Quelle formation pour les journalistes en Afrique? L’expérience de la Fondation Hirondelle

0
104

Entretien avec Bernard Conchon, chef de projet de la Fondation Hirondelle à Radio Okapi en République Démocratique du Congo (RDC).  Propos recueillis par Dominique Jaccard, journaliste à la Radio suisse romande et à la Fondation Hirondelle .

Dominique Jaccard : La Fondation Hirondelle gère, avec la Mission des Nations Unies (la MONUSCO), la radio des Nations Unies en République démocratique du Congo, Radio Okapi. C’est le premier média du pays en termes d’audience et de popularité. La Fondation Hirondelle développe également un important programme d’appui en gestion, journalisme et technique à plusieurs dizaines de radios communautaires dans le pays, qui sont des radios partenaires de Radio Okapi (RO). Parallèlement, elle conduit un vaste projet de formation de journalistes. Quel en est l’objectif ?

Bernard Conchon : Il est double. Former les journalistes de Radio Okapi, notamment ceux des régions et les journalistes de nos 27 radios partenaires, en établissant une démarche de formation commune. En clair la formation des journalistes de Radio Okapi alimente la formation des journalistes des radios partenaires et réciproquement.

Grâce à ce va et vient les collègues des radios communautaires partenaires approchent les formats de Radio Okapi, sa ligne éditoriale ainsi que nos exigences professionnelles. Ils peuvent ainsi pénétrer les mécanismes de construction de l’information à RO et les exigences de son traitement. Le décryptage de notre fonctionnement et de notre production au quotidien est sans doute le meilleur outil de formation que nous pouvons leur proposer. C’est ce qui fait la force de ce programme. Les aller-retours permanents entre une rédaction constituée de professionnels, qui travaillent dans un cadre normatif, et le regard de journalistes issus de radios communautaires aux productions plus aléatoires donne l’occasion de revisiter de part et d’autre les pratiques et expériences professionnelles de chacun.

Dominique Jaccard : Qui en sont les bénéficiaires ?

Bernard Conchon  : Les journalistes de Radio Okapi et des journalistes des radios partenaires de Radio Okapi. Les formations sont composées à 50% des uns et à 50% des autres. Depuis le début du plan de formation près de 80 de nos collègues ont suivi les séminaires qui durent une semaine.

Dominique Jaccard : Comment se déroule concrètement la formation ?

Bernard Conchon  : Durant la formation, les formateurs ont pour souci d’ajuster en permanence les thèmes de formation proposés aux radios communautaires pour les confronter aux pratiques professionnelles d’une rédaction de Radio Okapi. Grâce à cette méthode bâtie sur l’analyse de situations professionnelles très concrètes (conférence de rédaction, conférence critique, élaboration de problématiques pour la construction de magazines, préparation d’interviews), les stagiaires ont pu approcher et comprendre ce qu’est le modèle « okapien ». De leur côté les journalistes de Radio Okapi ont pu questionner leur pratique du métier à travers le regard de collègues venus d’univers confrontés à des réalités de terrain plus difficiles, parfois même insurmontables.

Dominique Jaccard : Que contient le programme de formation ?

Bernard Conchon  : Pour illustrer le programme, j’aimerais vous rapporter cette anecdote. Lors d’un atelier d’écriture à Kisangani un journaliste d’une radio communautaire a posé cette question : « Avant de devenir une nouvelle, comment peut on qualifier ce qui en deviendra une ? » Question aux contours abyssaux. Le philosophe pourrait évoquer l’information dans son rapport au temps et proposer de l’actualité cette définition : « pourquoi ce qui est, est ? ». Le journaliste pourrait ajouter « ici et maintenant ». Voilà pourquoi j’aime nos formations et les ressorts sur lesquels elles s’appuient.

Dominique Jaccard : Qui sont les formateurs ?

Bernard Conchon  : Le plan de formation de Radio Okapi a débuté en mars dernier. La première étape a consisté à former une équipe de dix formateurs (tous journalistes pour le moment), cinq de la rédaction centrale à Kinshasa et cinq des stations régionales. Grâce à ce levier Radio Okapi a pu organiser, à ce jour, cinq sessions de formation à Lubumbashi, Mbuji, Mayi, Goma, Kisangani, Kindu. Quatre sont programmées d’ici la fin de l’année. Le groupe des formateurs s’est progressivement émancipé. Le programme de formation des radios partenaires repose aujourd’hui sur les formateurs de Radio Okapi. Ceux des rédactions locales de la Radio de la paix, sur le coaching du rédacteur en chef et des rédacteurs en chef adjoints.

Dominique Jaccard : Les stagiaires sont issus de radios différentes, avec des niveaux de compétence différents : une méthode spécifique d’apprentissage a-t-elle été développée ?

Bernard Conchon  : C’est l’éloignement des matrices professionnelles qui génèrent les errements et les mauvais réflexes. La duplication de modèles mal compris, de formations mal assimilées, d’isolement dans le travail, de contraintes pesantes liées à l’insuffisance des moyens interdisent le plus souvent aux radios communautaires de consolider leurs connaissances et de construire des savoir-faire durables. L’offre de formation ne manque pas en RDC. En d’autres temps, on aurait dit « ce n’est pas le vide mais le trop-plein qu’il faut redouter ».

Les acquis et les bonnes intentions qui accompagnent généralement les fins de formation ont du mal à résister aux réalités du terrain. L’une des réponses à ce constat consisterait à coordonner les actions de formation afin de les évaluer et leur donner l’efficacité qui leur manque, le plus souvent aujourd’hui. Radio Okapi est devenue un modèle pour les médias de la RDC. Elle a fait de la crédibilité de ses informations une marque de fabrique. La vérité de l’information relève aussi de la confiance du public envers le média qu’il a choisi.

Mieux vaut parier sur l’intelligence professionnelle que sur les bons sentiments, si l’on veut faire progresser le traitement de l’information en RDC. Celle-ci dépend de la compétence journalistique, de la connaissance des domaines traités, de l’amélioration du niveau professionnel. La défense de l’information passe avant tout par l’éthique du journalisme, centrée sur la qualification et la formation professionnelle, sur le développement du goût de la vérité et la curiosité envers les faits.

Dominique Jaccard : A l’issue de cette formation, les stagiaires seront-ils à même d’être correspondants de Radio Okapi dans leur radios ?

Bernard Conchon  : Durant leurs formations les échanges, les interactions entre nos stagiaires sont permanents. Ainsi les travaux des radios partenaires sont utilisés dans les décrochages locaux. La radio de la paix a besoin de toucher le plus d’auditeurs possible. Nos moyens propres ne nous le permettent pas. La solution pour parvenir à un meilleur maillage du pays passe par les radios partenaires. De simples diffuseurs de nos programmes, les radios partenaires doivent devenir nos correspondants et nos représentants dans les régions où elles émettent.

La qualité des travaux fournis lors des séminaires permettent désormais d’envisager sérieusement cet objectif. Tous les professionnels reconnaissent que, sans support éditorial crédible, il est difficile de faire du journalisme. On peut appliquer le même constat en RDC en y ajoutant qu’il est difficile de faire du journalisme sur des bases professionnelles sans un support qui défende les règles et l’éthique du journalisme.
Le prolongement des formations va passer par la mise en place d’un réseau de correspondants qui pourront ainsi continuer à travailler et à se perfectionner dans un cadre d’exigence professionnelle. En clair, continuer à se former pour (in)former et ainsi boucler la boucle.

 

Dominique Jaccard

Dominique Jaccard

Dominique Jaccard est journaliste à la Radio suisse romande et à la Fondation Hirondelle .