La libération du soldat Shalit et la diplomatie aux succès de courte durée

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C’est une première dans la longue litanie des relations israélo-palestiniennes qu’en échange de la libération d’un prisonnier israélien, l’Etat hébreu accepte celle de plus de 1.000 détenus palestiniens – 1.027 exactement, dont 60% proviennent des rangs du Hamas et le reste du Fatah ou d’autres formations comme les Brigades des martyrs. Il est étonnant qu’un premier ministre israélien Benjamin Netanyahou déjà affaibli ait accepté un tel deal, après sa campagne ratée contre l’initiative de Mahmoud Abbas de demander aux Nations unies en septembre dernier la reconnaissance de l’Etat palestinien.

Affaibli, le Premier ministre israélien l’est incontestablement non seulement à l’extérieur de son pays, mais également et probablement plus durablement à l’intérieur même de l’Etat hébreu, après les plus grosses manifestations économiques et sociales que le pays a connu dans son histoire. Lui dont on croyait qu’il ne ferait jamais aucune concession. Et puis n’a t-il pas gardé dans ses geôles les figures les  plus importantes de la lutte palestinienne ?

La libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit, fruit de négociations entre le Hamas et Israël avec la médiation de l’Egypte et faisant suite à plus de 120 réunions des parties concernées, intervient au moment même où l’actualité était plutôt centrée sur le Fatah, le parti de Mahmoud Abbas. On aurait pu croire le président palestinien renforcé après son succès aux Nations unies et celui d’avoir été jusqu’au bout de son action malgré les pressions politiques. Pourtant, quelques semaines après, c’est le Hamas qui revenait dans la course diplomatique. C’est le signe du retour évident du mouvement islamiste dans le jeu des négociations entre Israël et l’Etat palestinien. On savait la réconciliation entre les deux factions du camp palestinien engagée depuis le 4 mai 2011. Or l’on constate, avec ses deux succès diplomatiques , que les dirigeants politiques palestiniens parlent encore séparément. Si le Hamas n’a pas cautionné l’action internationale d’Abbas, le Fatah, lui, a profité des conséquences favorables de la libération des prisonniers palestiniens dont une partie rentrait à Gaza et l’autre en Cisjordanie.

Le rapport d’un prisonnier libéré pour mille soulève une autre question : pourquoi le Premier ministre israélien a-t-il renforcé le Hamas au détriment du Fatah et donc indirectement cautionné la lutte armée ? L’aile droite de la classe politique israélienne s’en est indignée, craignant que les prisonniers palestiniens libérés ne deviennent de nouvelles bombes humaines et sèment de nouveau la terreur dans le pays. Après la joie de la libération du sergent Shalit, il y a fort à parier que l’aile radicale sécuritaire du gouvernement israélien ne surfe sur la vague de la menace pour demander un maintien du budget de la défense malgré les protestations des Indignés israéliens qui réclamaient le retour de l’Etat providence et plus de protection sociale. La situation arrangerait-elle Netanyahou ? Les médias se posent la question, notamment Yediot Ahahronot et le conservateur Jerusalem Post qui ne comprend toujours pas pourquoi Israël a – pour reprendre son terme – « capitulé »[1] devant le Hamas.

Les protestations dans le camp israélien dépassent le cadre de la menace. Elles soulèvent l’idée que la prise d’otage puisse devenir un commerce rentable pour les Islamistes. Des propos qui reposent sur la crainte que le pacte israélo-palestinien engendre de nouveaux enlèvements, au vu de la haute « rançon » qu’ils peuvent générer. On peut toutefois imaginer que le prévoyant Benjamin Netanyahu a exigé des engagements fermes du Hamas pour que cela n’advienne pas. Resterait à savoir si le Hamas les respectera.

Il fallait sauver le soldat sacralisé Shalit. Il était le seul prisonnier israélien détenu en territoire palestinien. C’est certainement pour cela qu’il est devenu une sorte d’icône, un symbole très fort au bout de cinq années, à la fois d’un soldat israélien détenu et de la colonisation. Parce que de manière plus générale, l’armée, premier corps de défense du pays, est un symbole capital en Israël, autant qu’un outil majeur de protection de l’Etat depuis 1948. Le service militaire dure trois ans pour les garçons et un an et demi pour les filles, et depuis 1967, les soldats prêtent serment au Mur des lamentations. Au sein d’Israël, Tsahal reste auréolée du plus grand des prestiges, en dépit de certaines défaites (au Liban en 2006 et à Gaza en 2008 par exemple où elle n’était pas parvenue à libérer Shalit).

Le Hamas en était à son premier succès. Puis,  trois ans plus tard, vient la seconde victoire. Israël détenait 5.000  Palestiniens avant le pacte. Le Hamas a donc « payé » 100% de ses prisonniers en libérant Gilad Shalit, alors qu’Israël n’a relâché que 15% de ses détenus. Mais les choses auraient été sûrement différentes, si Israël avait relâché seulement Marwan Barghouti, le symbole de la jeune génération politique palestinienne du Fatah, plutôt que les 1027 détenus anonymes pour crimes de droit commun et crimes de sang. Le symbole n’en aurait été que plus fort. Tel-Aviv détient toujours son prisonnier le plus important. Celui que certains surnomment le Mandela palestinien et qui représentait l’avenir palestinien et le digne successeur de Yasser Arafat.

A la place, et parce que Barghouti est en prison sans aucun procès légitime, les Palestiniens ont eu droit à un président faible et sans charisme, donc plus manipulable après la mort du raïs en 2004 : un Mahmoud Abbas qui n’est parvenu à presque rien si ce n’est son coup d’éclat de septembre déjà étouffé par le succès du Hamas dans la libération de Shalit. Et si, là, Netanyahou n’avait pas tout à fait tout perdu?

[1] http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4134431,00.html

 

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).