Où sont les grands reporters africains ?

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L’Afrique est aujourd’hui le continent le plus touché par les conflits armés. Près de la moitié des conflits mondiaux s’y déroulent. La plupart des opérations onusiennes de maintien de la paix y ont lieu. En détruisant les infrastructures sociales et le tissu économique, ces conflits armés provoquent de graves crises humanitaires.

Dans ce contexte, les effets néfastes du sida, de la malaria, de la pauvreté, de l’analphabétisme, de la faim, de la sécheresse, des inondations, etc., se démultiplient et font des ravages parmi les populations. Tel est notamment le cas de la crise des grands lacs africains dont la RDC est le pays le plus affecté.

La guerre congolaise est le conflit le plus meurtrier après la seconde guerre mondiale. Elle a opposé plusieurs Etats africains et groupes armés de la région. C’est pourquoi elle a été qualifiée de «première guerre mondiale africaine». Plusieurs dirigeants africains et occidentaux se sont investis dans la résolution de ce conflit. De nombreuses organisations non gouvernementales internationales se sont déployées sur le terrain pour assister les populations civiles victimes de la crise.

Les médias internationaux ont plus ou moins largement couvert cette «première guerre mondiale africaine». La plupart d’entre eux ont dépêché des correspondants sur le terrain ou y ont recruté des correspondants locaux.

Malgré cette forte médiatisation internationale, peu d’organes de presse du continent noir ont envoyé des correspondants ou recruté des correspondants locaux pour couvrir, à l’instar de leurs homologues du Nord, cette crise majeure de l’Afrique contemporaine. Ils se sont généralement contentés de reprendre des dépêches de grosses agences de presse du Nord ou de faire des analyses du conflit.

Comment expliquer une telle situation ? Est-elle due à la difficulté du terrain congolais ou à la nature du conflit qui s’y déroule ? On serait fondé de l’affirmer si tous les autres conflits africains n’étaient logés à la même enseigne.

Serait-ce alors un manque d’intérêt pour ce conflit ? Rien n’est moins sûr, au regard de nombreux articles qui lui sont consacrés dans la presse à travers le continent. A quelques exceptions près (des journalistes des médias sud-africains ou de Radio Africa n°1, notamment), les organes de presse africains ne couvrent pas les crises africaines en dehors des pays où ils sont basés.

 

Médias et ONG…

 

Ce déficit de prise en charge d’une question par des Africains n’est pas spécifique à la presse. Il touche également d’autres domaines en Afrique et apparaît ainsi comme un problème général. Dans le secteur des sciences sociales et humaines, il est rare de rencontrer un Africain spécialiste d’un pays autre que le sien.

Plus rare encore un expert d’un pays occidental ou asiatique. Même dans les centres de recherche à vocation régionale comme l’association pour la promotion des droits de l’homme en Afrique Centrale (APDHAC) à l’Université Catholique d’Afrique Centrale, les chercheurs sont spécialistes de leurs pays d’origine. Le milieu associatif se trouve dans une situation similaire.

La quasi-totalité des ONGs africaines ne sont opérationnelles qu’à l’intérieur des frontières de l’Etat où elles sont installées, même quand elles s’appellent africaines comme l’organisation congolaise dénommée Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO) ou l’association sénégalaise, Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO).

Ces deux ONGs ont pourtant le statut d’observateur au sein de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Le manque ou l’insuffisance des ressources pourrait expliquer cette tendance des acteurs et des organisations africaines à limiter leurs rayons d’action presqu’exclusivement à leurs pays d’appartenance. Cela affecte particulièrement la couverture médiatique des crises africaines par des Africains.

Manque de volonté politique et peurs

Déployer des reporters dans une zone de guerre nécessite des moyens humains, matériels et financiers conséquents. Or, la plupart des organes de presse africains ont des problèmes sérieux de trésorerie pour faire face à leurs dépenses ordinaires de fonctionnement. Même pour couvrir des activités nationales et locales, il faut une intervention des organisateurs de l’activité.

Nombre de journalistes font ainsi payer les frais de reportage aux organisateurs des activités et manifestations à couvrir. Leurs rédactions manquent cruellement de fonds pour financer les séjours et les voyages, en particulier dans des zones de conflit.

Il arrive  souvent que des fonds occidentaux ou des organisations internationales prennent en charge des journalistes africains pour couvrir des événements importants sur le continent (compétitions sportives continentales ou rencontres internationales).

Par exemple, lors du Forum Social Mondial de Nairobi, les quelques rares journalistes africains non kenyans venus couvrir cette manifestation mondiale ont été entièrement pris en charge (pour le voyage, le séjour et autres frais) par des ONGs dans le cadre de leur partenariat.

Cependant, on peut s’interroger sur le manque des moyens dont souffrent les professionnels de la communication en Afrique. Comment expliquer le dénuement des journalistes des médias d’Etat quand on sait que les dirigeants africains dépensent des sommes colossales en communication en payant des pages entières ou des reportages dans des médias internationaux ?

Il y a manifestement un problème de volonté politique d’assurer aux médias publics les moyens nécessaires à l’action. L’on pourrait également faire, mutatis mutandis, une réflexion similaire s’agissant des médias privés.

Le problème de la couverture médiatique des crises par des organes africains est aussi éthique et institutionnel. Ethique dans la mesure où des journalistes n’hésitent pas à vendre, à marchander leurs articles. Ce marchandage se fait d’une part entre le journaliste et l’acteur social lié à l’événement sur lequel porte l’article et, d’autre part, entre le journaliste et sa hiérarchie.

Cette dernière n’autorise la publication qu’après avoir reçu sa part du prix de l’article que les journalistes camerounais appellent pudiquement «gombo». Quand le «gombo» n’a pas été payé, il arrive souvent que l’article finisse dans les tiroirs de la rédaction. D’autres journalistes publient des articles critiques pour attirer l’attention et se faire acheter.

Problème institutionnel puisque les médias africains ne sont généralement pas outillés pour mettre en œuvre des politiques à l’échelle continentale vu le nombre de conflits. Les organes de presse africains sont souvent mal gérés à l’instar des Etats africains. Avoir des financements ne suffit pas toujours aux journalistes pour qu’ils soient envoyés en reportage. Il leur faut également être en bonne intelligence avec leur rédaction pour obtenir des ordres de mission et pouvoir ainsi solliciter des accréditations. L’obtention des accréditations n’est pas aisé tant les demandes sont parfois nombreuses.

Que l’Afrique parle de l’Afrique au monde

La concurrence des grands organes du Nord ne facilite pas la couverture médiatique par des médias africains. Ces organes disposent de moyens plus importants que leurs homologues du continent noir. Cela leur donne la possibilité de recruter les meilleurs éléments africains pour devenir leurs correspondants locaux.

Travailler pour un média ou une ONG du Nord est d’ailleurs vécu et perçu comme une consécration d’une carrière et une reconnaissance. Il est donc une source de légitimité. C’est ainsi que les médias africains perdent leurs meilleures ressources humaines.

Démunis face à leurs homologues du Nord, les médias africains semblent se résigner à jouer les seconds rôles, soit pour relayer les informations des agences du Nord, soit pour leur fournir des correspondants locaux. Il y aurait une certaine division du travail centre-périphérie comme dans de nombreux autres domaines.

La faible couverture médiatique des crises africaines par des Africains traduit les problèmes politiques du continent : les divisions intestines, la xénophobie, le nationalisme, le tribalisme, les conflits et les tensions interétatiques, les rébellions croisées, etc.

Au Sénégal, les autres Africains noirs sont péjorativement considérés comme des Nyak, c’est-à-dire des gens de la forêt, des sauvages. Les Sud-africains sont de plus en plus mal perçus ailleurs en Afrique pour cause de capitalisme envahissant, d’expulsion d’autres Africains voire d’arrogance.

A cause du soutien de certains Etats aux insurrections chez leurs voisins, leurs ressortissants sont menacés. On imagine mal un journaliste rwandais ou ougandais couvrant les conflits à l’est du Congo. Il serait pris à parti par des Congolais l’accusant de tout, y compris d’espionnage, dans la mesure où on entretient plus ou moins consciemment une confusion entre combattants et civils, entre dirigeants et citoyens, entre politique étatique et conduite individuelle.

L’absence des journalistes africains sur des théâtres de conflits n’est peut-être que l’expression des problèmes politiques du continent : intégration politique et économique, guerre de leadership entre les dirigeants…

Les héritages politiques différents ne permettent pas aux Africains de parler d’une même voix : qu’y a-t-il de commun entre ex-colonies françaises ou britanniques et anciennes possessions belge ou portugaises ? Mais pourquoi donc les journalistes africains devraient-ils parler de l’Afrique ? Que pourraient-ils apporter de plus ? Même si la réponse est évidente, rappelons ce qui tombe sous le sens pour beaucoup d’entre nous…

Tout d’abord l’image renvoyée du continent offrirait une approche plus complexe et diverse. Nous sortirions alors de cette image trop souvent misérabiliste véhiculée par des médias internationaux. L’Afrique peut se présenter elle-même. Le regard d’un Africain sur une crise africaine est différent de celui d’un Occidental, notamment à cause d’une certaine proximité culturelle, d’une certaine sensibilité africaine… La présentation de l’Afrique par le Nord n’est pas nécessairement fausse mais elle est partielle et donc caricaturale. Un point de vue purement africain est possible, souhaitable. Certains médias font cet effort, notamment depuis l’occident. C’est le cas de 3A Télésud ou Africa 24.

Alphonse Maindo

Alphonse Maindo

Alphonse Maindo est Professeur de science politique à l’Université de Kisangani (RDCongo) et chercheur associé au centre d’étude des mondes africains (CEMAF) CNRS/Université de Paris1.

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