Haïti : les réseaux sociaux cherchent leur voie humanitaire

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Dans les décombres du séisme…

«Mensonges, mensonges, mensonges ! Merci de dire aux gens que « ceci » n’arrive pas ici». Dès qu’elle en a l’occasion, Julia tempête sur son mur Facebook contre les images de pillages à Port-aux-Princes diffusées tout autour du monde par les médias. Membre de la Mission des Nations unies pour Haïti (Minustah), Julia a vécu de l’intérieur le tremblement de terre – et ses répliques, et a spontanément partagé ses impressions sur le réseau social…

A commencer par l’annonce tant attendue par ses proches : «je vais bien, pas blessée, toute l’équipe a pu sortir…», qui a soulevé une vague de «posts» de soulagement provenant du monde entier sur son «Mur». Un message par ailleurs doublé d’un Twitt identique transmis au journal local de sa région d’origine en France et immédiatement mis en ligne sur le site de celui-ci. Dans l’immédiateté – et en l’absence de tout autre moyen de communication, cet outil en tant que système d’émission d’informations a ainsi été largement testé et utilisé pour contacter un proche, sa famille.

La Minustah, qui a payé un lourd tribut dans la catastrophe (92 morts et 7 disparus) a créé sur Facebook un groupe spécifique de recherche des membres de l’ONU. Plus ouvert, le groupe «Earthquake Haïti» revendiquait 85.000 membres, quelques heures seulement après le tremblement de terre.

Mi-janvier, ce nombre était passé à 250.000. Mais selon Julia, l’importance accordée à ces nouveaux médias est fortement à relativiser. «Mis à part faire circuler le nom de certains disparus, cela n’a pas eu un intérêt direct pour les recherches» explique-t-elle, avant de préciser : «pour nous qui nous en sommes tirés cela a certainement pu aider, sur le plan psychologique je veux dire… pour les familles… Cela nous a permis de donner des informations à tout le monde d’un seul coup».

 

Rumeurs

Julia n’est pas la seule à douter des intentions des médias traditionnels, accusés d’avoir pêché par excès de sensationnalisme en diffusant à outrance des images de violences et de pillages. Le chef de l’ONU en Haïti, Edmond Mulet, les a lui-même qualifié  d’«irresponsables». Mais elle ne considère pas pour autant que les informations diffusées sur facebook soient plus irréprochables, et fait même un rappel à l’éthique. «Pour ceux qui y sont restés… ça a été très dur, beaucoup de rumeurs ont circulé sur le réseau. Pour la famille d’un ami disparu, par exemple, ça a été un cauchemar, car des photos ont été diffusées sur Facebook. Des journalistes ont campé devant chez eux…».

Impossible de lutter contre les fausses nouvelles et les erreurs d’appréciation véhiculées par ces médias hybrides au contenu difficilement vérifiable. Twitter, le «héros» des révoltes de Téhéran, a certes de nouveau largement été sollicité pour sa capacité à transmettre rapidement des informations. Avec son lot de fausses informations diffusées : la mort de l’écrivain Dany Lafférière,  la délivrance de billets gratuits pour les médecins par American Airlines…

Prudent, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a opté pour un site internet plus classique, et peut-être plus efficace, uniquement dédié à la recherche des victimes (www.familylinks.icrc.org). Avec en guise d’avertissement : «Le CICR n’a pas la possibilité de vérifier les informations publiées directement par des particuliers sur le site web (…) Merci d’éviter la publication de noms ou d’informations qui pourraient vous porter préjudice ainsi qu’aux personnes concernées».

Démultiplicateur de don

Un intérêt limité, donc, les réseaux sociaux, en cas de catastrophe humanitaire ? Pas si sûr, car pour les appels à la générosité, la loi de Metcalfe (effet démultiplicateur du réseau) a fonctionné à plein et les dons en ligne ont explosé. Aux Etats-Unis, de nombreux Twitts envoyés par des stars ont permis de recueillir des sommes considérables. En France, les ONG humanitaires qui ont su s’adapter à cet étrange et redoutable outil de collecte ont fortement gagné à investir dans la communication sur tous ces réseaux.

Cinq jours seulement après le début du séisme, la Fondation de France faisait état dans son communiqué d’un résultat de 11,3 millions d’euros reçus dont 5 millions en ligne. Certaines ONG, comme Médecins Sans Frontières, annoncent même un taux de dons en ligne avoisinant les 90%. L’utilisation spécifique des Réseaux sociaux pour recueillir des dons est également à souligner.

L’UNICEF, à l’origine de la mobilisation de nombreuses stars françaises, a lancé un groupe Facebook de collecte au nom évocateur : Pour les Haïtiens : 1 Fan = 1 €. Si plusieurs spécialistes de la sécurité sur internet comme Symantec ou McAfee ainsi que des responsables du FBI ont appelé les internautes à la vigilance, au vu des nombreuses arnaques qui se sont développées sur les réseaux sociaux (par le biais de l’usurpation d’identité le plus souvent), leur incidence est marginale. Et la plupart des donateurs savent généralement à quelle association donner.

Ces nouveaux réseaux n’ont certainement pas détrôné les médias traditionnels, beaucoup plus accessibles pour les Haïtiens totalement démunis. Des équipes de reporters, très vite, sont arrivées sur les lieux du drame. Et un travail formidable de coordination a été réalisé par ces envoyés spéciaux et des techniciens du monde entier pour rétablir un réseau de radios et un centre d’échange entre journalistes haïtiens et étrangers.

Mais il est intéressant d’observer la maturité naissante, la puissance, l’utilité indéniable et la nocivité potentielle de ces réseaux sociaux. Média hybride, à la fois contenant et contenu, outil d’information ou de contre-information, de recherches et de collectes de fonds : Facebook et Twitter peuvent être critiqués, et la vacuité de certains propos que l’on peut parfois y lire peut certainement lasser. Sans système véritable de régulation ni filtre pour vérifier et recouper les informations, la remise en question de l’«outil» est également inévitable.

Lors d’une telle tragédie, ces réseaux ont cependant largement prouvé leur intérêt et leur efficacité. Des témoignages directs, bruts d’un drame vécu -à partager et faire partager-, sont envoyés par ceux et celles comme Julia qui disposent d’Internet là où ils se trouvent. Ainsi cette dernière impression postée sur son «Mur» : «Julia Littmann ne trouvera jamais assez de mots pour décrire le courage et la dignité du peuple haïtien».

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

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