Au Zimbabwe, loin des caméras, la lutte contre le choléra se poursuit…

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Alors que le Zimbabwe a connu une épidémie de choléra sans précédent il y a quasiment un an, force est de constater, comme cela se passe toujours après chaque crise qui se trouve un temps médiatisée, que cette crise sanitaire n’est plus sous le feu de l’actualité. Comment cette crise a-t-elle évolué ? Ou quand un humanitaire prend sa plume pour témoigner d’une situation qui n’intéresse plus les journalistes…

Quelles sont les difficultés que rencontrent encore aujourd’hui les populations pour se faire soigner alors même que le système de santé s’est quasiment arrêté de fonctionner plusieurs mois entre 2008 et 2009 ? Autant de questions auxquelles une visite récente des programmes de Médecins du Monde(1) au Zimbabwe m’a permis de commencer à répondre pour envisager l’avenir des actions lancées par l’association, en particulier dans un district rural éloigné de la capitale Harare.

Le témoignage qui suit est aussi une façon très simple de rendre compte des actions entreprises alors même que l’actualité sur cette région est «moins porteuse» comme le disent les journalistes. Car même si il n’y a rien de très médiatique dans la situation actuelle, la lutte pour améliorer l’accès aux soins des plus démunis se poursuit.

25 février 2010. La route de terre qui mène au village de Chibuwe serpente à travers d’un paysage quasi désertique. On identifie de ci de là des villages d’agriculteurs et quelques têtes de bétail.

Cette région isolée du district de Chipinge, située au Sud-Est du pays, à plus de 7 heures de route de la capitale Harare, est très pauvre. Elle a été frappée comme tout le reste du pays par une épidémie de choléra meurtrière il y a un an, quasiment jour pour jour. L’accès aux soins y reste depuis fragile, comme partout ailleurs, avec une prévalence VIH élevée, dépassant 14% de la population générale (soit 350.000 âmes), et un système de santé moribond.

Alors que nous approchons du village, nous devinons un attroupement à côté des deux bâtiments qui composent le dispensaire. Deux panneaux sont visibles avec les logos de Médecins du Monde et celui de l’association World Vision.

Des dizaines de patients attendent…

Devant une des salles de consultation, ce sont des dizaines de mères et d’enfants qui attendent de voir l’un des deux infirmiers présent sur les lieux dans le cadre d’une journée de soins particulière, organisée pour le suivi des plus petits. Elles tiennent entre leurs mains, souvent comme un objet précieux, des papiers usés, des cartes de santé. Les femmes discutent entre elles, et parfois un chant s’élève quelques minutes couvrant le brouhaha de ce regroupement. On se bouscule sans s’agresser en attendant les soins. Les enfants sont assis par terre ou accrochés sur le dos de leur mère.

Juste à coté, un bâtiment, vétuste lui aussi, accueille des dizaines de patients HIV +, en majorité des femmes. Elles viennent comme tous les mois chercher leur traitement et faire des prélèvements de sang qui permettront de connaître leur charge virale. Tout le monde attend en ligne debout calmement, après avoir bénéficié préalablement, sous un baobab géant, de conseils divers sur la maladie par des membres de la communauté, également sous traitement.

L’infirmier qui assure la coordination des activités et des soins nous explique que «heureusement, la situation s’est améliorée depuis un an», mais qu’elle reste fragile. «2008 et 2009 ont été des années terribles. Plus rien ne fonctionnait. Nous sommes maintenant deux infirmiers ici pour accueillir tout ce monde.

Grâce au soutien de la communauté villageoise, et aussi de certaines ONG (en particulier MDM), nous tentons de répondre aux besoins les plus urgents de la population qui est particulièrement pauvre». Il poursuit : «nos conditions de travail sont difficiles. Les approvisionnements en médicaments par le ministère sont irréguliers et incomplets. Nous n’avons ni électricité, ni de frigidaire pour stocker les vaccins.

Autant dire que la campagne de vaccination qui a eu lieu en novembre dernier a été insatisfaisante. Comment conserver les vaccins dans ces conditions ? Sans fuel et véhicules, comment identifier les patients qui ne peuvent se déplacer ou qui restent alités dans les hameaux, tous très isolés ?». Il regarde un tableau de données écrites à la main sur une feuille et collé sur le mur : «Depuis octobre dernier, les cas de rougeole augmentent ; une vingtaine identifiés depuis le début de l’année et deux décès. Ce n’est pas bon signe».

Deux tentes sont également installées devant le dispensaire. «Elles nous servent pour isoler les patients atteints du choléra». Il y en a peu, mais cela peut changer. «Le dernier cas confirmé a été accueilli il y a une dizaine de jour. Et comme l’accès à l’eau est ici un souci…comme les conditions d’hygiène, on reste prêt alors que la saison des pluies débute ». Le ciel au dessus de nous est menaçant, chargé de nuages noirs.

Un groupe de femme vient nous chercher. Toutes sont sous traitement ARV depuis plusieurs mois, quelquefois une année. Elles ont bénéficié du soutien particulier de la communauté, qui leur a confié un terrain sur lequel développer un jardin potager pour agrémenter les repas quotidiens de légumes et de fruits, qu’elles cultivent, puis mangent en famille.

Des femmes porteuses d’espoir

Benefit, une jeune femme d’une trentaine d’année, nous explique qu’il n’y a pas si longtemps encore, elle était clouée au lit en raison de la maladie, comme d’autres de ses amies. «Avec les ARV, même si ce n’est pas facile tous les jours, je vais mieux, et maintenant je peux m’occuper de mes enfants. Le jardin, c’est notre fierté. On a gagné le concours du plus beau jardin, et la communauté vient de nous donner un autre terrain pour étendre les plantations.

Demain, j’espère que nous pourrons commencer à vendre une partie de la production et générer de petits revenu ». Elle ramasse une courge et me la tend : «regarde les oignons, les épinards comme c’est beau. On a eu moins de succès avec les tomates». Elle conclut : «avec les médicaments et les légumes produits ici, notre vie à changer».

L’initiative est originale et a été reproduite dans plusieurs villages du district. A coté du bénéfice nutritionnel pour les femmes, souvent des veuves, (une trentaine par jardin, au nombre de 20), on comprend vite que c’est aussi le résultat d’une mobilisation communautaire exceptionnelle. Alors que nous entrons dans le jardin, les femmes se regroupent et se mettent à chanter en dansant. Pour chaque jardin, nous dit-on, il y aurait une chanson, pour remercier… la vie qui se poursuit grâce aux ARV, et les ONG partenaires et la communauté… qui leur rendent leur fierté, et surtout, leur permettent d’appréhender l’avenir positivement. L’ambiance est très émouvante, joyeuse et bon enfant.

Pas ou peu d’hommes ici. «La stigmatisation liée à la maladie est forte» nous explique l’infirmier du dispensaire. «Peu d’hommes acceptent de se faire dépister (ils sont moins de 20% des patients dépistés dans le programme soutenu par MDM). Ils n’acceptent de le faire qu’une fois qu’ils sont malades, et souvent trop tard. C’est pathétique quand ils arrivent mourrants. On essaye bien de les informer au cours de sessions publiques ou individuelles, mais sans grand succès».

Un responsable de la communauté nous le confirme à sa façon alors que nous tentons de comprendre comment changer les comportements : «ma femme et mon enfant peuvent aller se faire dépister si ils veulent. Je ne m’y opposerai pas. Mais moi, on verra quand je serai malade. Jusqu’ici je vais bien». Après un silence, l’infirmer conclut :  tu vois, le chemin sera long… Les femmes, elles, sont l’avenir de ce pays. Elles ont compris».

Des hommes absents…

Dans le district de Chipinge, prêt de 3.500 personnes reçoivent aujourd’hui des ARV (première ligne de traitement uniquement); dont seulement 250 enfants. Si 200 nouveaux patients sont mis sous traitement chaque mois, nombreux sont ceux qui n’ont pas encore accès «aux médicaments miracles». Avec seulement 3 médecins dans le district, qui sont les seuls à pouvoir initier la mise sous ARV, conformément aux protocoles nationaux, on continue à mourir dans les villages du district.

J’ai pu m’en rendre compte en visitant à domicile des patientes épuisées, ne pouvant plus se déplacer, certaines en fin de vie. Elles bénéficient parfois du suivi d’agents de santé dévoués. Mais, leur travail restera sans effet s’il n’est pas possible d’inclure d’avantage de patients dans le programme national de lutte contre le Sida, en particulier dans les régions rurales du pays, comme le district de Chipinge. Des discussions ont débuté pour transférer la responsabilité de la mise sous traitement aux infirmières. Mais elles prennent du temps…

Rien ne sera néanmoins possible sans un soutien durable et massif des principaux acteurs internationaux (Fond Global, agences des Nations Unies, principaux bailleurs internationaux, ONG), et sans une mobilisation renforcée des autorités zimbabwéennes.

Malgré des efforts certains en matière de santé, le climat politique national reste extrêmement tendu, et la perspective de nouvelles élections courant 2011 fait craindre de nouvelles vagues de violences entre l’opposition du MDC et les partisans du Président Mugabé qui vient de fêter son 86ème anniversaire et 30 années d’un pouvoir quasi absolu. Peut-être alors les média internationaux s’intéresseront-ils à nouveau au Zimbabwe ?

Espérons cependant que d’ici là, certains journalistes tentent de porter un regard différent sur la situation du pays, hors des contraintes médiatiques et de l’urgence. Les Zimbabwéens font preuve d’une grande dignité pour surmonter les difficultés quotidiennes et les initiatives communautaires qui se redynamisent sont porteuses d’espoir. Ces dernières méritent un autre éclairage.

(1) Pour en savoir plus

 

 

 

Pierre Salignon

Pierre Salignon

Pierre Salignon est Directeur général à l’action humanitaire, Médecins du Monde (MDM)