’a l’issue d’une attaque de Téhéran, le régime dit des Mollahs sortira renforcé, 45% pensent qu’il sera affaibli. Mais pire : 19% des Israéliens seulement pensent qu’Israël peut attaquer seul l’Iran, contre 42% requérant l’appui logistique et politique des USA. L’armée israélienne n’est plus infaillible, et cela fait longtemps qu’elle n’a pas gagné une guerre : le Liban en 2006 fut un échec tout comme l’opération « Plomb durci » à Gaza en 2008. Enfin, signe d’une frilosité des Israéliens interrogés dans ce même sondage de la  Sadat Chair de l’université du Maryland avec le soutien de l’institut Dahaf en Israël: 22% pensent que l’opération contre l’Iran durerait des années, 29% des mois, 19% des semaines. Autant comprendre pourquoi Benjamin Netanyahou convoque les électeurs pour s’assurer du soutien de son peuple, alors même qu’ils étaient plus de 400 000 à le défier à l’été dernier, pour protester contre les choix budgétaires du pays.

La défense représente aujourd’hui 30% du budget de l’Etat. Les Israéliens veulent du social : Netanyahou ne prend pas beaucoup de risque car il n’a aucun opposant sérieux à l’heure actuelle. Pas même Yair Lapid, ancien journaliste au Maariv, très loin derrière lui mais qui a créé son parti Yesh Atid et qui fait son buzz à l’heure actuelle. Quelqu’un de la société civile comme Lapid ou comme Yachimovich peuvent-il contrecarrer le pouvoir des dirigeants israéliens souvent purement produits politiques ou militaires depuis 65 ans? Une porte de sortie à l’impasse des militaires obsédés par l’unique sécurité du pays? Un espoir politique et social de recréer une vraie force d’opposition dans une démocratie fragilisée? Il le faudrait, car la crise sociale en Israël s’accentue, et le coût d’une guerre de plusieurs mois voir des années avec l’Iran pourrait être fatal au pays : en terme d’image, en terme de politique, mais également en terme d’économie, le nerf de la guerre dans un pays à l’économie florissante, mais un pays riche de pauvres. Un tiers des israéliens sont en dessous le seuil de pauvreté.

Benjamin Netanyahou connaît bien et son pays et ses administrés. Il est un agile politicien mais peut être un colosse aux pieds d’argile. En effet, il y a objectivement au regard des éléments cités plus haut, plusieurs raisons, qui nous permettent pour conclure de dire que s’il a forcé l’accord avec Kadima plutôt que de prendre le risque d’élections anticipées, transformant l’essai avant que le match ne soit joué, c’est qu’il avait peur de se présenter. Il craint par dessus tout la réelection en novembre prochain du président américain Barack Obama, qui serait alors libéré de toute pression électorale pour son deuxième et dernier mandat, et pourrait plus facilement faire pression sur lui pour un arrêt de la colonisation et une relance des négociations avec les Palestiniens.

Ensuite, la reprise des contestations sociales en Israël depuis une dizaine de jours n’est qu’une bombe à retardement à l’intérieur du pays, où la droite peut difficilement sortir vainqueur face à une majorité d’Israéliens qui considèrent l’occupation comme le problème numéro un pour permettre un retour de l’Etat providence afin de les aider. Enfin, question franco-française mais pas seulement, la victoire de François Hollande à la présidence française n’est pas une bonne nouvelle du tout pour Netanyahou, alors que le président Sarkozy s’est révélé être le plus fervent défenseur d’Israël ces dernières années. Avec le retour de la gauche et une certaine tradition de rééqulibrage avec sa politique dite arabe, cela pourrait fort gêner le gouvernement israélien – ou les gouvernements israéliens- dans les cinq années à venir.

 

 

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).