Les Pussy Riot, symbole punk de la criminalisation de la société civile russe

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Les Pussy Riot
Victoria Lomasko, La marche des Pussy Riot, 2012

Condamnées fin août à deux ans de camp pour vandalisme, les Pussy Riot sont à l’avant-garde de cette société civile russe, qui exprime jour après jour, et malgré le danger, sa lassitude vis-à-vis du pouvoir en place. Les trois jeunes activistes, dans la ligne de mire de Vladimir Poutine et des ultra-orthodoxes, ont fait appel de leur condamnation.

Il la flatte, il l’honore, il la chouchoute… Poutine aime la société civile russe, « devenue beaucoup plus mature, plus active et responsable ». Vladimir Poutine va même jusqu’à souhaiter qu’elle devienne « coauteur des toutes les transformations appliquées par le pouvoir en Russie » (1). L’ironie est de taille. Car au même rythme que les discours, les Russes défilent par milliers et inlassablement dans les rues de Moscou, dénonçant l’arbitraire du pouvoir ainsi que la criminalisation croissante de l’opposition démocratique et de la société civile. Et dans l’enceinte des palais de justice, largement inféodée au pouvoir politique, les décisions arbitraires se succèdent.

Parmi les symboles les plus forts de ce double discours, le tout récent procès des militantes du groupe Pussy Riot, très punks, drôlement sexys et furieusement anti-Poutine… Trois d’entre elles ont été arrêtées au mois de mars dernier et condamnées à la fin de l’été à deux ans de camp. Leur procès a été ultra-médiatisé à l’étranger, et a entraîné de nombreuses manifestations de soutien, rassemblant anonymes, hommes politiques, sportifs ou intellectuels encagoulés, à la manière des Pussy Riots. L’affaire a également passionné, fait rare, jusqu’en Russie.

Le crime de ces jeunes filles, proche du collectif artistique Voïna (2) ? La liste est longue, car les Pussy Riot ont entamé leurs happenings politiques en 2011, se démarquant à chaque fois par le caractère spectaculaire de leur militantisme, cagoules, mégaphone et vêtements bariolés à l’appui. A la manière des Femen, en Ukraine, leur combat pour le droit des femmes, qui passe par des actions spontanées et relayées activement sur les réseaux sociaux, s’est intégré dans les revendications de plus en plus pressantes d’une partie de la population pour davantage de justice, de transparence, et d’intégrité. Les Pussy Riot ont activement participé aux manifestations monstres, clairement anti-pouvoir, qui ont lieu depuis plusieurs mois dans la capitale russe. La dernière, en juin, a rassemblé plus de cent mille personnes selon l’opposition (dix-huit mille selon la police), et elle intervient alors que les possibilités de revendication sont de plus en plus réduites. Pied de nez à ses déclarations de campagne, Vladimir Poutine a dans le même temps promulgué une loi accroissant de manière spectaculaire le montant des amendes pour troubles à l’ordre public lors des manifestations.

Mais le plus grand coup d’éclat des Pussy Riot est leur prière complètement déjantée, récitée au sein de la vénérable église du Christ-Sauveur, à Moscou, qui a mis en cause la collusion entre l’église orthodoxe russe et Vladimir Poutine. Kirill, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, le plus haut personnage de l’église orthodoxe, était nommément cité dans ce happening foutraque, accusé de ne croire qu’en deux choses : le pouvoir et l’argent. Cette remise en cause de la proximité de l’église russe avec Vladimir Poutine n’est pas nouvelle, mais avait rarement trouvé autant d’écho, poussant  le patriarche lui-même à organiser des prières collectives contre les punkettes des Pussy Riot.

Habituellement masquées, les activistes de Pussy Riot sont apparues à visage découvert lors des audiences de leur procès factice à Moscou. Utilisant à fond l’espace médiatique qu’elles ont créé, les punkettes ont au moins eu le mérite d’interroger la société russe sur cette question : peut-on encore croire aux paroles cajoleuses de Vladimir Poutine?
 

(1) Réactions recueillies par l’agence de presse Ria Novosti en février et avril 2012
(2) Voïna (« la guerre » en russe) est un groupe connu pour ses performances artistiques  sexuellement provocantes et clairement anti-pouvoir. Plusieurs membres du groupe ont déjà fait quelques séjours en prison pour leur participation à des manifestations anti-corruption.

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec

Mathilde Goanec est journaliste indépendante, spécialiste de l’espace post-soviétique. Elle a vécu et travaillé en Asie centrale puis en Ukraine où elle a été correspondante pendant quatre ans de Libération, Ouest-France, Le Temps et Le Soir, collaboré avec Géo, Terra Eco, et coréalisé des reportages pour RFI et la RSR. Basée aujourd’hui à Paris, elle collabore avec Regards, le Monde diplomatique, Libération, Médiapart, Syndicalisme Hebdo, Le journal des enfants etc… Elle coordonne également le pôle Eurasie de Grotius International, Géopolitiques de l’humanitaire.

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