Obama, le discours du Caire…

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Du verbe à l’action ?

L’intervention du président Obama à l’université du Caire est indéniablement un discours fondateur qui  manifeste une volonté politique de prendre «un nouveau départ» dans les relations avec, sinon le monde musulman, tout au moins les musulmans ;  il marque aussi l’engagement américain à faire face, avec un nouvel esprit, et avec détermination, aux défis  qui se développent dans l’arc de crises  qui s’étend du Proche Orient au Pakistan, même si son contenu relève plus de l’affirmation de grands principes que d’un plan d’action pour résoudre les crises.

Le ton et le vocabulaire employés frappent d’emblée. Des mots que l’on avait rarement entendus de la part d’un président américain ont été dits avec conviction. La modestie de l’approche contraste avec la flamboyance, voire l’arrogance, de son prédécesseur.

On notera que le mot guerre n’est utilisé que pour le récuser, en affirmant que les Etats-Unis « ne sont pas en guerre contre l’islam ». Le mot «leadership», incontournable dans les discours officiels américains, cède la place à celui de «partnership» et de «respect mutuel».

Même s’il entend tourner la page du passé et regarder vers l’avenir, il est symptomatique que, sans faire explicitement acte de contrition, Obama marque son désaccord avec certaines pratiques anciennes, d’autres plus récentes.

L’allusion au renversement du « gouvernement élu démocratiquement » du Dr Mossadegh en Iran ou à l’intervention en Irak sans qu’il y ait eu un «consensus international », la constatation qu’ « aucun système de gouvernement ne peut être imposé par une nation à une autre », l’engagement répété de fermer Guantanamo sont révélateurs de cet état d’esprit. D’une façon générale, le propos est clair et la condamnation des «actes contraires à nos traditions et nos idéaux» l’est tout autant.

La façon dont l’islam a été abordé et la relation de l’Amérique avec les opinions ou les pays musulmans est sans doute un des temps forts de ce long discours qui n’a pas hésité à aborder tous les  sujets qui fâchent. Le président souligne le partage des mêmes « principes  de justice, de progrès, de tolérance et de dignité de l’homme ». Ses nombreuses citations, soigneusement choisies, du « Saint Coran », en sont une illustration.

Cependant il va beaucoup plus loin encore dans sa présentation  par l’éloge insistant qu’il fait de l’islam auquel il donne une allure personnelle, en rappelant son second prénom, Hussein, et le fait que son père appartenait à une famille qui «depuis plusieurs générations était musulmane». De même il souligne que l’islam « a de tout temps fait partie de l’histoire américaine», en un mot que l’islam avec ses sept millions de musulmans «fait partie de l’Amérique».

Sur le fond, ce discours dense, qui a listé délibérément  toutes les sources de crispation entre les musulmans et les Etats-Unis, se situe dans la continuité des propos tenus par le président, dès sa cérémonie d’investiture, et par son administration, précisés encore à l’occasion des récentes visites à Washington de B. Netanyahou et Mahmoud Abbas : rappel que la solution en Afghanistan ne peut pas être seulement militaire ; volonté d’aller de l’avant avec l’Iran sans pré conditions; confirmation du retrait des troupes d’Irak ; détermination à mettre en place la solution des deux Etats pour régler la question palestinienne.

Après avoir évoqué les « liens indestructibles (« unbreakable ») » entre les Etats-Unis et Israël, il utilise des mots très forts pour décrire la situation «intolérable» faite au peuple palestinien ou  les « humiliations, petites ou grandes, endurées au quotidien ». Sur le fond, les propos tenus récemment sont confirmés, notamment sur l’arrêt de la colonisation, la nécessité de créer deux Etats et la condamnation du blocus imposé à Gaza.

Le président ne pouvait rester silencieux sur les thèmes chers aux Américains que sont la démocratie, la situation de la femme, les droits de l’homme, la liberté religieuse. Si l’attachement des Etats-Unis est rappelé en termes convenus, on notera un certain relativisme et des silences révélateurs : on est loin de la « croisade » de l’administration Bush en faveur de la liberté et de «l’éradication des bastions de la tyrannie» qui devait promouvoir la démocratie dans le Grand Moyen-Orient.

Chaque nation doit trouver «sa propre voie fondée sur sa tradition » ; le droit des femmes comporte celui de se voiler (mais silence surprenant sur celui de ne pas se voiler) ; le modèle américain de liberté religieuse est vantée mais aucune allusion n’est faite sur sa situation en Arabie saoudite, dont l’engagement en faveur du dialogue interreligieux est par ailleurs rappelé.

Un nouveau départ

A l’évidence, ce discours comme le titre choisi pour le présenter l’indique, constitue un  nouveau départ et le début d’un processus dont le contenu et les modalités restent encore largement à préciser. Prudent, Barack Obama veut laisser toutes les options ouvertes. Il décevra ceux qui attendaient dans l’immédiat des « actions concrètes » ou un plan de paix articulé. L’essentiel reste à faire.

Dans son discours, les silences et les ambiguïtés sont sans doute aussi importants que ce qui a été dit explicitement. Aucune menace, en cas d’échec du dialogue proposé, n’apparaît, qu’il s’agisse de sanctions ou de toute action extra diplomatique.

Que se passera-t-il si l‘Iran poursuit son programme d’enrichissement ? Quels seront les moyens utilisés pour promouvoir les objectifs affichés ? Les Etats-Unis sont-ils prêts à exercer de véritables pressions sur les parties en cause, y compris sur Israël ? A cet égard l’expression utilisée  – « nous n’imposerons pas la paix »- peut inquiéter ceux qui pensent que seules de vigoureuses pressions seront efficaces pour faire progresser le processus de paix.

Un dialogue avec le Hamas, le Hezbollah ou les Talibans est-il envisageable ? Sur ce point le président  fait allusion aux partis « pacifiques et respectueux des lois », expression susceptible de plusieurs interprétations, et évite de qualifier ces groupes de terroristes. Enfin certains regretteront que le président n’ait pas souligné l’interconnexion des problèmes et qu’aucun lien apparent n’ait été établi entre les différents points évoqués.

Il s’agit d’un discours historique qui marque une vraie rupture avec la politique et la rhétorique de l’administration précédente. Il témoigne de l’engagement personnel du président Obama, de sa volonté clairement affichée de réconcilier les Etats-Unis avec les opinons et les pays musulmans, de sa sincérité indiscutable et de sa forte détermination.  Mais il confirme également que le président Obama privilégie le pragmatisme et la prudence. Il reconnaît que la tâche pour briser la méfiance sera longue et difficile, et qu’un discours ne suffira pas à la dissiper, aussi sincère soit-il.

Mais on ne saurait oublier qu’il ne peut que reprendre à son compte les grands objectifs de la politique des Etats-Unis dans cette zone : promouvoir leurs intérêts nationaux, même si ces intérêts sont qualifiés de « mutuels » ; affirmer leur influence dans cette zone stratégique à bien des points de vue; assurer la sécurité des Etats-Unis et lutter contre les groupes terroristes; veiller à ce que la sécurité d’Israël ne soit pas menacée ; s’assurer de la sécurité des ses approvisionnements en hydrocarbures ; lutter contre la prolifération nucléaire ; éviter que ne s’affirment des puissances concurrente; contrer l’influence de l’Iran qui a pris la tête du « Front du refus » ; stabiliser une région où se développent de façon préoccupante chaos et violences. Ces orientations restent les « fondamentaux » de la politique américaine par delà la rupture que représente le discours du Caire.

 

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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Denis Bauchard
Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001). Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.