Les étudiants subsahariens au Maroc ou comment se sentir étrangers en Afrique

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Faire l’expérience de vivre et d’étudier à l’étranger quand on est jeune est devenu ces dernières années un impératif  pour réussir son insertion dans le monde du travail. Le Maroc s’impose désormais comme destination pour les étudiants subsahariens pour lesquels une mobilité en Méditerranée représente une opportunité à ne pas manquer. Ils sont plus de huit mille étudiants venus du Sénégal, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, essentiellement de pays africains francophones et représentent 80% des étudiants étrangers du pays.

Depuis les années 1990 le Maroc n’est plus seulement un pays pourvoyeur d’émigrés, il est lui-même devenu un pays d’immigration tout comme ses voisins Algérien et Libyen. Mais au-delà de l’immigration de transit plus ou moins longue, il existe aujourd’hui une immigration en plein essor qui est celle des étudiants. Cette croissance du nombre d’étudiants subsahariens dans les établissements d’enseignement supérieur marocains s’explique d’abord par une politique active du royaume envers les Etats africain. En effet, depuis plus de dix ans le Maroc a mis en place des accords bilatéraux  avec ses voisins subsahariens en offrant des bourses d’études à des étudiants africains. Ces accords représentent le principal volet de la coopération maroco-africaine dont l’objectif est de favoriser des relations économiques et commerciales entre le royaume et son espace africain et d’améliorer sa position politique sur le continent. Au-delà des cadres officiels, de nombreux étudiants viennent par leur propres moyens étudier essentiellement dans des écoles privées.

Mais cet élan positif envers l’Afrique et les Africains censé permettre au royaume de renforcer son identité africaine ne se fait pas sans embûches au sein de la société marocaine. En effet, bien que bienveillante à l’égard des touristes et immigrés européens cette dernière ne réserve pas le même accueil aux jeunes étudiants subsahariens qui éprouvent de grandes difficultés à s’intégrer. Alors qu’étudier à l’étranger est considérée comme une expérience inestimée pour nombre d’entre eux, leur quotidien est rythmé par les discriminations, le harcèlement et le racisme, ce qui les pousse à une plus grande solidarité entre eux et à se replier dans le communautarisme.

Etudier au Maroc : une opportunité à ne pas manquer

Les raisons qui poussent les étudiants subsahariens à venir étudier au Maroc sont multiples et dépendent surtout du parcours individuel de chacun, mais il existe tout de même une dynamique collective qui fait ressortir trois raisons majeures en faveur de cette mobilité intra-africaine. La première raison est la volonté absolue d’émigrer et étudier à l’étranger constitue un prestige que finalement seule une minorité peut s’offrir. Un nombre significatif d’étudiants avoue cependant que le choix du Maroc est un choix « faute de mieux », la plupart n’ayant pas les moyens financiers ou les possibilités administratives d’aller étudier en Europe. La deuxième raison est d’ordre relationnel, parfois familial. En effet,  le choix du Maroc se fait en connaissance de cause, puisque la plupart des étudiants ont un parent ou un ami déjà installé au Maroc ou qui l’a déjà été par le passé. Ils font donc essentiellement appel à leur réseau de connaissances pour assurer leur arrivée puis leur installation dans le royaume. Enfin, à ces deux raisons pragmatiques s’ajoute une troisième que nous qualifierons d’ « idéaliste ». Une petite partie des étudiants rencontrés, essentiellement des nouveaux arrivants, déclarent avoir choisi venir étudier dans un pays africain pour des raisons de proximité géographique, culturelle ou encore confessionnelle et échapper ainsi au stéréotype du migrant qui quitte l’Afrique pour l’Europe ou l’Amérique. Il faudrait cependant effectuer une enquête auprès des étudiants panafricains à la fin de leur cursus universitaire afin de voir si leur panafricanisme a résisté à la dure réalité des étudiants subsahariens au Maroc.

Discrimination, harcèlement, racisme

En effet, partir étudier au Maroc peut se révéler être un voyage plein de surprises. Dans leurs récits de vie les étudiants racontent l’écart entre leurs attentes lorsqu’ils sont dans leur pays et la réalité une fois arrivés dans le pays d’accueil. Le choc des cultures est criant et l’incompréhension totale. La rencontre avec la société marocaine se fait dans trois espaces distincts : l’Université, la Rue et le voisinage pour les étudiants qui habitent en appartement. Selon l’espace, le comportement des marocains auxquels ils sont confrontés est différent. A l’université les rapports avec les étudiants marocains sont plutôt distants, ces derniers sont méfiants à l’égard de leurs homologues subsahariens. Etablir le contact est très difficile car ils s’expriment le plus souvent en arabe, langue non maîtrisée par les étudiants africains. L’expérience de la rue, surtout dans les quartiers populaires, est négative pour la grande majorité des étudiants qui sont insultés – « azzi », mot du dialecte marocain à connotation péjorative désignant les personnes de couleur, étant le terme le plus utilisé pour les qualifier – harcelés, voire lapidés par les jeunes enfants des quartiers. Les relations de voisinage sont quant à elles plus courtoises et chaleureuses, les étudiants y retrouvent des ressemblances avec ce qu’ils ont l’habitude de voir chez eux.

Solidarité et communautarisme

A Marrakech, dans le quartier Daoudiate comme dans tous les quartiers universitaires des grandes villes marocaines, notamment Casablanca et Rabat, on retrouve des microcosmes d’étudiants africains, des communautés subsahariennes repliées sur elles mêmes mais parfaitement organisées. Ils habitent en générale en collocation et partagent en plus du loyer, les frais relatifs aux courses et au transport. Face à l’altérité ils essayent de recréer une atmosphère familiale et familière.

Malgré une grande diversité des nationalités au sein de ces communautés, une grande solidarité se met en place en leur sein. Une solidarité qui se forment non pas en fonction du pays d’origine mais en fonction de leur couleur de peau, « blacks » – terme qu’ils utilisent pour se qualifier. Le phénotype devient pour eux non seulement un référent d’identification au sein de la société marocaine mais également un créateur de solidarité, voire de communauté dans un environnement hostile.

 

 

Khadija Guebache-Mariass

Khadija Guebache-Mariass

Khadija Guebache-Mariass est doctorante en anthropologie politique à l’Université de Nice-Sophia Antipolis.

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