Journalistes congolais, humanitaires étrangers…

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La confiance impossible

Par Pascal Chirhalwirwa

« La plupart des journalistes congolais sont mal formés, ils sont corrompus et politisés… Comment leur faire confiance ? C’est un immense gâchis, car placés dans des conditions de vie et de travail normales, dans une rédaction bruxelloise ou parisienne par exemple, la plupart d’entre eux n’auraient rien à envier à leurs confrères… »

 Ce jugement sans nuance et  amer d’un humanitaire belge, un expatrié comme on dit à Kinshasa, en dit long sur les relations entre les ONG internationales et la presse congolaise. Comment créer de la confiance aujourd’hui entre ces journalistes et des sources d’information aussi importantes en temps de crise humanitaire que les ONGI, les Nations unies ? Depuis le milieu des années 90, la RDC est en état de guerre. Le nombre de tués communément admis oscillent entre 4 et 5 millions. Ces chiffres, cependant, sont farfelus et ne reposent sur aucun travail sérieux. Dire cela n’est pas nier le très grand nombre de victimes, en majorité des civils, hommes, femmes et enfants tombés lors des combats, d’opérations de représailles, décédés de maladies ou d’épuisement et de faim…

Après le génocide de 1994, des milliers de hutus rwandais ont fui la prise de pouvoir à Kigali par le FPR de Paul Kagamé. Ils ont trouvé refuge dans les forêts et les collines de l’Est de la RDC. Ces hutus ont créé un mouvement de rébellion, les FDLR, manipulé par Kinshasa contre Kigali. Les FDLR ont «pourris» depuis lors les relations entre les deux voisins. Le 20 janvier dernier, une opération militaire menée par Kigali avec l’accord de Joseph Kabila, dans un retournement d’alliance inattendu, est déclenchée pour «anéantir» les rebelles hutus. Elle s’est achevée en février. Cette intervention musclée rwandaise – plus de 6.000 hommes, et les attaques des rebelles, ont provoqué en quelques semaines la fuite de plus de 160.000 civils congolais, selon le HCR. Le Rwandais Paul Kagamé et le Congolais Joseph ont estimé que l’opération était une «réussite». Mais les FDLR sévissent toujours, même s’ils ont subi de lourdes pertes, même s’ils sont aujourd’hui en grande partie désorganisés… Depuis début mars, la Mission des Nations unies, la Monuc, et l’armée régulière congolaise, les FARDC, ont pris le «relais» des troupes rwandaises pour «déloger» les rebelles hutus. Au cours des deux premières semaines de mars, les actions de représailles des rebelles ont fait fuir plus de 30.000 personnes dans le Kivu…

Dans la partie Est du pays, la sécurité du journaliste et du défenseur des droits de l’Homme est menacée quand ils tentent de faire leur métier. L’Etat de droit n’est qu’un mot, encore moins ancré dans la réalité qu’à Kinshasa. C’est un constat à poser comme en préambule pour bien saisir dans quel contexte politique travaillent les journalistes de ce pays. Les stations  radios communautaires basées dans l’Est (Radio Ushirika, Radio Dorika FM, Radio rurale Kanyabayonga) ont été fermées et pillées lors de l’opération menée en février dernier par Kigali contre les rebelles hutus rwandais, les FDLR, établis dans l’Est de la RDC depuis le génocide de 1994. A la même époque, un peu plus loin, dans le territoire de Lubero, la station de la Radio Communautaire Tayina a été incendiée par les rebelles qui fuyaient les troupes rwandaises.

Les journalistes, comme le reste de la population civile, sont victimes des hommes en armes, quels que soient leurs bords, armée régulière ou rebelles. Ils sont aussi arrêtés, intimidés pour avoir révélé -ou être empêcher de le faire- des informations jugées successibles de compromettre le prestige et l’action de certains dirigeants et acteurs politiques et militaires. La ville de Bukavu occupe, à l’Est, la tête du triste palmarès de l’insécurité dont sont victimes les journalistes et défenseurs des droits humains. Reporters sans Frontières titrait ainsi un rapport en décembre dernier : « Bukavu, la cité du meurtre : enquête sur les assassinats de journalistes dans la capitale du Sud-Kivu ». Ce rapport fait état de trois journalistes assassinés à Bukavu en l’espace de trois ans. Journalistes, acteurs de l’humanitaire et défenseurs des droits de l’Homme paient un lourd tribu…

Pascal Kabungulu kibembi, activiste des droits de l’homme, secrétaire exécutif de l’association de défense des droits humains « Héritiers de la Justice » et vice-président de la Ligue des droits de la personne dans la région des Grands Lacs a été tué par balle à son domicile dans la nuit du 31 au 01 août 2005. Serge Maheshe Kasole, juriste de formation et secrétaire de rédaction à la station de radio Okapi à Bukavu, a été lâchement assassiné en plein centre ville de Bukavu le 13 juin 2007.  Son collègue Didace Namujimba assassiné aussi, le 21 novembre 2008 à quelques mètres de son domicile. « Trois meurtres en tout cas restés impunis, tant la police et la justice se sont acharnées à ne pas retrouver les coupables. Ou, pire encore, à remettre en liberté ceux dont tout désigne la responsabilité directe des hommes politiques, des militaires, des trafiquants mafieux, autant de groupes violents qui font la loi au Kivu. Malgré les pressions des Nations-unies, de l’Union européenne et des ONG, le gouvernement de la République démocratique du Congo et l’armée congolaise s’abstiennent de rétablir l’ordre et la justice », s’inquiètent les enquêteurs de Reporters sans frontières.

A chacun sa chapelle…

Au niveau national, les organes de presse peuvent se distinguer ainsi : les média d’Etat dont la Radio Télévision Congolaise, la RTNC, et l’Agence de Presse du Congo, les média privés appartenant majoritairement à des acteurs politiques (en forte concentration à Kinshasa, la capitale), les média privés associatifs et communautaires qui sont très présents dans les provinces, et Radio Okapi qui est un projet conjoint des Nations unies et de la Fondation Hirondelle, basée à Génève.

En règle générale, l’engagement de ces média, leur ligne éditoriale sont souvent tributaires du positionnement politique du propriétaire, du patron « de la boîte ». Le professionnalisme et le respect du code de déontologie sont parfois relégués au fond d’un tiroir, comme autant de considérations perturbatrices, voire inutiles. Là, seule Radio Okapi peut afficher un bilan plutôt positif.

La RTNC est le média officiel. Un média sous influence… L’accès à la RTNC pour qui n’est pas en «harmonie» avec la ligne du pouvoir est difficile… et les mauvaises pratiques journalistiques – manque de professionnalisme, non-respect de la déontologie, y sont monnaie courante… «Des mauvaises pratiques que l’on retrouve dans d’autres médias qui s’affichent pourtant indépendants»,  regrette Claude Mululu, un  agent humanitaire qui travaille pour les Nations unies à Bukavu. «Si la  RTNC est utilisée dans cette crise de l’Est comme outil de guerre en diffusant des messages idéologiques et bellicistes, les  médias  privés communautaires et les autres, globalement, se sont rangés d’une manière ou d’une autre  derrière  un des acteurs du conflit», note de son côté Maître Arnold Nyaluma, enseignant à la faculté de droit de l’université catholique de Bukavu. A chacun sa chapelle politique nationale ou locale et ses sources de financement… Dans l’Est cependant, il convient de noter que les radios dites associatives ont fait et font un réel travail en direction des populations locales.

Thierry Amisi, le Directeur des informations à la RTNC de Bukavu est conscient des critiques faites à sa station. Il constate cependant avec satisfaction que la production d’émissions en collaboration avec les radios communautaires fait évoluer le média d’Etat et lui confère une meilleure image.

«D’après notre entendement et au regard des valeurs communes de la profession que nous sommes appelés à promouvoir, les médias de quelques obédiences qu’ils soient, devraient concourir pour le retour de la stabilité à l’Est de la RDC, déclare Kizito Mushizi,  le Directeur de Radio Maendeleo de Bukavu.  «Dans une zone en conflit ou post-conflit, les média ont le devoir d’aider les communautés à briser leurs préjugés et à comprendre  qu’on partage les mêmes aspirations pour un mieux être»,  affirme de son côté  Dieudonné Malekera, un journaliste congolais spécialiste des questions de paix dans la région des Grands Lacs.

Les média étrangers, contrairement aux média congolais, ont des moyens financiers et des ressources humaines réellement professionnelles. Les équipes de ces organes de presse internationaux, comme la BBC, RFI ou encore France 24 ont un véritable accès aux sources d’information. Il suffit d’avoir fait un peu de terrain comme on dit, du reportage en Afrique, pour savoir qu’une ONGI, qu’une Ambassade, que les Nations unies sur place se sentiront, disons, obligés à l’égard de nos confrères venus d’Europe ou des Etats-Unis. Il y a comme une bienveillance, parfois une connivence, même si le journaliste étranger et son interlocuteur joue au jeu «du chat et de la souris», même si, bien sûr, la source essayera toujours de manipuler le journaliste… Ceci est en quelques sortes dans l’ordre des choses et c’est le métier… Ce qui est regrettable, c’est cette différence de traitement que font ONGI, diplomates, Nations unies etc… entre journalistes «pays» et journalistes étrangers. Certes les média congolais sont convoqués aux conférences de presse. Certes ils ont accès à certaines sources…. Mais les relations vont rarement au-delà, comme si cela «rapportait» peu à une ONGI de communiquer avec un journaliste local, comme si le diplomate ou l’attaché défense se méfiait du journaliste congolais… Ont-ils tort ? «Nous-mêmes nous nous posons cette question, dit un confrère, nous déplorons cet état de fait dont nous sommes certainement en partie responsable. Notre problème se pose en terme de compétences, d’équipement et de salaire…»  Le système très répandu de « coupage », qui consiste à recevoir une « enveloppe » pour diffuser une information, a sapé la confiance, notamment, des ONGI. Manque de crédibilité du journaliste congolais et absence de confiance entre lui-même et ses sources…

 

L’exemple de radio Okapi

Le rôle joué par Radio Okapi, ce projet des Nations unies et de la Fondation Hirondelle, a été déterminant.  De part sa couverture, le contenu de ses programmes, Radio Okapi est devenu très vite une radio nationale d’information généraliste et populaire, rigoureuse et indépendante, au ton assez libre. C’est l’avis partagé par bon nombre de spécialistes et acteurs du paysage médiatique congolais. Radio Okapi est la seule radio qui couvre l’immense territoire de la RDC grâce à son réseau de stations provinciales. En fait, les journalistes trouvent dans cette radio des conditions normales d’exercice du métier. Un encadrement professionnel qui permet d’évoluer, des équipements dignes d’une radio du Nord, des conditions de travail et de vie tout simplement bien meilleures que dans n’importe quel organe de presse congolais. Qu’un journaliste se présente au nom de Radio Okapi auprès des humanitaires et les portes s’ouvrent… Les portes s’ouvrent non plus aujourd’hui parce-qu’il s’agit d’une station créée et financée par les Nations unies, ce qui a pu être le cas au démarrage, mais parce-que les journalistes ont acquis une réelle crédibilité.

Peu de journalistes congolais ont à ce jour couvert à proprement parler le conflit dans l’Est du pays. Par manque de moyens et de savoir-faire bien sûr et parce qu’il est plus facile de commenter les joutes politiques kinoises et d’arrondir à l’occasion ses fins de mois, mais aussi parce-qu’au Congo, un journaliste n’est que très rarement seulement perçu pour ce qu’il est… Il est aussi, dans le regard de l’autre, de telle ou telle région, de telle ethnie, de tel clan etc… donc un ennemi potentiel.

« Contribuer à la consolidation du processus de paix, à la relance du développement et redonner espoir aux populations frustrées et meurtries par les affres de la guerre ! C’est le rôle des médias face à la crise qui secoue notre pays », affirme Jolly Kamuntu, un journaliste de Radio Maendeleo à Bukavu, en forme de profession de foi… « Le niveau des journalistes pourrait être bon ici, constate sous couvert de l’anonymat un « expat », un humanitaire d’une grande ONG française, mais ils sont pris dans trop de difficultés et de contradictions. Il leur faudrait un cadre permanent de formation, un milieu plus stimulant et rassurant qui leur permettrait de progresser et qui constituerait, ne nous voilons pas la face, un rempart, une protection face aux lobbyes politiques et économiques. C’est certain, les relations entre média et humanitaires s’en trouveraient grandement améliorées. »

Pascal Chirhalwirwa est animateur Provincial de l’Antenne Est-RDC de l’Institut Panos Paris.

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