Point de vue : Kirghizistan, impunité pour les coupables

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Deux ans après le conflit qui a ensanglanté le Kirghizstan, ce petit état d’Asie centrale, rien ou presque n’a été engagé pour punir les coupables. Pire, un grand nombre d’innocents souffrent d’une justice arbitraire, dirigée par des intérêts politiques.

Les ONG sont unanimes : la lumière est loin d’avoir été faite sur les événements qui ont ensanglanté le Kirghizstan en juin 2010. La justice, elle, patine sérieusement :  « Les autorités kirghizes ne semblent pas pouvoir ni vouloir enquêter sur les allégations de connivence et de complicité des forces de sécurité dans les atteintes aux droits humains perpétrées contre des civils durant quatre journées de violences qui ont opposé en juin 2010, dans le sud du pays, les communautés kirghize et ouzbèke », assène Amnesty International, dans une synthèse publiée avant l’été.

Human rights watch (HRW), de son côté, enfonce le clou : « Deux ans après les conflits ethniques qui ont surgi dans le sud du Kirghizstan, les Ouzbeks restent une cible, et il faut constater l’échec des tentatives pour en finir avec les abus commis contre eux, comme la détention arbitraire et la torture. Tout ceci compromet les efforts pour une stabilisation et la réconciliation dans le pays. » Rien n’a donc vraiment changé depuis le rapport établi en 2011 par l’ONG, qui pointait déjà les procès truqués et la persécution de la population ouzbèke dans le pays.

 Persistance des tensions interethniques

Cette absence de réaction et de justice ne peut qu’envenimer une situation potentiellement explosive. Rappelons que près de 400 personnes sont mortes lors des quatre jours meurtriers du printemps 2010, 2000 selon des sources non-officielles. Surtout des victimes issues de la communauté ouzbèke. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont également fui le Kirghizstan, et la ville de Och, foyer du drame, garde les stigmates de ce déchaînement de violence.

Dans les jours qui ont suivi le conflit, des dizaines de quidam ou des militants des droits de l’homme, là encore majoritairement ouzbeks, ont été arrêtés et retenus en détention arbitrairement, lors de simulacres de procès. Certains sont toujours en prison, et les affaires délictueuses continuent de s’entasser dans les bureaux des associations locales de défense des droits de l’homme. Le cas le plus emblématique est sûrement celui d’Azimjan Askarov, militant des droits de l’homme ouzbek, condamné pour avoir participé aux troubles perpétrés à Djalalabad, au nord de Och, et d’avoir tué un représentant des forces de l’ordre. Le procès pourrait rebondir, selon le site Ferghana.ru, car de sérieux soupçons de torture ont émaillé la procédure judiciaire. Très médiatique, relayée par certains médias occidentaux, cette affaire en cache bien d’autres, qui se déroulent dans la plus profonde opacité.

 Le gouvernement ferme les yeux

L’enquête menée par une commission internationale indépendante a établi que de solides éléments viennent corroborer la thèse selon laquelle des crimes contre l’humanité avaient été commis contre des membres de l’ethnie ouzbèke à Och. Mais ces informations sont restées lettre morte, et ignorées par le gouvernement actuel. Sans parler de l’enquête sur la responsabilité potentielle de l’armée nationale dans le conflit, un vrai tabou au sein de l’exécutif kirghize. Nouvelle présidente (remplacé depuis par le falot Almazbek Atambaev), nouvelle constitution, nouveau Parlement, le Kirghizstan a voulu aller vite pour effacer les traces de ces journées terribles, sans chercher à comprendre les raisons et les conséquences de cette flambée de violence. Comme au début des années 90, lorsqu’un conflit similaire avait déjà fait plusieurs morts dans le sud du pays, et nécessité l’intervention de l’armée rouge, encore sur place avant le démantèlement de l’Union soviétique.

L’Institut Alisher Navoï, spécialiste des questions des droits de l’homme en Asie centrale, va même jusqu’à accuser les autorités kirghizes de cynisme électoral dans cette gestion de la crise : « Malgré les récentes élections parlementaires et présidentielles, le pays fait face à une lutte acharnée pour le pouvoir et la majorité de la population ne pense pas que les autorités kirghizes soient capables de les protéger contre un possible regain des émeutes et de la violence. Ceci est exacerbé  par l’échec des autorités à rendre justice aux victimes des événements de juin, à savoir la population ouzbèke. Leur argument est de dire que si l’on punit les organisateurs et ceux qui ont perpétré les crimes, cela rendra la population kirghize furieuse et la poussera dans la rue. La vraie raison de la réticence du gouvernement est qu’il a peur de perdre les voix des groupes nationalistes. »

Il est vrai que le pouvoir central, à Bichkek, est prudent dans ses allégations, soucieux de ne pas froisser les puissants leaders nationalistes, qui ont quasiment pris le contrôle de la sphère politique à Och. Il prend le risque de voir resurgir, à court ou moyen terme, le chaos.

 

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec est journaliste indépendante, spécialiste de l’espace post-soviétique. Elle a vécu et travaillé en Asie centrale puis en Ukraine où elle a été correspondante pendant quatre ans de Libération, Ouest-France, Le Temps et Le Soir, collaboré avec Géo, Terra Eco, et coréalisé des reportages pour RFI et la RSR. Basée aujourd’hui à Paris, elle collabore avec Regards, le Monde diplomatique, Libération, Médiapart, Syndicalisme Hebdo, Le journal des enfants etc… Elle coordonne également le pôle Eurasie de Grotius International, Géopolitiques de l’humanitaire.

Mathilde Goanec

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