Amérique latine : ces ONG transformées en fusibles politiques…

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Colombie, Équateur, Venezuela, Mexique… Dans plusieurs pays d’Amérique latine, certaines ONG sont sous le feu des critiques en raison de leur “positionnement politique”. Accusées d’être manipulées – tantôt pour, tantôt contre les gouvernements en place –, les ONG régionales doivent composer avec un environnement politique très polarisé.

On les taxe soit d’“impérialistes”, soit de “faux-nez” de la guérilla ou encore de “suppôt du gouvernement”… Certaines ONG d’Amérique latine ont dernièrement fait face à des accusations de manipulation politique. Le dernier coup d’éclat en date vient d’Equateur. Le président Rafael Correa a annoncé qu’il ferait le ménage parmi les “30.000 organisations présentes dans le pays”, et plus précisément “les ONG d’extrême droite (qui) cherchent à déstabiliser les gouvernements”, tout comme les organisations d’aide aux réfugiés colombiens présumées complices de la guérilla des FARC. En août dernier, seize ONG se sont ainsi vu retirer leur autorisation d’activité en Équateur pour “manque de transparence” de leurs financements et de leurs actions. La branche espagnole de Médecins sans frontières figurait dans la liste noire. En 2009, les autorités avaient déjà retiré son agrément à Acción Ecológica, une ONG de défense de l’environnement, pour avoir encouragé des manifestations contre un projet gouvernemental de gestions des mines.

Au Venezuela, le gouvernement d’Hugo Chavez est en guerre ouverte avec certaines ONG nationales ou étrangères accusées d’être directement financées, et donc à la solde, de Washington. Si accuser son ennemi de travailler pour une puissance étrangère est un procédé cher aux gouvernements allergiques à toute contestation sociale ou idéologique, la partialité de certaines ONG qui confondent leur rôle avec celui d’un parti n’en demeure pas moins une vraie question en Amérique latine, notamment au Venezuela.

En Bolivie, le président d’Evo Morales a récemment accusé l’agence humanitaire nord-américaine Usaid d’encourager un mouvement social contre la construction d’une route en territoire indigène. La cible est aisée puisque l’Usaid, dans ses statuts mêmes, a vocation à “promouvoir les intérêts de la politique étrangère américaine, la démocratie et l’ouverture des marchés (…)” . L’appui du Département d’Etat américain aux dictatures du Cône sud dans les années 70 et 80 justifie assez largement une telle méfiance.

Dans d’autres pays, à l’inverse, l’étiquette “ONG” sert bien souvent de paravent à des gouvernements pour manipuler l’opinion. Un exemple frappant reste celui de la libération des otages retenus par les FARC colombiennes en juillet 2008, parmi lesquels figurait Ingrid Betancourt. Les autorités colombiennes avaient reconnu s’être servies de l’estampille CICR pour infiltrer leurs agents au sein de la guérilla. Le même gouvernement d’Uribe n’avait cependant pas hésité à faire espionner jusqu’en Belgique certaines ONG de défense des droits humains. A travers l’opération Europa téléguidée par la Casa de Nariño, le Département Administratif de Sécurité (DAS) a pratiqué des écoutes téléphoniques et le piratage de boîtes mails afin de discréditer des organisations, syndicats ou médias réputés critiques envers la politique dite de “sécurité démocratique”.

Au Mexique, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), au pouvoir de 1929 à 2000, a longtemps phagocyté, en les corrompant, des mouvements contestataires. Jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement mexicain a même capté certaines figures de la lutte contre la violence. “Le capital de crédibilité publique que peuvent garantir les organisations civiles est un butin attractif pour les partis politiques qui ont conscience de la méfiance qui pèse sur eux”, expliquait déjà, en 1995, le politologue José Antonio Crespo. Le gouvernement de Felipe Calderón, actuellement en place, ne fait pas autre chose en prenant sous son aile des proches de victimes de l’offensive contre le narcotrafic qu’il a lui-même lancée en décembre 2006.

Comme le note, dans le magazine mexicain Proceso, le journaliste José Gil Olmos, spécialiste des mouvements sociaux: “Attirés par le pouvoir, certaines familles des victimes de la guerre déclenchée par l’administration Calderón, ainsi que des hommes d’affaires, ont été incorporées à la stratégie gouvernementale dont l’objectif est d’affaiblir le Mouvement pour la Paix de Javier Sicilia.” Le gouvernement a, en effet, tout intérêt à afficher des têtes de pont de la lutte contre l’insécurité tel qu’Alejandro Martí (ONG México SOS) ou Isabel Miranda de Wallace, à l’initiative du collectif “Alto al secuestro” (“Stop aux enlèvements”), après le kidnapping de son fils. Ainsi, les autorités légitiment un projet de loi de Sécurité controversé accordant davantage de marge de manœuvre à l’armée et isolent par la même occasion le Mouvement pour la Paix lancé par le poète Javier Sicilia, père d’une victime, qui défend un règlement civil de la violence, tout en refusant les prébendes de l’État.

Les ONG sont-elles condamnées à l’opposition frontale au pouvoir ou, au contraire, à céder au chant des sirènes des politiques qui en font leurs instruments ? La ligne de crête sur laquelle elles doivent évoluer pour garder leur crédibilité reste difficile à suivre, dans un contexte de polarisation politique souvent extrême.