La santé : un enjeu de plus en plus central dans les politiques publiques de développement international?

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Nous remercions M. Pierre-Marie David qui a autorisé Grotius International à reprendre le début de son article scientifique intitulé « La santé : un enjeu de plus en plus central dans les politiques publiques de développement international? », publication Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie. A la fin de ce texte, nous donnons les références pour lire cet article dans son intégralité.

La santé occupe aujourd’hui une place centrale dans les problématiques de développement international. Cette place paraît toutefois ambiguë dans les discours et politiques publiques de développement : présentée à la fois comme fin mais aussi comme moyen du développement. Réinterroger les notions de santé et de développement dans leur historicité nous permet de mieux cerner l’importance relative de la santé dans le développement. En explorant les contextes, savoirs et politiques sur trois périodes depuis 1945, nous faisons ressortir les enjeux politiques de la santé dans les stratégies actuelles de développement. La santé apparaît alors comme un élément de plus en plus important des transformations sociales contemporaines.

Dénaturaliser les notions de santé et de développement

« Une meilleure santé est essentielle au bonheur et au bien être. Une meilleure santé contribue également de manière importante au progrès économique, puisque les populations en bonne santé vivent plus longtemps, sont plus productives et épargnent plus » (Organisation Mondiale de la santé 2009). C’est en ces termes que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) positionne le lien entre santé et développement. On remarquera d’emblée les ambigüités de ces deux phrases qui présentent la santé successivement comme une fin puis comme un moyen : tantôt comme bonheur et bien être, tantôt comme moteur du progrès économique. Les discours « santé et développement » apparaissent ainsi polysémiques et capables de fonder et d’intégrer des registres de possible très différents et par là des positions épistémologiques, éthiques et politiques pouvant parfois sembler antinomiques. Comprendre comment le discours se lie avec la mise en œuvre concrète de politique paraît ainsi nécessaire pour comprendre les ressorts de pouvoir et les dynamiques politiques sous jacentes liant «santé et développement».

Pour ce faire, l’historicisation des notions de développement et de santé, deux notions tellement centrales et utilisées dans nos sociétés occidentales que rarement réinterrogées et généralement prises pour acquises, permet de questionner ces discours. L’analyse que propose de Gilbert Rist (1996) du développement comme un mythe occidental permet de relativiser une notion construite, propre à l’occident en ceci qu’elle consisterait à définir un certain rapport à l’autre : le traditionnel, l’archaïque, le sous-développé, non-développé…définissant du même coup l’occident comme moderne, non archaïque et développé. La définition de Georges Canguilhem (1966) de la santé comme adaptation du vivant à son milieu permet d’emblée de relativiser le normal et le pathologique. Le normal et la pathologique, deux catégories déterminantes dans les interventions de santé dans les pays en développement seraient de l’aveu du médecin –et philosophe- non pas des propriétés naturelles mais bien un jugement plus caractéristique du regard médical que d’une propriété de son objet. De plus, l’intervention de l’homme sur son milieu et même de l’homme sur l’homme amène à cette évidence que la santé, elle aussi, a une histoire.

Le cadre théorique foucaldien permet de problématiser le lien entre santé et développement sur deux niveaux complémentaires. Premièrement, en donnant une place centrale aux discours qui se définiraient comme des réseaux dans lesquels les sujets sont pris, c’est-à-dire comme un univers dans lequel s’expriment des contraintes. Ceci permet alors de poser l’hypothèse d’un lien constitutif entre discours et politique, définie dans son sens générique comme les relations de pouvoir mobilisées dans l’espace public pour le contrôle des actions qui ont pour objet des biens considérés comme collectifs. Dans le domaine du développement international, les discours et les politiques de santé seraient ainsi intrinsèquement liés.

Un deuxième niveau, sur lequel la théorie foucaldienne est heuristique, est celui plus thématique directement relié à la santé. Dans La Volonté de savoir (1976), Michel Foucault définit le « seuil de modernité biologique » comme le passage d’une société fondée sur le « faire mourir » et « laisser vivre » à une société basée sur le « faire vivre » et le « laisser mourir »; décrivant par là le passage d’un pouvoir de souveraineté à un biopouvoir beaucoup plus diffus s’exprimant par des institutions (hôpitaux, prison, asiles…) mais aussi des discours. Essayer de suivre ce passage à travers les discours de santé dans la littérature du développement permettrait alors d’appréhender l’articulation entre le niveau global et le niveau local, entre l’élaboration du savoir et le pouvoir et de faire l’hypothèse que la santé constituerait alors le lieu concret d’inscription de cette transformation politique majeure du monde contemporain et qui n’est pas exclusive aux pays développés occidentaux.

Pour tester ces hypothèses, les objectifs de ce travail sont de faire ressortir les tendances des discours et des politiques de développement liées à la santé; évaluer de manière critique leur part dans les politiques de développement en général et essayer de saisir quel « espace politique de la santé » (Fassin 1996) est ainsi défini au niveau global.

Pour ce faire la méthode sera socio-historique et généalogique basée sur des données de la littérature du développement international définissant un lien entre santé et développement à travers l’articulation de discours –oraux ou écrits-, des politiques et des financements effectifs. Le plan suivi sera chronologique, présentant pour chacune des périodes étudiées a) le contexte socio-historique, b) les savoirs développés et c) les politiques mises en œuvre ainsi que les financements alloués. Les discours sélectionnés seront remis dans leur contexte, faisant ainsi ressortir comment ils sont significatifs de leur époque et en quoi ils sont représentatifs de manières de concevoir le développement historiquement situées. Ainsi, l’analyse de discours visera à faire ressortir le lien entre discours et politique de même que le lien entre la place de la santé dans le discours et la part de la santé dans l’aide publique au développement, à travers les données de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) notamment.

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Pierre-Marie David

Pierre-Marie David

Pierre-Marie David : Pharm. D, M Sc, Doctorant, «Médicaments et santé des populations», Méos groupe de recherché sur le médicament comme objet social, Université de Montréal.