Sahel : Al-Qaïda au Maghreb islamique a d’ores et déjà gagné la guerre

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Effroi-Bleu, par-Geel
Effroi Bleu, par Geel

« Le ver est dans le fruit », constate un diplomate occidental en poste à Bamako, la capitale du Mali. La voix est lasse. Le ver, c’est Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique. Qui se reproduit, progresse dans l’espace sahélo-saharien avec une « agilité » défiant les armées présentes, au premier rang desquelles les armées malienne, nigérienne, mauritanienne et bien sûr algérienne, mais aussi les étrangères, en avant-poste, stationnées dans un pays ami encore stable, comme les éléments de l’armée française basés au Burkina-Faso.

Assassinats, enlèvements d’occidentaux – touristes, humanitaires, employés de sociétés… Quelques centaines d’hommes – certes très bien armés et déterminés c’est-à-dire prêt à mourir, tiennent en échec plusieurs armées de la sous-région, incapables de coopérer entre elles… Au début des années 90 les choses étaient « simples ». Au nord l’Algérie, au sud le Niger. Ce pays était considéré par les services de renseignement français et nombre d’observateurs comme le « fruit mûr », prêt à tomber dans la nasse des islamistes algériens.

C’est vrai qu’aujourd’hui, dans les mosquées à Niamey, les prêches ne sont plus seulement religieux mais aussi politiques ou, du moins, s’intéressent de très près aux évolutions de la société nigérienne. Ainsi fin novembre, le Festival international de la mode africaine (FIMA) du créateur Alphadi a été copieusement et de façon virulente « commenté » dans les mosquées de la capitale nigérienne. Le Festival s’est tenu sous très haute surveillance policière.

Au début des années 90, les choses étaient « simples ». Certes le nord Niger et le nord Mali étaient secoués par la rébellion touarègue. Cette communauté réclamait légitimement un partage plus juste des richesses et du pouvoir. Les ennemis étaient connus et se connaissaient. Tous Maliens ou tous Nigériens. Ben Laden, Aqmi et la chute de Kadhafi, plus récemment, sont passés par là et ont brouillé les pistes. La pauvreté des populations du Nord aussi. Le développement tant attendu est à peine sensible. Et ce malgré les efforts des autorités locales et des bailleurs de fond étrangers, parmi lesquels l’Agence française du développement (AFD) dont les financements et le suivi des projets se sont heurtés à l’insécurité grandissante. C’est le cas tout particulièrement dans la vaste région de Tombouctou, Gao et Kidal.

Lors d’un déplacement dans le sud-est de Bamako à la fin du mois de novembre, Amadou Toumani Touré n’a pas caché son inquiétude. Le président malien a assuré que le Sahel était en passe de devenir le plus grand centre commercial d’armes au monde. Et de stigmatiser l’effondrement chaotique du régime libyen et la dissémination de matériels militaires dans toute la sous-région. Aqmi se serait bien « servie » dans cet arsenal libyen, des centaines de combattants touaregs pro-Kadhafi aussi… Cette « sortie » très ferme d’ATT  intervenait en réaction à l’assassinat et à l’enlèvement d’occidentaux à Hombori et à Tombouctou. Très ferme condamnation de l’«agression terroriste »…

Entre les lignes de ce discours, le doigt accusateur du président malien, qui n’a pas soutenu la communauté internationale dans sa guerre contre le colonel Kadhafi, encombrant mais généreux voisin : la situation dans la sous-région se dégrade à une grande vitesse depuis l’intervention de l’OTAN en Libye, pense Amadou Toumani Touré. Pour comprendre la position du Mali, il faut savoir qu’ATT s’est « caché » derrière la position ambiguë de l’Union africaine et n’a surtout pas malmené l’axe Bamako-Alger lors de l’intervention de l’OTAN contre Kadhafi et jusqu’à ce jour d’ailleurs.

 Zone rouge

Le 24 novembre 2011, deux Français sont enlevés à Hombori, localité située entre Mopti et Gao dans le nord du Mali. Le lendemain, trois Européens, un Suédois, un Néerlandais et un de double nationalité britannique-sud-africaine, sont enlevés et un quatrième, un Allemand, tué d’une balle dans la tête en tentant de résister à son enlèvement à Tombouctou en plein jour. Le 26 novembre, le Ministère français des Affaires étrangères et européennes s’alarme: « Un risque très élevé d’enlèvement pèse sur les ressortissants français installés au Mali et au Niger. Nos compatriotes doivent plus que jamais faire preuve, en tout temps et en tout lieu, de la plus grande vigilance et de la plus extrême prudence. Au regard de la menace terroriste qui pèse sur la région, aucun endroit ne peut désormais plus être considéré comme sûr. »

Tout le nord-est du Mali est désormais considéré comme « zone rouge ». Le sud-ouest du pays, où est située Bamako, reste en « zone orange », qui n’est que « déconseillée sauf raison impérative » aux voyageurs. Au total, neuf Européens dont six Français sont désormais retenus en otage dans le Sahel. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui n’a pas revendiqué les derniers enlèvements, avait kidnappé quatre Français en septembre 2010 à Arlit (nord du Niger), sur un site d’extraction d’uranium d’Areva.

Les accords bilatéraux avec le Mali, la Mauritanie, le Niger ou le Burkina Faso permettent à la France de disposer de facilités conséquentes pour intervenir rapidement dans cette partie du monde. Ainsi, après l’enlèvement des deux Français le 24 novembre, plusieurs hélicoptères de l’armée française, au moins cinq, et des dizaines de soldats dont des éléments du COS (Commandement des Opérations Spéciales) qui regroupe des unités spéciales des trois armées se sont pré-positionnés sur l’aéroport de Gao. Mais les preneurs d’otages ont eu plusieurs heures pour remonter en direction du sud-algérien et dissuader toute poursuite. Paris a décidé officiellement de l’arrêt des recherches. Les militaires français sont ‘rentrés’ au Burkina-Faso, là ils sont basés en permanence. C’est désormais l’armée malienne qui va mener les recherches dans le grand nord. Et avec quelle efficacité…

A Tombouctou, les supposés éléments d’Aqmi sont intervenus vers 14 et la « poursuite » des militaires maliens a débuté  presque trois heures plus tard. Le gouverneur de la ville a justifié ce délai par la nécessité de recueillir des informations, notamment pour savoir quelle sortie de la ville avaient pris les 4X4 flambant neufs… Déjà, lors de la rébellion touarègue, l’armée du Mali s’était montrée incapable de se déployer et d’agir dans le grand Nord et préférait exercer des représailles sur les populations plutôt que d’affronter un ennemi insaisissable.

 Le rayon d’action d’Aqmi s’est élargi…

Le président Amadou Toumani Touré a lancé un appel à ses compatriotes afin de préserver l’unité du Mali et ne pas stigmatiser une communauté en particulier, en l’occurrence les communautés du Nord, les Touaregs et les Arabes. Par ces propos, c’est évidemment l’effet inverse qui va se produire, car il s’agit là, en quelques sortes, de la solution « de facilité » pour trouver un bouc-émissaire. A travers les propos du président malien, c’est encore une fois une vision manichéenne du Mali qui s’exprime, car le « corps malade », aujourd’hui, c’est la société malienne dans son ensemble gangrenée par la corruption et le trafic en tout genre. L’Etat lui-même n’est bien épargné.

Depuis 20 ans, le trafic de drogue, de cigarettes, d’armes, d’êtres humains s’est développé dans le Sahel, allant de l’Afrique de l’Ouest en direction de l’Algérie. Les routes du Nord se sont transformées en véritables autoroutes pour les trafiquants. Faisant « nourrir » beaucoup de monde au passage. Le « boulot » d’intermédiaire, petit ou grand, est devenu lucratif et une source de revenus sûre. Inutile pour cela d’être un bandit de grand chemin, mais seulement quelqu’un qui doit faire vivre une famille ou un jeune sans emploi qui considère que son avenir ne passe pas par trois chèvres à garder…  Aqmi a trouvé là un terrain fertile pour s’enraciner et se développer. La capitale malienne ne serait plus épargnée. Interrogé par RFI, le ministre malien des Affaires étrangères, Souleymane Boubeye Maïga n’a pas confirmé ni infirmé la présence, à Bamako, de cellules dormantes d’AQMI. Il s’est contenté de dire : « vous savez, le terrorisme est partout aujourd’hui… ». Si AQMI n’a pas encore gagné les cœurs de la population malienne, cette branche du terrorisme international a gagné la guerre sur plusieurs fronts : armé, économique et symbolique.

« Armé » : parce qu’insaisissable après avoir mené une « opération ». Les terroristes ont même gagné en confiance, ils opèrent de plus en plus loin de leurs bases, Hombori, Tombouctou au Mali, Niamey au Niger…

« Economique » : les projets de développement dans le Nord malien et nigérien sont au point mort pour longtemps. De même le tourisme, source de richesses pour le petit vendeur de rue ou le grand hôtelier, est au plus bas. Tombouctou la fascinante fait désormais peur.

« Symbolique » enfin et c’est peut-être là le plus important mais aussi le plus difficilement déchiffrable à l’heure actuelle dans ses conséquences : les raisons de la domination d’AQMI sont multiples et tenaces : pauvreté, chômage, déracinement à l’intérieur même de son propre pays car les structures familiales jouent de moins en moins leur rôle de ciment de la société, radicalisation d’un islam historiquement modéré… Comme le fit en son temps la rébellion touarègue, Aqmi recrute-t-il déjà au sein d’une jeunesse désoeuvrée, qu’elle soit du nord ou sud du Mali ? Selon certaines sources, la réponse est positive. Intermédiaires, indicateurs… Une ligne rouge a été franchie et c’est maintenant toute la bande sahélienne qui a viré au rouge ou orange sur le tableau de bord des chancelleries occidentales…

 

 

 

 

 

Jean-Jacques Louarn

Jean-Jacques Louarn

Jean-Jacques Louarn est journaliste à RFI.