Les informations publiées à la fin du mois d’août 2011 dans le Wall Street Journal, mettant en lumière le rôle joué par la société française Amesys auprès des services de renseignements libyens dans le cadre d’un accord portant sur la fourniture d’un système sophistiqué de surveillance des communications, sont apparues comme des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.
Engagées de longue date dans le combat contre l’impunité des crimes les plus graves, la FIDH et la LDH ont ainsi décidé de porter plainte avec constitution de partie civile, pour des faits de complicité d’actes de torture, mettant en cause la société Amesys et ceux de ses cadres ou dirigeants qui auraient participé à la conclusion et la mise en œuvre de cet accord commercial, conclu en 2007.
Cette plainte est fondée sur le principe de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises, qui permet au juge français d’exercer sa compétence sur des crimes commis à l’étranger, indépendamment de la nationalité des auteurs ou des victimes, et ce en application de la Convention des Nations Unies contre la torture du 10 décembre 1984.
L’accord de 2007 portait sur la fourniture d’un système d’interception des communications appelé «EAGLE». Dans une interview accordée au Figaro en septembre dernier, un ancien membre de la DGSE explique que ce système permet de trouver des « cibles dans le flow massif du pays » et d’identifier des « individus suspects en fonction de mots clefs ». Le système permet ensuite de mettre au point des méthodes d’analyse des données collectées, d’affiner la définition des mots clefs et, enfin, de suivre le résultat de ces données en liaison avec les autorités libyennes et, notamment, l’Etat-major.
La FIDH et la LDH considèrent que la société Amesys a en réalité fourni un système technologique permettant au régime libyen de parfaire les moyens de répression contre le peuple libyen. En effet, au vu de la sinistre réputation de Mouammar Kadhafi et de son appareil sécuritaire, Amesys ne pouvait ignorer que le régime libyen utiliserait cette technologie à des fins de répression.
Et ce d’autant que l’interlocuteur d’Amesys pour la conclusion de l’accord n’était autre que M. Abdullah Al Senussi, chef des renseignements libyens, qui a été condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité en 1989 par la Cour d’assises de Paris pour des faits de terrorisme et qui fait aujourd’hui l’objet d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité émis par la Cour pénale internationale. Les graves violations des droits humains perpétrées par le régime de Mouammar Kadhafi étaient connues au sein de l’opinion publique internationale comme française et ont d’ailleurs largement été relayées par la presse à l’occasion de la visite en France du chef d’État libyen, en décembre 2007.
Les graves atteintes de ce régime aux libertés fondamentales n’ont pu être ignorées par le groupe Amesys et tous ceux qui ont participé au programme de coopération entre le groupe et les autorités libyennes, dès lors qu’il s’agissait précisément de moderniser, perfectionner et pérenniser ce système d’identification, de surveillance et d’élimination des opposants.
A l’heure où un nombre grandissant d’entreprises est dénoncé pour avoir fourni des systèmes similaires à des régimes autoritaires, la FIDH et la LDH souhaitent, à travers cette plainte et l’information judiciaire qui sera ouverte au Tribunal de grande instance de Paris, adresser un message aux entreprises : on ne peut impunément conclure des accords qui se traduisent par un soutien opérationnel, matériel ou technologique à des régimes coupables de graves violations des droits de l’Homme.
Signataires:
Patrick Baudouin, avocat au Barreau de Paris et président d’honneur de la FIDH
Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris
Clémence Bectarte, Avocate au barreau de Paris
Grotius International
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