« C’est bon Bangui ? »

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A mes amis tanzaniens, incapables de situer sur une carte la République centrafricaine (RCA), je peux dire que « ça » existe. J’y ai passé quelques jours, il y a peu…

« Tu verras, c’est un véritable coupe-gorge pour les prix », m’avait assuré un humanitaire français de chez Oxfam, qui a bourlingué un peu partout sur la planète. « Bangui, c’est la capitale la plus déglinguée du continent », m’avait aussi prévenu un journaliste français, de passage en Centrafrique il y a quelques mois.

A l’aéroport de Bangui, je passe sans encombre les formalités d’usage, avant de grimper dans un taxi. J’essaie de connaître l’heure locale : il y a une heure de moins avec Paris. Il fait déjà chaud et il n’est que 9 heures. L’atterrissage m’ayant pour quelques heures percé les tympans, je n’entends plus que d’une oreille. Serge, le chauffeur du taxi, me demande sans transition : « Alors, c’est bon Bangui ? »

De l’aéroport au centre-ville, je vois défiler des jeeps de militaires français, des échoppes en bois fabriquées avec des planches disjointes, des artères et des trottoirs défoncés, des murs détruits… Jusqu’aux prix des hôtels, pharaoniques pour les prestations offertes, si je compare avec ce que l’on trouve en Tanzanie pour le même prix.

Une fois installé, je pars, sous le cagnard, découvrir Bangui. Les magasins d’alimentation, tenus par des Centrafricains d’origine libanaise, sont nombreux tout au long de l’avenue Barthélémy-Boganda, du nom du premier président et père de la Nation, ayant obtenu l’indépendance de la France en 1960.

Arrive un café, où je peux boire et manger. Je sympathise avec des Centrafricains. Ils sont quatre. Au chômage, militaire ou encore slameur. On parle du pays, de la vie, des Français de Centrafrique… « Tu vois, ici, c’est la galère, me dit amer Achab, le slameur. La vie est chère, y’a pas de boulot, on marche à pied car il n’y a presque pas de transport en commun. Je ne peux pas me marier ni avoir d’enfant, car je ne gagne pas assez. » « Les Français, ça va bien pour eux, poursuit l’un des trois autres centrafricains. Grande maison, grosse voiture : ils sont ‘’expats’’. Ca roule pour eux. » Je me retrouve avec Achab, qui me propose de m’emmener jusqu’au fleuve Oubangui, qui marque la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), de l’autre côté.

Le lendemain, seul, je décide d’aller explorer d’autres parties de Bangui. Pour une capitale, Bangui reste un mystère. Il n’y a pas une artère de la ville sans nids de poule, et si les trois avenues principales sont encore revêtues de bitume, les rues qui leur sont perpendiculaires sont en terre ou en gravas. Passons sur le passé agité de la RCA : ça n’explique pas tout. Comment une capitale peut-elle se retrouver dans cet état ?

Achab m’avait montré les réalisations du défunt Jean-Bedel Bokassa, président de la RCA de 1966 à 1979, suite à son coup d’Etat de « la Saint-Sylvestre » du 31 décembre 1965. « Tout ce que tu vois là, c’est lui. Toutes ces constructions, ça date de l’époque de Bokassa. Les autres présidents, depuis lui, n’ont pas fait grand-chose… », dit-il, en pointant son index sur les bâtiments du centre-ville. Le palais présidentiel, non plus, n’a pas beaucoup changé : deux barrières déglinguées en empêchent l’accès, avec deux gardes endormis aux kalachnikovs écaillées. Là encore, les routes, qui accèdent au palais, sont défoncées.

Félix, un ancien tailleur de diamant de l’époque de Bokassa, ne me cache pas qu’au temps de « l’Empereur », c’était bien mieux. « Nous avons été les premiers d’Afrique centrale pour certains équipements. Les hôpitaux fonctionnaient, l’école aussi, les routes étaient en bon état. Il y avait de l’argent, et on n’avait pas de problèmes pour manger car les prix étaient bas. »  

Aujourd’hui, des ministères sont logés dans de simples pavillons. Certains semblent même ne plus avoir d’activités depuis plusieurs années, si l’on se réfère aux toits rouillés, et aux vitres, noircies par la poussière et la saleté. Le système de santé est en miette : le résultat est qu’en 2012 l’espérance de vie est la deuxième la plus faible au monde (49 ans). Le taux de mortalité infantile y est très élevé, et l’indice de développement humain (IDH), parmi les six plus bas au monde.

Les gens doivent s’acheter comme ils peuvent leurs médicaments, les rares hôpitaux sont vides de personnel, et dans la plupart des endroits il n’y a ni hôpitaux, ni centres de soins, ni médecins, ni infirmiers. Il y a une seule fac de médecine et une seule école d’infirmiers, tous deux à Bangui.

« Bangui, ce n’est pas une capitale, ça ressemble plus à une préfecture d’une province perdue d’Afrique centrale ». Justine, l’intendante du séminaire dans lequel je loge – pour la vue superbe sur le fleuve -, n’est pas tendre avec son pays et reconnaît même en « avoir honte ». « J’ai travaillé cinq ans à Bamako au Mali. Quand je rentrais à Bangui, je me disais toujours ‘’Comment est-ce possible ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à avoir des routes et des infrastructures comme nos voisins ?’’ »

M. Lévy, que tout le monde appelle « Papa », vit à Bangui depuis 1979 où, arrivé tout droit d’Israël, il est devenu conseiller de Bokassa. Il est aujourd’hui le propriétaire d’un hôtel bien connu dans la capitale centrafricaine. Pour lui, c’est toujours la même chose depuis l’indépendance : « Celui qui devient président, il veut sa part du gâteau. Il se sert et il part », me dit-il.

De Bangui, je retiens surtout les militaires, postés à tous les carrefours et omniprésents dans la capitale de la RCA. « Les camps militaires sont dans Bangui, c’est pour ça que tu en voies partout », m’explique un chauffeur de taxi-moto. François Bozizé, le président depuis le coup d’Etat du 15 mars 2003, a placé son fils ainé à la tête du ministère de la Défense. Ne faisant confiance à personne d’autre, cet ancien général des Forces armées centrafricaines (Faca) recrute.

« Ca vaut le coup », me signale Laurent qui a déjà essayé d’y rentrer à deux reprises. En vain. « Le salaire est de 54 000 FCFA par mois (environ 82 euros, ndlr). C’est ce dont j’ai besoin car j’ai mes deux enfants à nourrir, plus les quatre de mon grand-frère déjà décédé, ma mère et enfin ma femme », dit ce vigile de nuit, qui ne veut pas « moisir » dans son boulot, car « il n’y a rien à gratter ». Justine me glisse au passage que les salaires des fonctionnaires n’ont pas été revus depuis 1975. « Comment est-ce possible ? Alors que tout augmente ! », s’exclame-t-elle, irritée par cette incongruité.

Laurent, comme les autres Centrafricains rencontrés à Bangui, ont beaucoup de mal à en vouloir à Bozizé. Si l’économie est à genou, ils voient tout autre chose. « Nous sommes en paix. J’ai dû fuir deux ans en RDC. Mon frère a été tué sous mes yeux, la maison de ma mère a été détruite. Je suis arrivé à Bangui en 2005. La RCA est mon pays, je ne veux pas aller ailleurs. C’est vrai que ça va mal, dans l’éducation ou la santé, mais Bozizé maintient la paix en RCA. » Difficile de répondre à Laurent. Son histoire me fait prendre conscience du chemin parcouru. Et que l’on pense parfois trop vite…

Sur le chemin de la reconstruction du pays, le Fonds monétaire international (FMI) a accordé un prêt de 63 millions de dollars à la Centrafrique fin juin. Une occasion que les radios du pays ont saisie, pour demander à la jeunesse quel usage faire de cet argent. Education, santé, routes : les jeunes centrafricains semblent heureusement avoir le sens des priorités. Sans oublier l’électricité. Bangui est victime de délestages. Le centre-ville n’est pas épargné : les générateurs des commerces résonnent régulièrement durant la journée. A l’extérieur de Bangui, c’est portion congrue : le courant ne revient qu’en fin d’après-midi à 17h avant de disparaitre au petit matin, à 5h. Une part de lumière dans l’obscurité de la RCA.

Arnaud Bébien

Arnaud Bébien

Arnaud Bébien est journaliste (Tanzanie)