Quelle place pour une initiative personnelle dans un processus pédagogique ? Récit de mon expérience à Bamako.

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Me rendre au Mali était bien plus qu’une démarche professionnelle. C’était surtout une quête, un besoin vital de me retrouver dans une partie du monde à laquelle je me sens rattachée depuis toujours. En dernière année d’études, j’ai décidé d’aller à sa découverte, avec le défi de concilier expérience pédagogique et découverte de moi-même.

Le premier soir, en sortant de l’aéroport, j’ai éprouvé un sentiment de satisfaction : « enfin, j’y suis, enfin je n’aurai plus à dire que je n’ai jamais été au Mali mais que je me sens tout de même attachée à ce pays !». Ce sentiment en cachait un autre… la peur. Non pas celle d’être déçue, mais plutôt celle de ne pas être à la hauteur.

 Mon stage à Bamako n’était pas, pour moi, un retour aux sources, mais tout simplement une rencontre. Cette expérience de fin d’année m’a permis de découvrir ce merveilleux pays de mes propres yeux. Je ne connaissais le Mali que par le biais des expériences de mes parents et quelques souvenirs lointains de leur jeunesse passée au pays. En partant, j’ai tenté de me détacher de la vision qu’ils m’avaient transmise.

Les cours du Master 2 Solidarité et Action Internationales à Paris et les échanges avec mes camarades sur leurs expériences respectives ont été décisifs. En effet, je me suis rendue compte que je ne connaissais pas aussi bien le Mali que je le prétendais. En outre, j’avais le sentiment que je ne pouvais pas jouir de cette potentialité à faire partager ma richesse : celle de baigner dans une diversité culturelle.

Moi qui pourtant brandissais ma double culture avec fierté, je compris qu’une partie de mon identité reposait sur de vagues notions de la culture malienne : celles inculquées par mes parents, qui s’effritaient au fil du temps. Ce besoin vital de partir, couplé à mon intérêt pour le développement communautaire m’ont permis de réaliser mon stage de fin d’année au sein de l’ONG Plan Mali, situé dans la capitale.

Une expérience de terrain

Mon stage au sein de Plan Mali a débuté en avril 2011. Mon rôle consistait à apporter un appui au responsable de Relations Publiques et de Communication afin de sensibiliser le public sur les problèmes que rencontrent les enfants maliens dans la réalisation de leurs droits. J’ai participé aux activités de plaidoyer, à la rédaction d’articles pour la diffusion d’informations sur les programmes de Plan Mali. Enfin, on m’a confié la traduction de divers documents, dont ceux à soumettre aux bailleurs de fonds.

A priori, mes fonctions quotidiennes au sein d’un siège ne me permettaient pas d’acquérir une véritable expérience de terrain. Néanmoins, j’ai dû très vite m’impliquer dans le développement et la mise en œuvre des activités de communication et de production audiovisuelle sur le terrain.  J’ai ainsi découvert le développement communautaire.

La démarche communautaire dans le développement permet d’aller à la rencontre des peuples. Lors de mes visites de terrain, j’avais pour mission d’encourager les bénéficiaires à s’impliquer dans les activités de communication, pour faire entendre leur voix sur les progrès réalisés en matière des droits de l’enfant.

Ma première visite de terrain eut lieu dans un village situé non loin de la région de Kayes, à 6 km de la ville de Kita. Le village en question avait remporté un concours dans le cadre d’un projet d’assainissement total piloté par la communauté. Cette rencontre fut tout simplement magique. C’était une expérience instructive d’aller à la rencontre d’une population qui s’organise comme elle peut, au nom du bien-être et de la survie de l’enfant.

D’approfondir mes connaissance dans la thématique du développement communautaire a confirmé mon adhésion à une approche qui exhorte à une certaine sensibilité culturelle. Mais l’enjeu était aussi de faire comprendre aux bénéficiaires que certaines pratiques culturelles sont néfastes pour le développement de l’enfant.  En effet, L’ONG  s’attèle à encourager un changement des comportements, en accompagnant les communautés et en favorisant une démarche participative.

Par ailleurs, cette expérience m’a permis d’en apprendre davantage sur la culture malienne. Quoi de plus convivial et enrichissant que de découvrir le cousinage à plaisanterie et les codes sociaux, en donnant voix aux communautés auxquelles on vient en aide ? J’ai eu le sentiment que je pouvais relever le défi de concilier activités de développement et découverte d’une partie de moi-même. D’ailleurs, j’ai été ravie de constater à quel point ma structure d’accueil était réceptive à mes attentes et à mes besoins.

La scolarisation des jeunes filles

Je ne demandais donc qu’à renouveler ces expériences de terrain. J’ai été amenée à participer aux activités de suivi et d’évaluation sur le terrain. L’une des missions les plus marquantes de mon séjour fut la préparation d’une enquête qualitative et quantitative sur la scolarisation des jeunes filles. Ce programme s’inscrit dans le cadre d’un projet en faveur de l’autonomisation des adolescentes, dans la région de Koulikoro au Mali. Nous sommes allés à la rencontre d’adolescents vivant dans quatre villages.

Après chaque Focus Group Discussion (groupe de discussion) avec les jeunes filles, nous nous félicitions d’une démarche aussi participative. Ce n’est pas tout de déplorer le manque d’école ou l’échec scolaire chez les jeunes filles, il faut aussi chercher à en connaître les causes. Pourquoi certaines jeunes filles qui fréquentent l’école du village ne se sentent-elles pas concernées par la réussite scolaire ? Pourquoi d’autres se sentent-elles frustrées de ne pas pouvoir profiter pleinement de leur droit à la scolarisation ?

« Que détestez-vous le plus à l’école ? – Les travaux champêtres ». Cette réplique a souvent retenti lors de nos rencontres avec les adolescentes. Elle laisse transparaître l’ampleur du problème à résoudre pour garantir l’autonomisation de ces jeunes filles. Il semble que, dans certains cas, l’école n’est pas perçue comme un espace d’apprentissage et d’épanouissement, mais plutôt comme une corvée.

Les croyances ancestrales et l’arbre fétiche

Mon expérience de terrain m’a permis de découvrir ce qu’est une communauté dans le contexte malien. Dans le cadre de l’enquête qualitative, j’ai été amenée à réaliser une carte sociale avec des femmes d’un village de Kati. C’est un exercice très intéressant que de chercher à savoir comment un village est perçu par ses propres habitants. On aurait tendance à penser que les versions varient selon l’ethnie, le genre, la catégorie socioprofessionnelle. Or, en réalité, chaque village a sa propre organisation où chaque ethnie trouve sa place. J’ai même découvert l’importance du nom de famille, sans oublier le fameux cousinage à plaisanterie. Certains villages ne sont habités que par trois grandes familles, qui occupent chacune une zone (que l’on peut appeler quartier). La réalisation de la carte sociale du village avec la participation des femmes est en quelque sorte une visite guidée du village avec des détails instructifs. Les habitants m’ont fait part de leurs croyances ancestrales et ont insisté sur l’importance de la localisation d’un arbre fétiche sur la carte. Un arbre que les enfants, les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes ne doivent en aucun cas contourner, au risque de perdre la vie.

Dans le cadre de la réalisation de Mon mémoire, je me suis intéressée aux différentes stratégies de communication et de mobilisation communautaire mises en place en vue d’une meilleure utilisation des services de santé au Mali. J’ai donc contacté d’autres ONG. Lors d’un entretien avec des membres de l’ONG Save the Children Mali, l’exemple de l’arbre fétiche a été mentionné. Comment les femmes enceintes issues d’un village se trouvant à plus 10 km du centre de santé le plus proche peuvent-elles s’y rendre sans passer devant cet arbre fétiche ? D’après les femmes concernées, le mieux est d’accoucher à la maison, alors que la progression de l’accouchement assisté par un personnel de santé qualifié est un indicateur essentiel de l’amélioration de la santé maternelle et infantile. Dans l’ensemble, les personnes que j’ai interrogées ont largement insisté sur le fait que les croyances ancestrales, et les autres pratiques culturelles qui déterminent les comportements sanitaires, sont des barrières à l’utilisation effective des services de santé.

Selon moi, la magie de l’approche communautaire réside dans le fait que l’aspect culturel est placé au centre des activités sans pour autant être fustigé. En effet, une telle pratique implique un respect de la culture et des modes de vie des bénéficiaires. Progressivement, ces derniers adoptent un regard plus critique vis-à-vis de certaines de leurs pratiques.

Les leçons de mon expérience 

J’ai récemment assisté à la projection d’un documentaire sur la mobilisation citoyenne à propos de l’impact de l’utilisation des OGM au Mali. Les témoignages et la mobilisation communautaire en images ont fait monter en moi une nostalgie et surtout un souhait d’approfondir mon expérience de l’été dernier. Ma démarche étant assez particulière, je ne peux pas nier que ma position et l’image que je renvoyais furent tout autant atypiques. L’initiative de réaliser un stage émane logiquement d’une demande de transmission de compétences.

Pourtant, ma démarche avait soulevé au départ la perplexité de certains de mes interlocuteurs : « Mais tu n’es pas venue pour voir comment nous travaillons, n’est-ce pas ? ». D’autres me disaient : « On compte sur toi », « on a besoin de toi ». Au début, ces commentaires me mettaient mal à l’aise. J’essayais alors de leur faire comprendre que j’étais venue pour apprendre d’eux, avant d’ajouter que j’espérais pouvoir donner en retour.

Je peux affirmer aujourd’hui que le développement communautaire constitue pour moi un moyen d’être en phase avec une partie de moi-même que je souhaiterais découvrir davantage, au fil des rencontres avec les communautés.

J’entends également prendre part au processus qui permettra aux communautés vivant dans les zones reculées du Mali (ou d’ailleurs) d’avoir accès aux services de base. Durant mon séjour, j’ai pu constater que la diaspora jouait un rôle substantiel dans le développement de certaines régions du Mali. Des centres de santé de mieux en mieux équipés y sont par exemple construits. J’ai espoir que cela prenne de l’ampleur.

 

Plan Mali est une ONG qui œuvre pour le bien-être de l’enfant et des communautés, à travers plusieurs domaines d’action : la santé, l’éducation, la protection de l’enfance (notamment celle des filles et des adolescents) et la résilience communautaire (gestion des risques et des catastrophes naturelles, activités génératrices de revenu pour les femmes). L’approche retenue pour guider tout le travail de l’ONG est le développement communautaire centré sur l’enfant.

Le Bureau National de Plan Mali est situé à Bamako. L’ONG intervient dans quatre zones du Mali appelées PU (Programme Units) : Barouéli (près de Ségou), Kangaba et Kati (dans la région de Koulikoro) et Kita (située aux portes de la région de Kayes).

L’ONG est partenaire du gouvernement malien dans le cadre de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Elle a officialisé, le 18 août 2011, ses partenariats avec 19  communes, dans le cadre de sa stratégie basée sur l’approche commune. Ceci marque le soutien de l’organisation au transfert de compétences de la gestion du développement local aux communes.  A l’issue de la première année du contrat, l’ONG mettra à disposition des 19 communes la somme de 589 millions CFA ( 900 000 euros).

Plan Mali forme également un consortium avec l’UNICEF, Save the Children, l’USAID, et des organisations communautaires de base (OCB).

 

 

Limou Dembele

Limou Dembele

Limou Dembele vient de finir un M2 Solidarité et Actions Internationales à l’Institut Catholique de Paris.