« Ni justification ni dénonciation : une perspective décalée ». Tel est le projet scientifique que se donne L’urgence sociale en action fraîchement publié. L’ouvrage, épais et fourni, est une « enquête ethnographique » menée par Daniel Cefaï et Edouard Gardella qui reviennent sur l’histoire du phénomène de la « grande exclusion ». Les deux chercheurs à l’EHESS ont suivi des maraudes du Samusocial parisien dont ils recueillent les témoignages.
A l’origine de ce travail, une question : « Pour quelles raisons des personnes en difficulté, démunies du strict nécessaire, repoussent-elles ceux qui les approchent pour leur offrir assistance ? » En d’autres termes, l’aide aux personnes sans abri doit-elle être un service social qui respecte le libre choisir de l’individu ou un devoir de l’Etat, ce qui pourrait en faire à bien des égards un moyen de répression ?
Le choix des auteurs s’est porté sur les maraudeurs, aujourd’hui « campés comme des héros d’un drame épique ». Mais les enquêteurs se méfient de cette mythologie et préfèrent aborder la maraude sociale sous un angle scientifique par une « enquête ethnographique sur ses interventions de terrain. » Ils pointent ainsi les « problèmes pratiques » que rencontrent les différents services du Samusocial : coordination, arbitrage, conception et contrôle…
L’urgence sociale se veut aussi d’un intérêt scientifique et se dit proche des derniers travaux de la philosophie morale plus proche de la vie quotidienne et moins abstraite que le kantisme. Il se présente comme une « étude de cas » qui confirme ou discute ce qui a été dit dans une vaste littérature sur « la question sociale [comme] aporie fondamentale sur laquelle une société expérimente l’énigme de sa cohésion sociale et tente de conjurer le risque de sa fracture ». Il répond aussi aux questions d’ordre éthique ou moral que le public se pose sur les maraudes, les foyers d’accueil d’urgence… que certains considèrent comme des asiles où la dignité du bénéficiaire est bafouée.
Cette longue « enquête empirique », qui s’inscrit dans « l’ethnologie sociale » et qui veut se démarquer « d’une approche caritative ou biopolitique de l’humanitaire », conclut sur une tentative de « systématiser des “typifications de sens commun” par les maraudeurs et par les usagers de ce que sont, dans telle ou telle situation, de bonnes pratiques. »
« L’urgence sociale en action. Ethnographie du Samusocial » (La Découverte, coll. « Bibliothèque du Mauss », 2011, 576 p.)
Ali Chibani
est docteur en littérature comparée avec une thèse soutenue à la Sorbonne et intitulée Temps clos et ruptures spatiales dans les œuvres de l’écrivain francophone Tahar Djaout et du chanteur-poète kabyle Lounis Aït Menguellet. Il collabore au mensuel Le Monde diplomatique, aux sites web SlateAfrique.fr et Tv5 Monde, ainsi qu’à la revue Cultures Sud. Il a également co-fondé le blog littéraire La Plume Francophone.