Vers une révolution constitutionnelle au Maroc ?

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Le site reforme.ma
Le site reforme.ma

L’un des slogans scandés par les manifestants du «mouvement du 20 février», pendant la dernière mobilisation populaire du 24 avril 2011 est le refus «de la constitution de Mounir  Majidi et Fouad Ali Al Hima », deux des plus proches collaborateurs du Roi du Maroc Mohamed VI. En s’attaquant à son entourage alors que ce sont « les prérogatives exorbitantes » du roi lui-même qui sont visées, les manifestants marocains montrent, encore une fois, la capacité des textes constitutionnels de discipliner le comportement des peuples et de tracer les lignes rouges, aussi injustes soient-elles, qu’ils ne peuvent franchir.

En effet, l’article 23 de la constitution marocaine stipule que «La personne du Roi est inviolable et sacrée», tout commentaire ou  critique des faits ou des discours du roi constituent ainsi un délit ; ce qui réduit considérablement l’intérêt du débat politique et fait du roi, si l’on croit les manifestants, la principale source de dysfonctionnent du système politique marocain.

Bénéficiant d’un quasi-monopole sur le pouvoir politique et religieux et d’un accès illimité et non contrôlé aux ressources économiques du pays,  le roi est en réalité la véritable cible des revendications d’une nouvelle constitution pour le pays. Lorsque les manifestants répètent  en chœur « le peuple veut la chute du gouvernement,  du parlement et de la constitution », ce sont les pouvoirs du roi qui sont visés.

Or, pendant des décennies, cette revendication a constitué un véritable tabou mais qui n’a pas résisté au déclenchement des révolutions arabes et notamment la chute du président égyptien Moubarak et à la fuite de Ben Ali. Après la contestation publique du rituel du baisemain royal et des lourdeurs des cérémonies, les pouvoirs du roi sont mis sur l’agenda dans l’espace public marocain. Sous la pression disciplinée et graduelle du « mouvement de 20 février », le roi s’est prononcé le 9 mars 2011 pour une réforme profonde de la constitution et a nommé une  commission consultative pour la réforme de la Constitution, dirigée par Abdeltif Menouni.

Mais, cette commission est boycottée par le «mouvement du 20 février » principal initiateur des manifestations populaires, qui exige non pas une simple révision constitutionnelle mais une nouvelle constitution rédigée par une commission indépendante et non pas nommée par le Roi.

‘reforme.ma’, un site internet qui tombe à pic…

Dans cette perspective, étant donné l’écart entre les propositions du roi et les revendications des manifestants,  l’initiative de deux ingénieurs marocains Tarik Nesh-Nash et Mehdi Slaoui Andaloussiqui a pris la forme d’un site internet, reforme.ma :« pour permettre au public de participer à la discussion », tombe à  pic.

L’idée  est salutaire, il s’agit de permettre, avant de procéder à la  révision, à chaque citoyen marocain de lire et de commenter la constitution article par article et de faire des commentaires et même des propositions. Ainsi si l’article 1 de la constitution qui proclame que « le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale » a eu l’approbation de plus de 6 000 internautes, seuls  1 900 d’entre eux y sont opposés. Or la revendication du mouvement du 20 février est claire : une monarchie parlementaire dans laquelle le roi règne mais ne gouverne pas.

Mais c’est l’article 19 relatif au statut « de commandeur des croyants » du roi qui est le plus discutée. Il stipule :« Le Roi, Amir Al Mouminine. Représentant Suprême de la Nation, Symbole de son unité, Garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, veille au respect de l’Islam et de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l’indépendance de la Nation et l’intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ». Plus de 10 000 commentaires lui sont consacrés mais en fin de compte, il est préservé : 5150 votes favorables et contre 4 243 contre ! (selon un décompte du 19 avril, à 18 heures).

L’audience du site est loin d’être négligeable ; en tous cas cette initiative est célébrée dans la presse proche du pouvoir marocain et présentée le plus souvent comme la preuve que l’opinion publique adhère à l’idée de la révision constitutionnelle proposée par le roi alors même qu’elle est totalement rejetée par le mouvement du 20 février. Même, la Commission pour la réforme de la Constitution, dont la composition est fortement contestée, n’a pas manqué l’occasion de contacter les deux ingénieurs pour les auditionner.

Tarik Nesh Nash et Mehdi Slaoui Andaloussi, ont présenté samedi 26 mars un bilan de la fréquentation du site pour la période allant du 11 au 25 mars, par nombre de visites,  le nombre de visiteurs ainsi que leur origine géographique.

Durant les deux premières semaines, le site a enregistré 75 000 visites dont 52 000 uniques et 200 000 pages visitées. Le site a enregistré 320 000 votes et 7 000 commentaires au total.

Sur un total de 74 732 visites en provenance de 105 pays, 75% viennent du Maroc, suivi de la France, des Etats-Unis et du Canada. Par régions marocaines, 45% des visites proviennent de Casablanca, 20% de Rabat et 25% de Tanger, Agadir et Marrakech. Les hommes et la tranche d’âge des 25-34 ans sont les plus représentés.

L’enjeu constitutionnel au Maroc est déterminant pour la suite du rapport de forces dans lequel sont engagés le roi, les partis politiques d’un côté et les contestataires de l’autre. Il semble bien que le site reforme.ma est du côté du premier groupe car l’histoire constitutionnelle du Maroc est rythmée de révisions qui n’ont jamais touché la nature d’un texte, qui consacre la suprématie du roi, et lui donne les moyens de protéger ses alliés aussi bien au niveau sécuritaire qu’économique.

Mohammed El Oifi

Mohammed El Oifi

Mohammed El Oifi est Maitre de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.