Maasaï, la destruction programmée d’un peuple premier emblématique d’Afrique

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Prédisant l’intrusion en terre maasaï d’un rhinocéros en fer monté par un Géant rose, Mbatiany, leur dernier grand prophète d’avant l’arrivée des Blancs, en avait conclu ceci : « je vois en cela la fin de la Terre-Mère et la fin de mes enfants… Les étrangers viendront en masse, détruiront notre terre et détruiront mon peuple qu’ils tenteront de garder sous leur joug »…

Même si les Maasaï, à la différence de la plupart des autres ethnies, n’ont jamais accepté le postulat de l’inégalité sociale et la supériorité du modèle occidental, l’on constate aujourd’hui que cette prédiction s’est malheureusement réalisée, avec la spoliation massive de leurs terres, la destruction de leur mode de vie pastoral et le dépouillement du pasteur traditionnel. Les Maasaï, environ 900.000, sont situés de part et d’autre de la frontière entre le Kenya et la Tanzanie. Historiquement, la problématique de leur non reconnaissance et de leur spoliation s’est avérée fort différente.

Contrairement au Kenya qui fut une colonie de peuplement puis un Etat post-colonial à économie libérale, la Tanzanie (ex.Tanganyika allemand mis sous mandat puis tutelle britannique) quant à elle, a connu à l’indépendance une longue expérience collectiviste (connue sous le nom d’Ujamaa). Pourtant au final, depuis qu’au début des années 90, l’Occidentalisation du monde, au sens de l’exportation d’une culture purement négative fondée sur le culte de la consommation, s’est universalisée. On aboutit alors à la même grande braderie des pâturages des Maasaï et à leur exclusion brutale de leurs terres ancestrales. Qu’on se trouve d’un côté ou de l’autre de la frontière, la théorie officielle a toujours soutenu ce vol : les Maasaï incarnent la « barbarie » tandis que les colons puis les Etats dits indépendants sont LA « civilisation ». Tout mouvement d’un pôle vers l’autre devenant synonyme de progrès. N’ayant pas de culture, ils doivent laisser leurs terres à des « civilisés » qui en font un meilleur usage !

Les Maasaï du Kenya, victimes de la plus grande
spoliation de terres de toute l’histoire de la Colonisation britannique

Les pâturages de la vallée du Rift et du plateau de Laikipia, c’est-à-dire les hautes terres du pays maasaï, décrits par les officiels anglais comme les meilleurs du monde, sont naturellement devenus la proie idéale du chasseur de terre. Le pays de l’homme blanc est né ! Il suffit d’évincer les Maasaï de chez eux et de les placer dans une réserve, qualifiée non sans cynisme de « jardin d’Eden ». Ce qui est achevé en 1911 par le truchement de deux traités iniques.  Non seulement ils perdent plus de la moitié de leurs terres et la quasi-totalité de leurs cours d’eau permanents, mais ils se retrouvent prisonniers de pâturages relativement médiocres, infestés de tiques et de mouches tsé tsé. C’est cette réserve qui constitue, côté kényan, le pays maasaï que l’on connaît aujourd’hui. Nous ne dirons jamais assez combien, outre les nombreuses pertes en vies humaines et animales provoquées, l’aliénation de leurs riches pâturages du Rift autour des lacs Naivasha, Nakuru et Baringo et des rivières permanentes qui s’y déversent, a étranglé les Maasaï et leur mode d’exploitation en rotation.

A l’indépendance, les terres maasaï sont divisées en ranchs collectifs. Désormais, les familles sont contraintes de se regrouper de façon permanente sur des portions délimitées avec des titres collectifs de propriété. L’objectif non avoué de la réforme foncière est de tirer un trait final sur le pastoralisme traditionnel jugé archaïque, pour ne garder qu’une minorité « d’entrepreneurs privés ». Les hommes politiques y contribuent très largement en plaçant sous leur domination absolue les comités directeurs de ces ranchs qui, au lieu d’en référer à leurs membres, n’obéissent qu’à leurs puissants « patrons » et leur livrent des parcelles prélevées en toute illégalité sur les terres collectives. Marginalisés durant trente ans par leurs propres leaders corrompus, les Maasaï en sont venus à se résigner à la privatisation de leurs terres.

Cette politique est mise en place dans les années 1990. Comme en 1911, les véritables enjeux sont ignorés par les victimes. Un réseau d’hommes politiques et de hauts fonctionnaires organise depuis lors un racket foncier à grande échelle, avec exclusion des cadastres, fausses déclarations, substitution de noms, manipulation des empreintes de pouces, remplacements de vrais titres par des faux, etc. Les serres géantes de fleurs, les élevages de poulets et d’autruches, la monoculture du blé à grand renfort d’inputs technologiques et au mépris de l’environnement, ont ainsi pu s’y installer à leur place… Mais ce n’est pas tout.

Les Maasaï sont confrontés à une autre manifestation redoutable de cette supposée « civilisation »: dans une même logique d’exclusion et sur les meilleures terres qui leur restent, fleurissent aussi des politiques drastiques de conservation de la faune sauvage. Priorité est donnée à la création tous azimuts d’espaces protégés appelés réserves ou parcs nationaux. Les terres qu’on leur soustrait à nouveau renferment en effet les plus grandes densités et variétés de wildlife au monde : Maasai-Mara, Amboseli, Tsavo, Nairobi, etc. Ce sont pourtant les Maasaï qui, par leurs activités purement pastorales et leur sens du sacré ont façonné cette nature et permis l’épanouissement de cette exceptionnelle biodiversité. C’est David Western, célèbre biologiste animal (ex-patron du département de la Faune Sauvage du Kenya) qui l’affirme : « on ne peut isoler les parcs, ce sont de grands écosystèmes intégrés où la faune sauvage et les vaches des Maasaï ont de tout temps migré ensemble. Si l’on persiste à mettre les animaux sauvages dans les parcs et les vaches dehors, c’est certain, ils vont tous souffrir ! »

Et, me semble-t-il, la faune sauvage finira par disparaître au profit de zoos clôturés. Ce que l’on ne dit pas, c’est que le monde animal sauvage a réellement été menacé d’extinction à cause… des chasseurs blancs qui allaient de carnage en carnage, comme le président américain Théodore Roosevelt qui, venu en safari au Kenya, tua pas moins de cinq mille animaux provenant de soixante-dix espèces différentes, dont neuf rhinocéros blancs, aujourd’hui disparus. Qui sont les sauvages ?

Les Maasaï de Tanzanie, nouvelles victimes
du capitalisme sauvage 

Un exemple très représentatif des violations massives des droits de l’homme dont les Maasaï de Tanzanie sont aujourd’hui victimes, suffira à illustrer notre titre. En 2009, le gouvernement tanzanien n’a pas hésité à chasser plusieurs milliers de pasteurs maasaï de leurs terres ancestrales pour permettre à une société de chasse des Emirats Arabes Unis: « Ortello Business Corporation », de s’y installer à leur place. Ceci s’est passé à Loliondo, dans le district de Ngorongoro, où pas moins de deux cents maisons traditionnelles ont été réduites en cendres par des centaines de policiers en furie. Le préfet de cette région à l’origine de l’ordre d’éviction, a déclaré qu’il avait requis « l’usage de la force raisonnable et de la prière avant de passer à l’action » et que de toute façon, « hormis le feu mis à leurs village, il n’avait eu à déplorer aucune atteinte aux droits de l’homme »!

 

 

 

Xavier Péron

Xavier Péron est anthropologue politique, écrivain, auteur de « Je suis un Maasaï » (Arthaud, 2007).