Rapport de l’AIEA sur l’Iran : un aller simple pour la guerre ?

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De nouveau, des bruits de bottes sourdent autour de la République islamique d’Iran et de ses champs pétrolifères. Il existe de « sérieuses préoccupations concernant les possibles dimensions militaires du programme nucléaire iranien ». Ce sont là les conclusions du rapport de l’Agence internationale de l’Énergie atomique (AIEA), publié le 8 novembre 2011. À Tel-Aviv et Washington, on a d’emblée évoqué l’éventualité d’une action militaire…

L’AIEA fait du neuf avec du vieux. Son dernier rapport ne fait que reprendre les supputations d’usage à l’égard du nucléaire iranien. Le plus intéressant reste sans doute la manière dont ces faits évoqués de longue date sont aujourd’hui présentés.

Le Japonais Yukiya Amano, ancien ambassadeur à Washington et successeur de Mohamed el-Baradei au poste de directeur général de l’AIEA, fait cette fois état « d’informations», fournies par les services secrets d’une dizaine de pays membres de l’AIEA. Autrement dit, l’agence internationale avalise les assertions de nations hostiles à l’Iran, tels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou encore la France de Sarkozy, qui – comme on l’aura pu constater depuis quatre ans – a réaligné sa politique étrangère sur celle de Washington et de Tel-Aviv.

D’où les protestations du ministre iranien des Affaires étrangères, Ramin Mehmanparast, qui accuse l’AIEA de faire le jeu de ces puissances ennemies et de préparer l’opinion publique internationale à une intervention contre son pays. Et comment, en effet, ne pas comparer ce surprenant rapport de l’AIEA à d’autres documents du genre, qui furent lourds de conséquences pour le Moyen-Orient ?

Ainsi, on se souviendra des frappes aériennes sur l’Irak, que menèrent conjointement Américains et Britanniques en décembre 1998.  Ces frappes ont été légitimées par un rapport de Richard Butler, le directeur des inspecteurs de l’ONU en Irak, qui accusait Bagdad d’avoir repris un programme d’armement nucléaire.

Cependant les frappes ont commencé le 16 décembre, tandis que le rapport de Richard Butler ne devait être délivré que plusieurs jours plus tard. Ces frappes, ordonnées in extremis par Bill Clinton, se sont donc produites à la veille d’un vote par le Congrès de Washington sur la destitution du président, suite au parjure dont il s’est rendu coupable dans le cadre de « l’affaire Monica Lewinsky », vote programmé pour le 17 décembre. Finalement, l’intervention armée a eu pour effet le report du vote du Congrès : l’état de guerre nécessitait le maintient du pouvoir exécutif, c’est-à-dire du président en fonction. Plus tard, nous saurons que Richard Butler a rédigé son rapport en accord avec les services secrets américains.

En 2003, le premier-ministre britannique Antony Blair a, lui, demandé à son directeur de la communication, Alastair Campbell, de produire un rapport pour présenter l’Irak comme une menace sérieuse pour la sécurité nationale. Ce rapport a été déposé devant le Parlement par le premier-ministre, qui affirma que l’Irak était capable de frapper la Grande-Bretagne et l’Europe avec des armes de destruction massive en moins de quarante-cinq minutes. Il a ainsi poussé la plupart des députés britanniques à voter l’entrée en guerre contre l’Irak.

En réalité, cet « excellent dossier présenté par le Royaume-Uni décrivant en détail les activités de dissimulation irakiennes », d’après le secrétaire d’Etat américain Colin Powell, est un plagiat de la thèse d’un étudiant en sciences politiques, rédigée 12 ans auparavant, que le rapporteur a complété avec plusieurs articles universitaires en ligne sur internet et modifiés pour les besoins de la cause. Le directeur des inspecteurs de l’ONU en Irak, le suédois Hans Blix, avait contesté le faux rapport et il est devenu la cible d’une effroyable campagne de dénigrement et de calomnies de la part de Londres et de Washington qui allaient commencer l’invasion de l’Irak sans l’accord du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Ce sont deux universitaires qui ont dévoilé la supercherie au grand public. Glen Rangwala, professeur à l’université de Cambridge, a reconnu les articles de sciences politiques utilisés. Il en a informé la BBC tout en indiquant les passages qui avaient été modifiés pour rendre le rapport plus alarmiste. Le docteur en microbiologie David Kelly, qui avait participé aux missions de l’ONU en Irak, a aussi contacté la BBC pour lui faire part de ses doutes sur l’origine du même rapport. Quelques semaines après, il est retrouvé  dans un bois, les veines du poignet tranchées.

L’intervention en Libye à peine terminée, serait-on en train de rejouer un scénario à l’irakienne,  à l’encontre de l’Iran cette fois en usant, encore une fois, de l’argument du danger nucléaire? En effet, l’Iran n’est pas le seul État qui voudrait se doter de l’arme nucléaire, pour assurer sa sécurité face aux appétits grandissants des puissances occidentales. D’autres s’activent dans ce domaine. Bien plus avancés que l’Iran, ne devraient-ils pas être considérés comme des priorités, telle, par exemple, la Corée du Nord, qui possède ce type d’armement et cherche à augmenter la portée de ses vecteurs ? Soupçonné de cacher des têtes nucléaires dans ses arsenaux, Israël, sans confirmer les accusations, ne les jamais niées pour autant.

Pierre Piccinin

Pierre Piccinin

Pierre Piccinin, professeur d’histoire et de science politique à l’Ecole européenne de Bruxelles I. Domaine de recherche: histoire ancienne et contemporaine et particulièrement du Moyen-Orient.