Russie : Quel espoir pour la Tchétchénie ?

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Ces dernières semaines, la Fédération de Russie a étoffé sa législation de lois toujours plus liberticides. L’assassinat du journaliste daghestanais Akhmednabi Akhmednabiev le 9 juillet 2013 démontre que les pratiques privant l’opinion publique d’une libre information et empêchant les défenseurs des droits humains de dénoncer l’injustice perdurent. Il s’inscrit dans une réalité politique marquée par le conflit et les assassinats politiques dans le Caucase du Nord, comme il y a quatre ans déjà, lors de l’assassinat de Natalia Estemirova.

Natalia Estemirova, la courageuse défenseure des droits humains et journaliste, fut enlevée à Grozny le 15 juillet 2009. Quelques heures plus tard, son corps criblé de balles et portant des traces de torture fut découvert en Ingouchie, en bordure d’une route. Selon des témoignages concordants, un commando appartenant à la « garde prétorienne » de Ramzan Kadyrov a commis cet assassinat.

Pourquoi cet acte de violence extrême contre une femme sans défense ? Voici ce que raconte une autre personnalité courageuse, Igor Kaliapine, président de l’ONG russe Comité contre la torture:

« Fin juin 2009, un commando non identifié arrête un certain Apti Zaïnalov, habitant à Saratov, qui vient d’arriver en Tchétchénie pour visiter sa mère. Il est blessé lors de l’arrestation et amené dans une direction inconnue. Sa mère exige qu’on le recherche, en vain. Dix jours plus tard, elle apprend qu’il est gardé par des personnes armées à l’hôpital d’Atchkhoï-Martan. Comme les autorités font la sourde oreille, elle vient implorer de l’aide à l’antenne de l’ONG Memorial à Grozny, concrètement, à Natalia Estemirova. Ensemble, les deux femmes font le déplacement à Atchkhoï-Martan. Estemirova se rend chez le procureur de ce district, et la mère file à l’hôpital. Natalia exige que le procureur, accompagné de policiers, se présente à l’hôpital pour libérer Zaïnalov. Le procureur ne refuse pas mais traîne, délibérément. Entre temps, la mère assiste, impuissante, au transfert de son fils blessé. Sous escorte armée, la fourgonnette où l’on fourre Zaïnalov attaché à une civière quitte l’enceinte de l’hôpital. La mère ne l’aura plus revu, ni mort ni vivant. 

Pourquoi le procureur a-t-il traîné pour permettre au groupe d’assassins de kidnapper Zaïnalov une deuxième fois ? Il s’est avéré plus tard qu’il avait été informé de la situation quatre ou cinq jours auparavant. Il s’était même rendu à l’hôpital en compagnie du chef de l’antenne du FSB du district, mais des personnes armées l’avaient menacé de mort s’il ne quittait pas les lieux aussitôt, sans demander la moindre question. De son côté, le chef de la police locale, s’étant entretenu avec ce commando, lui avait proposé de « ne pas se mêler de cette affaire » ». 

A la différence du procureur, Natalia ne s’est pas laissée intimider. Elle a continué à chercher où se trouvait Zaïnalov et qui l’avait enlevé. Elle a vite découvert qu’il s’agissait des gens d’Adam Delimkhanov, premier vice-premier ministre de la Tchétchénie, chargé de superviser toutes les formations armées tchétchènes. C’est le plus proche ami de Kadyrov. Ces formations armées fidèles au duo Kadyrov-Delimkhanov sèment la terreur dans la République. Elles sont bien plus redoutables que ne l’étaient les troupes fédérales. Et ces escadrons de la mort sont terriblement efficaces. Natalia fut assassinée quatre jours après sa tentative de sauver Zaïnalov.

Est-ce cette affaire en particulier qui lui a coûté la vie ? On ne sera jamais sûr car elle s’occupait parallèlement d’autres cas d’enlèvements, de meurtres, de torture, cette réalité quotidienne de la Tchétchénie « pacifiée ». En réalité, il y a aujourd’hui deux régimes dictatoriaux en Russie : celui de Vladimir Poutine et celui de Ramzan Kadyrov. Ayant opté pour la « tchétchénisation » du conflit, Poutine a donné carte blanche à Kadyrov pour combattre toute velléité de résistance. Tel un vassal qui jure sa fidélité au suzerain mais fait tout ce qu’il veut chez lui, Kadyrov ne se soucie pas du respect des lois fédérales, imparfaites qu’elles soient. Chez lui, la charia est en vigueur, la polygamie encouragée, les droits de la femme réduits au néant ou presque. Chez lui, et même en dehors des frontières de la Tchétchénie, à Moscou, voire à l’étranger, n’importe quelle critique du chef et de ses acolytes peut valoir à son auteur une mort atroce. Chez lui, aucun certificat administratif, aucune transaction, aucune inscription d’enfant à l’école, aucune admission à l’hôpital ne peut se faire sans un pot-de-vin considérable à ses fonctionnaires qui se nourrissent sur l’habitant. La structure pyramidale des pots-de-vin, avec Kadyrov au sommet, fonctionne parfaitement : en plus d’une aide fédérale très importante, l’omnipuissant chef du pays jouit des résultats de cette collecte forcée. Il se paie des harems et des hippodromes, il invite à sa table des grandes stars internationales, comme Gérard Depardieu ou Ornella Muti, en leur payant des honoraires mirobolants. Il reconstruit Grozny en faisant de l’émulation avec les Emirats.

Dans cette atmosphère médiévale asphyxiante, des militants des droits humains continuent d’agir, contre vents et marées. L’antenne de Memorial fonctionne de nouveau à Grozny, et des juristes russes se rendent en Tchétchénie, en « groupes mobiles », pour faire des enquêtes sur les crimes du régime Kadyrov. Ces gens inspirés de l’exemple de Natalia Estemirova et Anna Politkovskaia font un travail extraordinaire et nécessaire. Et comme la tyrannie n’est une forme de gouvernance ni durable ni stable, j’anticipe le jour où des places centrales de Grozny porteront les noms de ces femmes d’exception.

 

 

 

 

Galia Ackerman

Galia Ackerman

Galia Ackerman est spécialiste du monde russe et soviétique. Née en Russie, elle vit en France depuis 1984 où elle a été journaliste à Radio France Internationale, collabore à la revue Politique Internationale et tient un blog sur le site du Huffington Post. Docteure en histoire et traductrice d’Anna Politkovskaïa, elle s’intéresse particulièrement à l’idéologie de la nouvelle Russie post – soviétique et s’attache à la défense des droits humains.

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