CAP-2011 : «Penser l’avenir de l’action humanitaire»

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L’ONU a lancé le 30 novembre dernier depuis Genève un appel de fonds d’un montant de 7,4 milliards de dollars pour financer ses opérations humanitaires en 2011. Depuis la mise en place du Processus d’appel consolidé (CAP) en 1991 – un mécanisme qui met en commun les besoins financiers des différents partenaires humanitaires avant d’être présenté à la communauté internationale et aux donateurs-, c’est le montant le plus important demandé par l’ONU. Voici les pays ou régions cibles du CAP-2011: Afghanistan, République centrafricaine, Tchad, République démocratique du Congo, Djibouti, Haïti, Kenya, Niger, Territoires palestiniens occupés, Somalie, Soudan, Yémen et Zimbabwe.

Nous publions ci-dessous l’intervention de Pierre Salignon, Directeur général à l’action humanitaire, Médecins du Monde, qui, à cette tribune onusienne, le 30 novembre, a porté la voix de l’action humanitaire non-gouvernementale.

« MDM est une des principales ONG médicales en France, de taille moyenne à l’échelle internationale, ce que nous voyons comme un atout sur le terrain pour la flexibilité que cela apporte. C’est une organisation indépendante dans ses choix, qui a pour spécificité de développer des actions en faveur des plus vulnérables et des exclus des soins, que ce soit à l’étranger, mais aussi, en France et en Europe. Nous sommes un acteur de proximité. Nos actions visent donc des populations exclues, à la marge, ici et là bas. Si je le dis, c’est que ce n’est pas commun dans le milieu des organisations humanitaires internationales.

Ceci dit, nous sommes présents dans les urgences aujourd’hui, à Haïti depuis le terrible séisme de janvier dernier (avant aussi), et pour faire face à l’épidémie de choléra. Nous sommes aussi une des rares ONG encore présente au Soudan, au Darfour, dans le Jebel Mara même si l’accès y est extrêmement réduit en raison des combats. Sans oublier la Colombie, le Pakistan, la Somalie, l’Ethiopie (Ogaden), pour ne citer que quelques exemples.

Grâce au soutien du public, et notamment, grâce aux financements des Nations Unies, de l’Union européenne, de DFID et de l’Agence Française de Développement, nous tentons de porter assistance aux populations sinistrées suite aux catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme.

Je veux ici faire 5 remarques, sans être long, pour «penser» l’avenir et comment nous aurons tous à adapter nos modes d’actions pour répondre à des crises inattendues et toujours plus massives.

Il convient de :

1- Renforcer avant tout les capacités de réponses régionales et locales aux crises.

Pour répondre aux urgences d’abord, il ne convient pas uniquement d’acheminer des secours de l’étranger et de sans cesse renforcer les capacités de réponse humanitaire internationale aux crises. Ceci est largement couvert par les plus grandes agences. Nous restons convaincus à MDM qu’il faut renforcer avant tout les capacités étatiques de réponses régionales et locales aux crises. Pour plus d’efficacité et de réactivité. Pour rééquilibrer une relation toujours déséquilibrée entre le Nord et le Sud. Pour aussi s’assurer d’éviter de développer des modes de réponse en substitution, qui accroissent le plus souvent la dépendance humanitaire des pays dans lesquels l’aide internationale se déploie avec les meilleures intentions, mais aussi parfois avec des effets pervers. A Haïti, les acteurs locaux n’auraient ils pas pu être mieux préparés à la réponse aux catastrophes pourtant régulières ?  On peut le penser. A l’inverse, l’exemple du Pakistan démontre que face aux inondations qui ont frappé le pays, le rôle des organisations gouvernementales – et non gouvernementales pakistanaises – a été, lui, central dans le dispositif d’assistance, comme cela avait été le cas en 2005 après un séisme dévastateur.

2- Renforcer les soutiens en faveur des ONG locales.

De la même façon,  il nous semble important de voir demain se renforcer le soutien de la communauté internationale en faveur des ONG locales, de nos partenaires sur les terrains de crise. Ceux qui contribuent à réduire les vulnérabilités dans les mois qui précèdent une catastrophe, et qui font l’essentiel du travail dans les heures qui la suivent. Les voisins et les secouristes locaux qui agissent, ou les 90% des personnels des organisations de secours internationales, originaires des pays dans lesquels nous agissons. En Afrique, ou ailleurs. Chaque jour, ils nous rappellent qu’ils sont encore trop souvent laissés pour compte. Nos partenaires sont de plus en plus formés et efficaces. Ils savent très bien ce dont ils ont besoin, parfois mieux que nous. La réponse aux urgences doit dans l’avenir de plus en plus passer par eux et bénéficier de soutiens financiers encore trop réduits.  Dans la même perspective, il convient d’investir auprès d’eux dans la prévention des crises, la formation des personnels de secours et des communautés des pays, souvent à faible revenus, affectés de manière récurrentes par les catastrophes. A MDM, nous envisageons nos actions en appui aux autorités locales, même défaillantes, et à la société civile, de façon le plus intégrée possible avec les communautés que nous tentons d’aider. Nous avons beaucoup à apprendre des actions menées par ceux que nous venons souvent aider, en Asie ou ailleurs ; en matière de prévention des désastres, et demain pour répondre aux urgences.

3- Maintenir les actions en zone de conflit.

Une remarque est nécessaire sur les situations de conflit. Au Pakistan, de part notre taille moyenne, nous avons fait le choix d’actions mobiles et très réactives, essentiellement menées par des personnels pakistanais de MDM, au plus prêt près des zones de tension sur la frontalière avec l’Afghanistan. Elles ne sont pas volumineuses, mais très ciblées sur des zones de guerre et de déplacement de population. Cette action est complémentaire des programmes des différentes organisations de secours, souvent beaucoup plus volumineux. Car l’enjeu est bien ici d’être présent au sein même des communautés, de rétablir une confiance dégradée par les opérations militaires en assurant une présence continue et des actions de solidarité menées de façon impartiale et indépendante. Sur de nombreux terrains de crise, la confusion peut se trouver renforcée entre acteurs humanitaires, militaires et onusiens, notamment dans le cadre des missions intégrées menées sous l’égide des Nations Unies. Il faut le reconnaître et y faire attention. Etre présent dans les conflits est dangereux et complexe, mais cela reste selon nous une nécessité, et un travail de longue haleine pour assister les populations civiles sans discrimination. A coté de nos donateurs privés, l’Union européenne nous permet de mener des opérations utiles au Pakistan. Comme les Nations Unies, grâce au soutien de l’OMS dont nous bénéficions.

4. Renforcer la coordination entre acteurs mais préserver leur diversité et leurs modes d’action complémentaires

La coordination des acteurs humanitaires sous l’égide des Nations Unies s’améliore, même si ce n’est pas facile. On doit regretter deux choses : elles excluent encore trop souvent les acteurs locaux, et ensuite, les mécanismes de coordination privilégient encore souvent, une approche parfois technique, très standardisée, par secteurs, qui n’est pas toujours adaptée aux conséquences des crises et à la complexité du terrain. La réponse technique n’est jamais un objectif ultime. Pour agir, elle doit s’adapter à l’environnement des interventions, pour innover, répondre aux besoins souvent multiples, les acteurs révisant en temps réel leurs pratiques. Pour cela, et pour tenter de maintenir l’accès aux populations, la diversité des acteurs sur le terrain doit être préservée.

5. Assister les populations qui restent à la marge du système de l’aide d’urgence

Un dernier point pour conclure : Il faut savoir aussi assister les populations qui restent à la marge du système de l’aide d’urgence, des grands programmes internationaux. Cela peut arriver partout, car certaines populations ou certains groupes vulnérables peuvent être considérées comme moins prioritaires, comme les patients atteints de maladies chroniques, les femmes victimes de violences sexuelles, les migrants par définition en mouvement, les populations ayant des pratiques à risques dans l’exclusion, les mineurs isolés… etc. Ce ne sont pas automatiquement des populations prioritaires de l’aide en situation d’urgence. Le rôle d’une ONG de taille moyenne comme MDM est d’identifier et d’assister ces populations en complémentarité de la réponse massive et nécessaire des agences des Nations Unies et des autres acteurs humanitaires. A Médecins du Monde, c’est aussi ces populations que nous souhaitons continuer à aider à l’étranger, comme nous le faisons tous les jours en France et en Europe.»

Genève, le 30 Novembre 2010


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Pierre Salignon

Pierre Salignon

Pierre Salignon est Directeur général à l’action humanitaire, Médecins du Monde (MDM)