Syrie et ONU : Comment dire l’inconcevable ?

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Chambre avec vue sur guerre, par Edith BouvierDepuis bientôt vingt mois, les massacres se succèdent en Syrie. Chaque jour nous amène son lot d’horreurs, des images d’enfants ensanglantés, de corps décomposés, de familles terrorisées.

Depuis vingt mois, les rares personnes à être parvenues à pénétrer le territoire syrien ont dénoncé la gravité de la situation. Et pourtant, rien n’y fait. Aucun gouvernement n’est parvenu à prendre de véritables mesures à l’encontre du gouvernement syrien, aucune voix ne s’élève pour mettre un terme à ce décompte morbide. Dix-sept ans après le siège de Srebrenica en Yougoslavie, la même histoire se répète. Le pays tout entier est assiégé, bombardé jour et nuit et ses habitants sont terrés dans leurs maisons quand celles-ci n’ont pas été démolies, et dans des caves le plus souvent.

Difficile de dire, une fois de plus, qu’on ne savait pas alors que chaque jour, des syriens risquent leur vie pour diffuser les images de ces massacres.

En 1995, le génocide de Srebrenica a fait 8375 victimes, c’est aujourd’hui un des exemples cités pour évoquer les crimes de masse et l’indignité à ne jamais reproduire. Et pourtant, une fois de plus, les syriens meurent chaque jour sous nos yeux.

Aujourd’hui, les mots ne sont plus suffisants pour décrire l’atrocité de la situation sur place. Comment raconter ce que le cerveau ne peut même plus concevoir. Comment accepter qu’on ait laissé faire, qu’on ait tourné la tête et qu’on ait continué de vivre alors que les cris des blessés résonnent dans nos crânes.

Selon une résolution datant de septembre 2009, les Etats membres des Nations Unies sont censés porter « la responsabilité collective de protéger les civils », contre le génocide, le nettoyage ethnique, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Depuis mars 2011, Bachar al-Assad gagne du temps, multiplie les courbettes diplomatiques devant tous les dignitaires qui viennent le raisonner afin d’exterminer toujours le plus de civils. Depuis le début de la révolution, il a signé cinq promesses de cessez-le-feu. A chaque fois, devant l’émissaire de l’ONU, il a promis, juré sur l’honneur qu’il allait faire taire les armes quelques heures, qu’il allait laisser un peu de répit aux populations civils, les laisser enterrer leurs morts et espérer un lendemain possible. Et pourtant, à chaque fois, ses promesses ont volé en éclats en quelques heures à peine. En août 2012, l’émissaire des Nations Unies, Koffi Annan, a démissionné. Malgré la mise en place d’observateurs sur le terrain, malgré de nombreuses réunions officielles, la situation n’a fait qu’empirer et l’homme a avoué son impuissance à raisonner le régime et les rebelles.

Lakhdar Brahimi lui a succédé, sans plus de succès pour l’instant. Et ensuite, qui pourra croire en des négociations possibles, en une sortie diplomatique à cet enfer ? Le Comité international de la Croix Rouge, qui n’est pas autorisé par le régime à se rendre dans toutes les zones du pays ? Tant que le Conseil de Sécurité de l’ONU et les pays membres n’auront pas décidé de prendre leurs responsabilités, le cri du peuple syrien restera sourd.

Le 26 octobre, premier jour de l’Aïd, la plus importante fête des musulmans, l’armée a continué à pilonner à l’arme lourde et au mortier les civils sortis manifester, partout dans le pays. Il n’a fallu que quelques heures pour que le cliquetis des armes se fasse entendre. Quelques heures de trêve, quelques heures pour entendre la vie qui résiste, la vie qui continue. Et la mort est revenue hanter les rues du pays.

Depuis vingt mois, la liste des morts s’allonge. Comment faire pour raconter ces hommes, ces femmes et ces enfants dans les médias ? Comment leur donner leur dignité perdue dans ce bombardement sans discernement ? Comme à Gaza, en Afghanistan ou en Irak, la même question se pose, comment raconter la mort des civils sans tomber dans une litanie insipide et sombrer dans le banal, voire le normal ?

Chaque jour, des centaines de syriens fuient leurs maisons et tentent de trouver  refuge dans les pays voisins ou dans des zones plus apaisées du pays. Ils sont plusieurs centaines de milliers à s’entasser dans des tentes ou des caves, à espérer toute la journée une issue à leur cauchemar. Ils fuient la guerre pour se retrouver enfermés, prisonniers dans ces camps. Quel avenir proposer à ces enfants quand tout un peuple est décimé en silence ? Que leur dire quand le monde entier a détourné les yeux ? Qui aura le courage de les regarder en face en bafouillant des explications géopolitiques, des histoires de pays voisins, de danger pour l’avenir ou de crainte d’un sursaut islamiste ? Comment justifier tout ce sang sans rougir ?

Edith Bouvier

Edith Bouvier

Edith Bouvier est journaliste indépendante, envoyée spéciale en Irak.