A l’autre bout du monde !

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Comme la chanson l’affirme, «à l’autre bout du monde, il y fait toujours beau». «Au moins meilleur qu’ici», c’est sans doute ce que se sont dit les quelque 20.000 Afghans qui ont réussi à déposer une demande d’asile en Europe en 2009.

Il est légitime qu’ils en aient eu l’idée, séduits par les grands airs qu’entonnent nos sociétés, fondées sur les droits de l’homme, le respect des différences, la justice, la démocratie sociale et politique.

Mais sur leur parcours, les survivants de la guerre et de la route migratoire ont pu découvrir la complexité de ces affirmations, parfois leur relativité. Ainsi la Grèce les a familiarisés avec la corruption et la violence, notamment celles des forces de police. Non, elles n’étaient pas l’apanage des seules milices afghanes.

Ils ont découvert qu’en Europe, si le risque d’enlèvement est des plus réduit, il est tout de même légal de rester enfermé de longs mois dans des conditions des plus précaires. Ils se sont aussi rendu compte que si l’attentat kamikaze ne les guettait pas, fort heureusement, à chaque coin de marché, leur condition d’étranger les désignait bien souvent à une violence aveugle et simplement imbécile parce que xénophobe.

Ici en Europe, on ne tue pas, on repousse indifféremment vers la mer. La Grèce renvoie vers la Turquie. En France, on rejette vers Calais. Patras, Calais, deux portes pour l’Europe.

A Calais en un an le nombre de migrants a été divisé par cinq, suite au démantèlement des campements de fortune. Si l’on se prend pour le Shérif de Calais, il y a des raisons de se réjouir. Mais si l’on incarne une politique d’immigration, l’échec est au rendez-vous: les migrants se sont simplement dispersés sur un axe Paris/Ostende dans la précarité la plus totale. On est bien loin de l’objectif revendiqué : un accès à une protection adaptée et à un accueil digne pour chacun.

D’un haussement d’épaule, celui des nantis, les responsables politiques européens disent que ce qu’il advient des migrants relève du hasard et du destin. Ils ajoutent aussi, bien arc boutés sur leurs politiques sécuritaires, qu’il leur est nécessaire de faire respecter l’ordre pour protéger leur propre population. Une méthode qui permet d’atteindre facilement un objectif : rendre les migrants moins visibles sur les radars médiatiques, sans avoir eu besoin de mettre en œuvre une solution européenne. Serait-elle donc si complexe à élaborer ? Il semble que oui, vu l’état

de la politique européenne d’asile et de protection : c’est un vaste bazar. Quand en Italie, un Afghan a 88 % de chance d’être reconnu réfugié, sa chance – sa malchance- tombe à 1% en Grèce.

Ah, l’Europe ! On peut sauter comme un cabri sur sa chaise tel un secrétaire d’État proclamant sa foi en l’Europe et avancer toute fatuité déployée «qu’on ne parle pas comme cela à un grand pays» quand le commissaire européen Viviane Reding ose critiquer la France. Faut-il rappeler au jeune Lellouche que ce qui fait un grand pays ce sont ses grands hommes ou femmes d’État, et qu’ils sont une denrée singulièrement rare en ces temps troublés de notre république ?

Faut-il aussi lui rappeler que le rattachement du duché de Luxembourg à la France révolutionnaire et impériale en tant que département des forêts a suscité des flux migratoires vers la France -31248 individus recensés en 1891- et qu’ils ont contribué aussi à faire de ce pays un grand pays. Ils sont devenus ébénistes, menuisiers, nacriers, bronzeurs faubourg saint Antoine. Ils ont contribué à façonner l’histoire, à façonner la France, «cet autre bout du monde».

Pierre Henry

Pierre Henry

Pierre Henry est Directeur général de France terre d’asile.