L’Est de la RDC : Requiem pour la presse…

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Sans journaux ni véritables radios et télévisions dignes de ce nom, des millions d’habitants de l’Est du Congo dit démocratique doivent se connecter sur les chaînes étrangères et se disputer des journaux vieux de deux ans. Défection en masse des journalistes, arrestations arbitraires, tortures et intimidations et autocensure sont les seuls choix qui restent aux « chevaliers de la plume »…

Inconsolable, Eric Mwamba ne peut plus cacher ni son impatience ni son ras-le-bol chaque jour grandissant. Agé d’une quarantaine d’années, cet excellent journaliste indépendant congolais, membre du Forum for African investigative reporters (FAIR, basé en Afrique du Sud) vit depuis 12 ans entre le Canada, l’Afrique de l’Ouest et l’Australie. « Rien n’est plus frustrant que de devoir fuir son pays pour continuer à exercer le métier qu’on aime et qu’on a choisi », ne cesse-t-il de répéter à tout bout de champ.

Près de 10 mille kilomètres plus loin, à Bukavu, J.-M. K., l’un des plus brillants journalistes de radio et de télé de  l’est de la République démocratique du Congo, a dû changer de métier pour s’investir dans l’éprouvante exploitation de l’or et de la cassitérite, horrifié par les meurtres à répétition des journalistes. « Après avoir assisté à l’enterrement de mes amis Serge Maheshe en juin 2007 puis de Didace Namujimbo en novembre 2008, tous deux journalistes de la radio Okapi de la Mission des Nations Unies au Congo,  j’ai compris que mon tour  allait bientôt venir et j’ai choisi de quitter ce métier devenu à haut risque », affirme-t-il en essuyant une larme. Pas moins de 16 journalistes ont été assassinés depuis l’année 2005, ce qui classe le pays parmi les principaux prédateurs mondiaux de la liberté de presse selon les rapports de Reporters sans frontières, de l’Ifex, du Comité pour la protection des journalistes et de toutes les autres organisations œuvrant dans ce domaine.

Au Rwanda voisin, Philippe le directeur de la Librairie Caritas de Kigali, ne cache pas sa satisfaction : les journaux se vendent comme des petits pains. Ses principaux clients sont des Congolais qui traversent chaque jour la frontière pour s’approvisionner. « Il n’y a rien de plus ridicule que d’aller acheter à l’étranger un journal pour apprendre ce qui se passe dans le village voisin du vôtre », se désole Kennedy Wema, directeur de Radio Soleil Fréquence verte de Butembo au Nord-Kivu, d’ailleurs fermée par les autorités après l’interview d’un officier mutin.

Trois fois plus grand que la France et 50 fois plus grand que la Belgique, l’est de la RDC est aussi étendu que la moitié de toute l’Europe occidentale. Il est composé des provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maniema et de la Province orientale, soit une superficie totale d’environ 1 million 800 mille kilomètres carrés sur lesquels vivent pas moins de 35 millions d’âmes. Pratiquement aucun journal n’y est publié par manque d’infrastructures adéquates. L’enseignant Alexis Bahole, ancien journaliste de presse écrite, résume bien la situation : « Comment voulez-vous faire un journal sans imprimerie ni maison d’édition, sans subvention pourtant prévue par la loi, sans accès aux lieux des événements à cause de l’insécurité et de l’absence de routes ? Avec quoi allez-vous le financer sans accès à la publicité ni espoir de vente au numéro suite à la misère criante de la population » ?

Hormis Le Souverain du peuple de Bukavu – un mensuel qui sort quand il peut selon sa directrice Solange Lusiku – et Mongongo de Kisangani, pratiquement aucun journal « sérieux » ne parait sur ce vaste territoire. L’un et l’autre sont imprimés à grands frais à Kampala en Ouganda ou à Bujumbura au Burundi, avec ce que cela coûte en transport et en frais d’hôtel et de douane. « Doit-on parler des feuillets de liaison des innombrables Ong locales, plus soucieuses de justifier les dépenses de l’argent reçu de leurs bailleurs de fonds que de réellement informer la population » ? s’interrogent les habitants. « Par contre, renchérit-elle, la grande majorité des Congolais de l’est, louent l’apport de l’agence de presse franco-congolaise Syfia Grands lacs qui, avec sa cinquantaine de correspondants, nous informe gratuitement chaque semaine grâce à ses articles fouillés et vraiment objectifs ». Tout en soulignant : « Dommage que ces excellents journalistes ne se limitent pratiquement qu’aux  villes…Dans les villages et les montagnes quasiment inaccessibles, ils ont peur de se faire agresser par les soldats et les groupes armés  ».

Petites radios, grands succès

Quid de la presse audiovisuelle ? Pas moins de 400 radios et quelques stations de télé fonctionnent dans cette partie du pays avec les moyens du bord. La plupart appartiennent à des hommes politiques, à des associations ou à des confessions religieuses et ne diffusent donc que « la voix de son maître ». Le seul média bien équipé et vraiment performant reste la radio Okapi de l’ONU. Mais là aussi ce sont les rédacteurs en chef européens qui décident du contenu à diffuser ou non sans toujours tenir compte du véritable intérêt des auditeurs. Celles qui se veulent sérieuses émettent dans un rayon n’excédant pas 5 km à la ronde avec du matériel dérisoire et bricolé : autoradio transformé en émetteur, fil métallique en guise d’antenne, souvent un seul dictaphone pour une dizaine de journalistes… – quand ils ont du courant électrique, ce qui est rarissime ou du carburant dans leurs groupes électrogènes, ce qui relève plutôt du parcours du combattant. « Si au moins nous avions accès aux sources officielles d’information, s’insurge J.K. Tenez, l’autre jour je suis allé voir un lieutenant de la brigade routière pour avoir des éléments sur un enlèvement de jeunes filles dans un village. Il m’a envoyé à son capitaine, celui-ci au colonel puis au général qui m’a affirmé que les militaires, les policiers et en général les fonctionnaires ne pouvaient rien dire à la presse sans l’aval du Commandant suprême, le Chef de l’Etat en personne. C’est d’un ridicule ! ». C’est ainsi que les habitants de la partie orientale de l’ex-Zaïre, l’un des pays potentiellement les plus riches du monde sont contraints, pour être informés sur ce qui se passe autour d’eux,  de se brancher sur les radios internationales à l’instar de la Voix de l’Amérique, la BBC ou encore Radio France Internationale. Là encore, des organisations internationales veillent au grain, surtout en matière de formation et d’équipement : L’Institut Panos Paris, Benevolencia, le Centre Lokole de Search for common ground, Misereor, Syfia, le Pnud etc.  « Que deviendrions-nous sans Reporters sans frontières et Journaliste en danger, pratiquement les seules associations qui défendent nos droits lorsque – et c’est plutôt fréquent- nous sommes assassinés, torturés, menacés ou poussés à l’exil ? », s’interroge l’animateur de radio Alexandre, complètement désemparé …

Comment s’en sortir ?

Contacté au téléphone par nos soins pour savoir ce qu’il pense de l’avenir de la presse et du journalisme au Congo « démocratique », Jean-Marie B., un des derniers monstres sacrés de la profession que ses confrères ont surnommé affectueusement « le Doyen » répond laconiquement : « Devant cette situation il n’y a malheureusement plus que trois choix : l’exil, le changement de métier ou, la pire de toutes, l’autocensure. Bien des journalistes se sont hélas inféodés à des hommes politiques qui profitent de leur misère, mais ceux-là je les compare à des prostituées indignes ». Il reste bien sûr Internet mais là encore la fiabilité et l’objectivité des contenus diffusés exigent d’y regarder à deux fois tout comme d’ailleurs le professionnalisme et la bonne foi des expéditeurs. Ce qu’il fallait démontrer.

Déo Namujimbo

Déo Namujimbo

Déo Namujimbo est journaliste et écrivain.

Déo Namujimbo

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