Amnesty, 50 ans, tout en symboles…

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Affiche amnesty nternational50 ans. Cela fait 50 ans qu’Amnesty International dénonce et informe sur les travers de ce qu’il faut bien appeler notre « humanité ». 50 ans c’est beaucoup diront certains tandis que d’autres n’y verront qu’un demi-siècle, à peine une vie d’homme…

Porte ouverte à toutes les polémiques sur l’efficacité des actions, leurs portées, leurs intérêts voire même leurs réalités. D’aucuns verront dans cet anniversaire la preuve d’une forme d’accoutumance aux désordres du genre humain, une espèce de célébration de l’inefficacité, du cirque médiatico-humanitaire et « droitdelhommiste[1] » à l’inverse d’une célébration militante, d’un travail acharné de lobbying, d’advocacy[2], de dénonciation, d’information et bien sûr de communication contre le sort réservé aux  prisonniers d’opinion.

Désormais tournée vers l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels inscrits dans la déclaration universelle des droits de l’homme, Amnesty est une ONG qui existe parce qu’elle est par essence communicante. C’est en cela qu’elle nous intéresse ici. Notre travail n’a pas consisté à percevoir ou analyser les évolutions de sa communication relative à son histoire, ou bien encore porter notre regard sur la qualité de telle ou telle campagne. Non. Ce qui nous a semblé pertinent, et particulièrement dans le contexte d’hyper médiatisation dans lequel nous évoluons désormais, c’est d’essayer de comprendre et d’analyser sa communication à travers son mandat, son objet.

Objet et mandat

Dans ses statuts votés en 2000, Amnesty indique dans le paragraphe 1.2. « Afin de poursuivre l’objet et le mandat énoncés ci-dessus, Amnesty International » : c) Informe et fait agir l’opinion publique nationale et internationale dans le cadre de ces objectifs.

Il apparaît clairement que la mobilisation des opinions publiques mondiale et locale est intimement liée à l’activité d’Amnesty et c’est en ce sens qu’elle retient notre attention, car c’est par l’intermédiaire de campagnes organisées d’information, de sensibilisation, de mobilisation, de communication qu’une ONG contemporaine peut prétendre générer une relation avec ses donateurs, ses soutiens d’opinion, ses membres etc.

Sans entrer dans le détail d’expert en communication, mot fourretout dans lequel on y trouve le meilleur comme le pire, il est essentiel de comprendre que, désormais, pour une ONG, il est devenu quasiment impossible aujourd’hui de ne pas communiquer[3]. Dans ce terme elles s’expriment sur tous les registres ; de l’information à la séduction publicitaire. Concept élastique si l’en est à partir duquel chacun se doit de faire le tri entre ce qui relève de l’information ou de la promotion publicitaire défendant des intérêts spécifiques (vs généraux). Et c’est bien là que le bat blesse, lorsque l’on n’est plus capable de percoler les informations reçues sans autres capacités que sa crédulité, sa naïveté, son parti-pris voire son incompétence totale et son inculture quant à une situation ou un événement donné. Toutes les manipulations sont possibles comme ce fût le cas lors de l’affaire de l’Arche de Zöe[4] et ce à charge comme à décharge.

Dans le cas spécifique d’Amnesty, et en relation directe avec le mandat qu’elle s’est fixée, il lui appartient d’informer et faire agir l’opinion pour défendre ses propres convictions (la défense des droits humains) et nous – l’opinion- les faire partager.

Le principe du mécanisme pourrait être la promotion des Droits Humains en toutes circonstances et en tous lieux mais il n’en n’est rien. En effet, toujours dans le même paragraphe de ses statuts, Amnesty indique qu’elle :  b) Encourage, de la façon qu’elle juge appropriée, l’adoption de constitutions, conventions, traités et autres mesures propres à garantir le respect des droits qui font l’objet des dispositions de l’article 1.1. C’est donc bien « elle » qui est juge. Dès lors, c’est bien Amnesty qui va orienter ses choix, ses objectifs, sa stratégie, ses messages et sa communication, en fonction de ce que « elle » aura considéré.

On le voit bien ici, nous ne sommes pas dans une logique de défense, de promotion globale in extenso des droits humains, mais dans celle de choix stratégiques et puisqu’il s’agit de communication, de mise en place d’une stratégie de moyens au service de ces considérations.

Que l’on soit clair. Cela n’enlève rien à la teneur universelle des « thèmes » d’Amnesty. En revanche, il est évident, et c’est le cas pour toutes les ONG d’ampleur internationale, sinon mondiale qui cherchent à mobiliser les opinions, que ces choix – et nous ne sommes pas là pour en juger encore une fois – relèvent de logiques propres aux limites qu’elles s’imposent tout autant qu’aux opportunités liées à l’actualité et aux contextes dans lesquels elles évoluent.

Ainsi, et c’est le même schéma pour les associations dites « humanitaires », les stratégies de communication sont tout autant organisées sur la posture statutaire de l’ONG que sur les opportunités de contexte. Ainsi toute ONG développe une stratégie de communication pour ses actions au long cours et pour des évènements plus difficilement prévisibles ou inattendus telles que les catastrophes naturelles par exemple, un soulèvement populaire… Une logique que l’on retrouve aussi dans les entreprises entre la communication dite d’image, corporate et la communication sur les produits. Toutefois, l’inattendu, dans les entreprises, relève plus de situations de crises qu’elles n’ont pas réussi à désamorcer en amont ou qu’elles n’ont pas suffisamment considérées. Enfin des évènements prévisibles, de surface mondiale, peuvent donner l’occasion d’hausser le ton en offrant un immense porte-voix aux ONG comme ce fut le cas des derniers JO de Pékin pour Amnesty et Reporters Sans Frontières (RSF) et comme le sont les désastres environnementaux pour Greenpeace et le WWF.

En fin de compte, quels sont les ressorts, les clichés, utilisés par les ONG quand elles décident de communiquer?

La communication d’Amnesty

La communication d’Amnesty International, on vient de le voir, n’a rien qui puisse à priori, et là encore nous n’avions pas à juger de la pertinence de leurs choix, être considéré comme spécifique. Au même titre que toute les grandes ONG, elle utilise les moyens et les techniques mis à sa disposition et offerts par les différentes époques que ce soit dans les médias ou hors médias. Grâce aux nouvelles technologies elle peut accéder à une communication véritablement sans frontières et elle collabore avec les meilleurs professionnels et experts en marketing et en communication.

Pour autant, ce qui est notable chez Amnesty, ce qui n’est pas le cas dans bon nombre de communication proposée par les ONG, c’est la force du symbole. Une forme quasi théâtrale de situations dont, selon le traitement graphique, il est difficile parfois de savoir si l’on a affaire à la représentation d’une réalité, à sa mise en scène, à une reproduction « d’après artiste » du type « image non contractuelle ». A l’inverse d’ONG qui communique, parfois de façon assez cruelle et questionnable avec des images du « réel », Amnesty fait dans le symbolique, la reconstruction, l’allégorique, le métaphorique où l’information oscille entre réalité et fiction[5] notamment dans les dessins animés. Le logo même de l’association, une bougie entourée d’un fil barbelé, est significatif de cet aspect.

Ceci devient d’autant plus intéressant que nous constatons depuis quelques années déjà une tendance à la religiosité de certaines constructions iconographiques développées par les ONG[6]. Quand nous disons religiosité l’on pourrait parler de sacralisation du symbole. L’image devenant une partie du divin ou de ce que à quoi l’on croit et qui nous dépasse. On emploie même parfois le mot « culte » ou « cultissime » dans l’univers profane à propos d’un objet, une image, une personne. C’est ainsi que les nouvelles images auxquelles l’opinion est confrontée peuvent suscitées autant d’approbation que de réprobation. Pour l’Occident certaines images deviendront la représentation absolue, incarnée de leurs valeurs et de leur vision, tandis que pour les autres elles ne sont qu’une manipulation, une piètre représentation d’une situation écornée. A noter que l’on constate actuellement ce phénomène en dehors des limites des ONG. On les retrouve dans les oppositions culturelles et comportementales proposées par les médias sur de nombreux sujets comme « l’Islam » par exemple ou bien encore « Les Roms »… Ce fut encore le cas dans « l’affaire DSK » sur la présomption d’innocence, la vie privée, la justice, le droit des victimes, la dignité…

Ces images deviennent des « clichés » des caricatures favorisant la dévotion de bonnes âmes et de mauvaises consciences ou de partisans agenouillés devant la glorification de leurs combats passés, présents ou à venir. Dans tous les cas, ces représentations du monde fabriquent notre iconographie mentale individuelle et collective, ce qui soulève toujours la sempiternelle question de savoir si, ceux qui la produisent, en sont responsables. Si la question est posée la réponse tarde à venir.

L’iconographie d’Amnesty est en ce sens très représentative de ces questionnements. Ce fût le cas lors de la campagne contre les autorités chinoises et la polémique qui s’en suivit[7]. Avions nous eu droit à la réalité fut-elle exagérée comme dirent certains ou avions nous été confrontés à une mise en scène totalement inconsidérée? La réalité de la Chine vs la réalité d’Amnesty. Quoi qu’il en soit Amnesty retira sa campagne.

Amnesty comme d’autres se trouvent face à  de nouveaux paradigmes en particulier liés à la mondialisation de l’information, des savoirs, de la connaissance, la construction des opinions publiques mondiales et la représentation que l’occident veut en donner et les termes de cette mise en images.

En effet, qu’en est-il du droit à l’image des victimes, le respect de leur dignité, la présomption d’innocence, la cruauté de certaines images devant lesquelles certains ne reculent pas ? Le symbole n’est-il pas plus fort et plus universel que toutes les représentations du réel? Comment représenter le réel par un symbole qui ne l’édulcore pas mais le transcende ? Le choix du symbole n’est-il pas en définitive le plus approprié pour une ONG ? Faut-il montrer la cruauté et la barbarie sans limites, tout cela est désormais un débat silencieux mais un débat quand même. Ces questions prenant d’ailleurs des tournures encore plus complexes lorsque ce sont les victimes elles-mêmes qui se filment, se photographient et délivrent au monde entier l’objet de leurs souffrances.

Un débat sur la communication des ONG ?

Ce débat sur la communication des ONG n’a toujours pas lieu ouvertement dans notre pays et ne concerne pas qu’Amnesty, loin de là. Quels en sont le périmètre et les enjeux ? Qu’est ce qui différencie une communication dite commerciale d’une communication « non marchande » ? Information ou Publicité ? Le droit à l’image des victimes, la dignité des personnes, l’accès des associations aux médias et les critères de cet accès etc. Voilà certains sujets qui méritent réflexion et dont certains pourraient occuper Amnesty.

La communication aujourd’hui soulève de nombreuses questions, nous l’avons vu, et le droit et la représentation des personnes dans la publicité, surtout les plus vulnérables est un véritable problème. S’il est une bataille du XXIème siècle dans laquelle Amnesty pourrait s’engager, à notre sens, c’est aussi celle de la représentation des personnes les plus démunies et la réhabilitation de l’image de personnes dont l’image a été foulée au pied de la décence. Le droit à l’image n’est pas que celui du juriste et des conventions légales. C’est aussi celle d’une personne, d’une famille, d’un enfant, d’un vieillard, dont la représentation de son être est totalement jetée en pâture aux voyeuristes les plus affamés. Jusque dans leur souffrance, leur déchéance, leur mort, les êtres humains sont désormais traqués par les objectifs et les caméras du monde entier fussent-ils humanitaires. Un droit International de l’image et de la protection des individus de l’image qui est donnée d’eux semble faire défaut. La protection de l’image des personnes n’est pas à réservée aux pays riches et développés. Elle  s’impose aux pays les plus chaotiques et se doit d’être une garantie apportée par les humanitaires et les ONG défendant les Droits de l’Homme.

C’est probablement l’un des plus grands paradoxes de la communication dite non marchande aujourd’hui. Comme nous l’avons maintes fois exposé, la communication des ONG est faite et conçue pour les pays riches et développés. Elle s’adresse à des personnes solvables, non démunies et en un certain sens « protégées ». Notre questionnement est de considérer s’il peut y avoir, s’il existe, s’il faut une communication conçue par et pour les pays en voie de développement, pour des personnes démunies et non protégées qui respecteraient ou non des règles qui lui seraient spécifiques. La question se pose aussi dans les termes d’une communication localisée alors que nous vivons dans un monde globalisé dans le sens ou la communication est faite au Nord pour des gens du Nord alors qu’elle est accessible par n’importe qui à peu près n’importe où. Ce qui ne manque pas de favoriser très certainement quelques malentendus et quiproquos dans les interprétations iconographiques et symboliques.

Les études auxquelles nous avons accès sur la communication des ONG concernent avant tout les publics vers lesquels elle est dirigée et non sur les tierces personnes dites bénéficiaires dont l’opinion finalement sur la représentation que nous faisons d’eux dans nos pays nous importe peu.

La campagne d’Amnesty sur la Chine a été intéressante à ce sujet car de nombreux Chinois n’ont pas accepté la représentation que l’on faisait de leur propre pays. Mais il est vrai que la Chine à une voix qui porte… De nombreux musulmans, des pays Arabes se défendent des représentations que nous donnons de leur culture et de nombreux pays n’ont aucune voix. L’Italie se défend d’être à l’image des frasques de Berlusconi tandis que la blogosphère bruit des malentendus entre les représentations américaines et françaises de la justice, de la vie privée, de la morale et de la décence. Il fut un temps ou ses représentations, en fonction de l’origine de l’émetteur était considérée comme propagande, autre forme de communication que dénonce Rony Brauman à propos des campagnes du Collectif Urgence Darfour : « Je pense que c’est une fabrication propagandiste. C’est de la « com », c’est de la dénonciation de crime qui ont été commis bien avant qu’ils commencent à en parler [8]».

Alors comment sortir de cette ornière ? Depuis 50 ans, Amnesty n’a de cesse de dénoncer des situations inacceptables à travers le monde. Elle a tenté de résoudre cette problématique par des campagnes sur des sujets d’une grande cruauté et pourtant maintes fois primées. Est-ce à dire que le public auquel elle s’adresse se repait de l’inhumanité du monde ?  Probablement pas. Est-ce l’équilibre entre la justesse de la création et les thèmes difficiles abordés qui les rendent si fortes et qui font de « chacun de nous tous » l’objet même de l’association ? Est-ce le fait que l’association nous invite à nous engager en signant faisant de nos paraphes des armes de paix ? Peut-être.

Quoi qu’il en soit, pour ses 50 ans le principe du spot du cinquantenaire nous fait comprendre, à rebours, que, en définitive, le mandat, l’objet d’Amnesty c’est toi, c’est moi, c’est elle, c’est lui, c’est nous. Et si vous n’êtes pas prêts à signer pour les autres, faites le au moins pour vous, un jour ce sera peut être votre tour.

[1] http://www.marianne2.fr/Rony-Brauman-le-droitdelhommisme-est-un-discours-de-combat_a202630.html
[2]
The National Lead for Advocacy, Valuing People Team, 2009 defines advocacy as « taking action to help people say what they want, secure their rights, represent their interests and obtain services they need. Advocates and advocacy schèmes work in partnership with the people they support and take their side. Advocacy promotes  social inclusion, equality and social justice ».    Several available definitions of advocacy fit into this general définition.
[3]
Cf : Communication et ONG : Mirella von Lindenfels, précédemment directrice du programme médias et audiovisuel d’ Amnesty International in http://www.communicationsansfrontieres.net/dossiers/points/01_communication6.html
[4]
Cf : http://humanitaire.revues.org/index229.html
[5]
http://politique.eu.org/spip.php?article1459
[6]
Cf :Vers un iconoclasme humanitaire ? Bruno David / la Revue humanitaire / 25 | juin 2010 :l’humanitaire à venir
[7]
http://www.marianne2.fr/Comment-Amnesty-a-censure-sa-propre-campagne-sur-les-JO_a89311.html
[8]
http://spinlaps.blogs.nouvelobs.com/tag/rony+brauman

 

Bruno David

Bruno David

Bruno David, président fondateur de l’association Communication Sans Frontières, a enseigné en Master II des universités de Evry, Créteil (Paris XII), Paris Dauphine, l’IEP de Grenoble, Oxford Brookes.