L’après Fukushima : rencontre avec des paysans sans terre…

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Manifestation de paysans de Fukushima, le 26 mars 2011, devant le siège du géant du nucléaire japonais Tepco

Tous deux ont été déracinés, chassés de leurs terres par la catastrophe nucléaire de Fukushima. Paysans particulièrement actifs dans la promotion d’une agriculture biologique, Toshihide Kameda et Shimpei Murakami portent l’histoire de centaines d’exploitants de la région de Fukushima: leurs terres, leurs vies, ont été irrémédiablement empoisonnées par la radioactivité. Leur exil les a portés en France, où à l’invitation de Hiroko Amemiya, chercheuse en agronomie installée en Bretagne, et de son mari Marc Humber, directeur  de l’Institut français de recherche sur le Japon contemporain, ils ont lancé un appel à l’entraide entre paysans-citoyens au-delà des frontières.

Shimpei Murakami a 52 ans. Jusqu’au 11 mars, il vivait sur sa ferme avec femme et enfants, dans le village de Iitaté. A 50 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima.  « Mon exploitation ne se trouve pas dans la zone interdite de 20 kilomètres autour de la centrale, où les gens ont reçu l’ordre officiel d’évacuer. Mais le lendemain de la première explosion sur les réacteurs de Fukushima, j’ai compris qu’on se dirigeait vers une catastrophe similaire à celle de Tchernobyl. J’ai donc décidé très vite de partir, et d’aller me réfugier, avec ma famille, à 500 kilomètres de là ». La suite des évènements a donné raison à M. Murakami.

Toshihide Kameda, lui, cultivait la terre de ses ancêtres, installés depuis plus de 250 ans dans la région de Fukushima. Président de la confédération des paysans du département, il connaissait les risques liés à la construction de la centrale nucléaire à moins de 20 kilomètres de sa ferme. Depuis les années 70 et les premières centrales japonaises, Kameda avait mené la fronde paysanne contre le nucléaire. « Cela faisait 6 ans que nous dénoncions les problèmes dans le système de sécurité de la centrale de Fukushima-Daichi. Après les grands séismes de Sumatra et du Chili ces dernières années, on avait bien compris que le risque de tsunami pourrait être dévastateur ici. Mais le discours officiel de Tepco a toujours été de nier ce risque.»

Alors le 11 mars, quand la vague dévastatrice déferle sur les côtes, Tohishide Kameda prend vite conscience du danger. « Dès le 12 mars, le jour où le premier réacteur a explosé, nous avons été avertis qu’il valait mieux s’enfuir, et nous sommes partis à 60 kilomètres de là, dans ma famille. Les jours suivants, on a pu revenir chez nous, mais c’est là qu’on a appris que notre maison se trouvait dans la zone de confinement. J’ai moi-même pu utiliser l’unique compteur Geiger de la commune, pour mesurer les taux de radioactivité, et j’ai constaté qu’ils étaient très élevés. »

Toshihide Kameda
Toshihide Kameda

Quand on lui demande à quoi ressemble sa vie aujourd’hui, et comment il voit son avenir, Toshihide Kameda s’assombrit: « Aujourd’hui, en tant que président de la Confédération des paysans de Fukushima, je dois m’occuper d’obtenir les indemnités de la part de Tepco et du gouvernement pour moi et les autres agriculteurs sinistrés. Après je penserai à mon avenir… C’est très difficile: je sais que ma maison est dans la zone interdite, que je ne pourrai sans doute jamais plus retourner sur mes terres. Je reçois des propositions d’aide, de terres où m’installer ou de logements gratuits… Mais je crois que je n’ai pas encore accepté l’idée de quitter ma terre et de recommencer ailleurs. C’est une décision très dure à prendre pour moi, je sais qu’il faut que je m’y résigne mais je n’y arrive pas. »

L’entraide, c’est ce qui peut sauver ces paysans sans terre, premières victimes de la catastrophe qui leur a volé à la fois leur toit mais aussi le moyen de subsistance de leur famille. « Moi je vis à présent à 700 kilomètres de Fukushima, je loue une ferme », reprend Shinpei Murakami. Là, dans le sud du pays, se trouve le lycée agricole associatif « Aïno » où Murakami a fait ses études. Aïno veut dire « aimer l’agriculture » en japonais. Dans ce lycée, on enseigne une agriculture saine et biologique. « J’ai demandé de l’aide à l’association, pour nous accueillir, moi et une cinquantaine de paysans délocalisés de Fukushima, se remémore Murakami. Un mois plus tard, il restait 25 personnes, sept familles. Aïno nous a permis d’occuper gratuitement des logements, et grâce à leur aide nous allons essayer de nous installer dans cette région. Je ne sais pas si c’est le meilleur moyen, mais au moins ça donnera la possibilité aux paysans sinistrés de réfléchir à leur avenir, de voir s’ils pourront retourner sur leurs terres ou pas, tout en maintenant une activité agricole. »

Shimpei Murakami
Shimpei Murakami

L’agriculteur le reconnaît, sans cette solidarité venue des réseaux d’agriculture bio dont il fait partie depuis ses études, il n’aurait sans doute pas pu traverser cette épreuve, et retrouver une terre. « Il y a des centaines d’agriculteurs isolés, sans soutien, c’est pour eux que c’est vraiment dur », confirme Toshihide Kameda. La sphère bio et le mouvement « slow-life » qu’incarnait Shinpei Murakami dans son village de Iitaté, semblent les premières à rebondir malgré le tribut payé à la catastrophe nucléaire que ces mêmes agriculteurs prophétisaient depuis des années.

Aujourd’hui de passage en France, c’est ce message que  les deux hommes sont venus faire passer: c’est l’entraide, la solidarité qui permettront de surmonter les drames de l’après-Fukushima. La solidarité, elle, peut s’exprimer par-delà les frontières, estime Hiroko Amemiya. Ingénieur agronome diplômée en France, elle vit et travaille en Bretagne. Son idée, créer la rencontre et l’échange entre ces paysans japonais sinistrés et des fermiers bretons. Devrait découler de ces rencontres, tout au long du mois de mai, la création de communautés, de fermes collectives qui aideront les déracinés de Fukushima à se réinstaller ailleurs, tout en continuant à promouvoir une agriculture saine et des relations humaines basées sur l’entraide.

Où qu’il s’installe désormais, Murakami le sait, il a désormais une nouvelle raison de se battre. « La première partie de ma vie je l’ai passée à construire une vie saine et naturelle. La catastrophe de Fukushima a détruit tout cela en un éclair. Alors le reste de ma vie, je le consacrerai à lutter pour en finir avec le nucléaire… Je me sens très triste de ce qui s’est passé à Fukushima, mais maintenant on sait que le gouvernement nous a menti, que le mythe de l’énergie nucléaire bon marché et sans danger, tout cela était faux. Donc je pense que c’est le bon moment pour changer la société japonaise et tous les pays qui utilisent l’énergie nucléaire. ».

 

 

Camille Magnard

Camille Magnard

Camille Magnard est journaliste.

Camille Magnard

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