Tunisie : avant qu’il ne soit trop tard…

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Par Florence Beaugé du journal Le Monde

Voilà donc Zine El-Abdine Ben Ali, 73 ans, reconduit pour cinq ans à la tête de la Tunisie, depuis le 25 octobre, pour un cinquième mandat consécutif. La question n’est pas de savoir si le président tunisien procédera enfin à une ouverture démocratique mais si ses partenaires européens pèseront sur lui pour tenter de l’y contraindre…

La grande force de ce régime – que l’on peut qualifier de dictatorial – c’est qu’il parvient à susciter l’espoir à chaque élection, y compris chez les Tunisiens eux-mêmes. Cela fait 22 ans que Ben Ali règne sans partage sur la Tunisie, et 22 ans que tout le monde se prend à espérer à intervalles réguliers une amorce de démocratisation. En réalité, le régime tunisien est incapable de s’amender. Le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas.

Persuadé qu’il est victime d’une injustice de la part de la presse internationale (française surtout), le président Ben Ali ne retient qu’une chose : son pays est « le bon élève du Maghreb » comme le répète régulièrement l’Union européenne (France, Italie et Espagne en tête). Il enregistre des taux de croissance honorables, de l’ordre de 5% en moyenne, alors qu’il ne regorge pas de gaz et de pétrole comme ses voisins. Enfin, c’est un havre de paix pour les touristes qui s’y pressent par millions chaque année.

Tout cela est vrai, bien qu’il faille mettre un bémol au fameux « miracle économique tunisien » loué par les institutions financières internationales. Les richesses sont plus mal réparties que ne le laissent apparaitre les chiffres, et le comportement prédateur du clan au pouvoir – en particulier les Trabelsi, famille de madame Ben Ali – freine le développement économique. Tout ceci provoque frustrations et rancœur au sein de la population.

Mais plus que tout, c’est le clientélisme et le maillage policier – les deux mamelles du régime – qui rendent l’atmosphère de plus en plus irrespirable. Attachés à leur confort, soucieux du lendemain, beaucoup s’accommodent de la situation, par peur d’avoir à subir des représailles : perte d’un emploi, redressement fiscal, refus d’un permis de construire ou un passeport, etc. D’autres résistent et tentent d’exercer pleinement leurs droits de citoyen. Ceux-là sont l’objet d’un harcèlement inimaginable, souvent des plus mesquins.

Pneus crevés. Tabassages en règle et en pleine rue. Filatures vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Filtrage policier à l’entrée des domiciles privés. Interdictions arbitraires de se déplacer dans le pays ou de voyager à l’étranger. Détournement de courrier. Piratage du courrier électronique. Campagne de presse diffamatoires, et souvent même obscènes quand il s’agit d’une femme… La liste des méthodes de voyou pratiquées par le pouvoir à l’encontre des opposants politiques et des défenseurs des droits de l’homme est interminable.

Le régime Ben Ali fait de moins en moins illusion à l’étranger. Nicolas Sarkozy oserait-il, aujourd’hui encore, prétendre que « l’espace des libertés progresse en Tunisie » comme il l’a fait lors de sa visite officielle à Tunis, en avril 2008 ? L’Elysée et le Quai d’Orsay sont les premiers à savoir que le «multipartisme» en Tunisie est un trompe l’œil et que la presse est l’une des plus muselées du monde. Dans les prisons, on torture en toute impunité. Quant à la justice, elle est totalement instrumentalisée.

En s’obstinant à soutenir le président Ben Ali sans la moindre distance, au motif qu’il combat les islamistes, les autorités françaises pratiquent un jeu dangereux. Ce régime n’aura qu’un temps. Réduire les islamistes au silence par la violence – et même la persécution –, ne signifie pas les faire disparaitre du paysage. C’est attiser les haines et préparer un avenir des plus incertains.

Un jour viendra où la France devra rendre des comptes. Elle ferait bien d’en prendre conscience à temps.

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La rédaction de Grotius International.

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