Malgré un nombre record d’agressions contre les journalistes, les autorités trainent les pieds pour mettre en place un vrai mécanisme de protection. Pourtant, la situation d’impunité quasi-totale – 98% des violations de la liberté de la presse restent impunies – l’exige de toute urgence.
Les années passent, les morts s’accumulent. Avec 73 journalistes tués depuis 2000 selon Reporters Sans frontières (68 selon la Commission nationale des droits humains du Mexique), 13 disparus depuis 2005 et 22 attaques contre des rédactions depuis 2005, le Mexique a gagné la triste palme du pays le plus dangereux du continent américain pour le journalisme. Régulièrement, la disparition d’un reporter, l’assassinat d’un rédacteur en chef ou une attaque à la grenade contre une rédaction se rappelle à l’opinion. Il y a peu, le squelette de Noel López Olguín, journaliste de la région de Veracruz, a été découvert après l’arrestation d’un criminel au début du mois de juin. Le reporter avait disparu en mars. Il dénonçait les méfaits de la mafia et des narcotrafiquants locaux.
Une fois de plus, un mécanisme de protection pour les journalistes a été exigé. Par le rapporteur spécial des Nations Unies pour la promotion et la protection de la liberté d’expression Frank La Rue, cette fois. Car si la violation à la liberté de la presse atteint un tel niveau au Mexique c’est bien à cause de l’apathie totale des autorités face au problème. Pire, « dans beaucoup de cas, ceux qui sont censés protéger les journalistes, sont eux-mêmes les auteurs des crimes et délits », observe Oscar Elizundia, chargé de la protection des journalistes à la Commission nationale des droits humains du Mexique. Cet organisme public et indépendant reçoit les plaintes des journalistes menacés, enquête, signale, compile. Et recommande des mesures de protection. « Notre préoccupation majeure, c’est l’impunité », explique Oscar Elizundia. « L’impunité concerne 98% des cas d’agressions à la presse ! Quel message l’autorité n’envoie-t-elle pas à ceux qui veulent transgresser la loi », déplore –t-il.
Un plan de protection pour les journalistes
L’assassinat de Luís Carlos Santiago Orozco, photographe du Diario de Juárez (nord du Mexique) le jour même où le Mexique fêtait le 200e anniversaire de son indépendance le 16 septembre dernier, a contraint le président Felipe Calderón a réagir. La création d’un « plan de protection pour les journalistes » a été annoncée dans la foulée. Avec notamment un mécanisme inspiré des mesures mises en place dans d’autres pays d’Amérique latine. Le Brésil par exemple a lancé en 2004 son Programme national de protection des défenseurs des droits de l’homme, qui inclut les journalistes.
Gilet pare-balles, assistance psychologique, protection rapprochée, communication permanente avec la police ou aide financière. Une série de mesures concrètes peuvent être appliquées lorsqu’un reporter signale qu’il est menacé.
Au Mexique, neuf mois après l’annonce de la mise en place des mesures, sous la pression des ONG et de l’ONU, force est de constater que rien n’a vu le jour. Sauf un brouillon final de document qui a filtré dans la presse. Elaborés par la Secretaría de Gobernación (ministère de l’Intérieur), les « lignes directrices pour le comité de protection des journalistes » sont résumées dans un document interne de 8 pages rédigé en jargon administratif.
« Ce n’est qu’un brouillon mais le document est très vague », juge Daniela Hernández du Cencos, une ONG de défense de la liberté de la presse au Mexique. « On attendait un manuel pour les journalistes, c’est-à-dire savoir à qui s’adresser en cas d’urgence, mais il n’y a toujours pas de cadre juridique, pas d’autorité responsable ni de catalogue de mesures », regrette le Cencos.
Pour le moment donc, les reporters menacés doivent s’adresser à la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Ce fut le cas d’Anabel Hernández. Cette journaliste a publié fin 2010 une enquête intitulée Los señores del narco. Elle y met en cause le ministre de la Sécurité publique, Genaro García Luna, et son entourage, pour leurs liens avec le premier cartel de drogue mexicaine, celui du Sinaloa. Les menaces n’ont pas tardé : elle a appris qu’un faux accident était planifié contre elle, en haut lieu. « Après la publication de l’article, Anabel Hernández a reçu des menaces de l’autorité fédérale. Nous avons donc sollicité une protection rapprochée de l’autorité locale de la ville de Mexico », détaille Oscar Elizundia.
Dans un climat d’impunité et de violation des droits humains par les autorités, la CNDH fait ce qu’elle peut. L’institution met à disposition une ligne téléphonique ouverte en permanence. Mais elle n’a aucun pouvoir coercitif ! Seulement celui d’émettre des recommandations aux parquets locaux ou aux services de police qui n’ont pas fait leur travail. Libre ensuite à eux de les suivre ou non.
« Depuis 1999, nous avons 678 dossiers en matière d’atteintes au droit des journalistes et nous avons émis 66 demandes de mesures de protection depuis 2005, mais elles ne sont pas toujours suivies d’effets », regrette Oscar Elizundia. Il se veut cependant optimiste : « la réforme constitutionnelle nous permettra de convoquer au congrès une entité qui n’a pas respecté nos recommandations », conclue-t-il.