Après l’expulsion des ONG occidentales du Darfour…

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La catastrophe humanitaire n’a pas eu lieu

Dans ce texte, Stéphane Aubouard analyse les conséquences du mandat d’arrêt émis le 4 mars 2009 par la Cour pénale internationale, inculpant Omar El Béchir pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour. Dans la foulée de l’émission de  ce mandat, les autorités soudanaises expulsaient treize ONG internationales et interdisaient d’activité  trois ONG soudanaises. L’ensemble des observateurs internationaux prédisait alors une catastrophe humanitaire sans précédent…

Un an plus tard, la situation humanitaire est moins désastreuse que prévue, et surtout la nature des urgences sur le terrain semble avoir changé. «Aujourd’hui il n’y a plus que 20% de la population totale du Darfour qui habite dans les camps, estime Daniel Augstburger, chargé des affaires humanitaires pour la Mission des Nations Unies et de l’Union Africaine (MINUAD) au Darfour, et si les causes du conflit n’ont toujours pas été résolues, la situation humanitaire peut en revanche  être considérée sous contrôle, bien que l’avenir immédiat des populations déplacées dépendant de l’aide humanitaire reste flou». D’après ce fonctionnaire de la MINUAD, la catastrophe annoncée a été évitée grâce à la prise de conscience réelle du gouvernement quant à la gravité de la situation.

Les autorités soudanaises ont su coordonner avec une relative efficacité les activités des nouveaux partenaires sur le terrain avec notamment l’arrivée des Croissant Rouge turc, saoudien et qataris qui opèrent aujourd’hui dans des zones plus reculées que leurs prédécesseurs occidentaux éconduits.

L’Unicef de son côté a su prendre en charge le problème de l’eau qui était le point d’interrogation majeur des populations déplacées.

La santé et les besoins de base sont assurés au Darfour, mais l’avenir économique des déplacés est entièrement à repenser pour des populations d’origine pastorales et dont le seul horizon semble désormais de se conformer à un mode de vie urbain.

Zahir Musa Abdel Karim, professeur de sociologie à l’université de Khartoum et spécialiste du Darfour, a étudié plusieurs populations déplacées dans des camps. Des villageois qui ont vécu là plus de six ans et n’ont pu, en fin de compte, se réinstaller dans leurs villages d’origine. «Cinq mois après leur départ du camp, ils ont été incapables de vraiment se remettre au travail dans leur environnement d’origine. L’insécurité, la peur et finalement les mauvaises habitudes prises dans les camps ont eu raison de leur volonté» affirme-t-il. Mais pour cet universitaire originaire de l’ouest du Darfour, la situation des déplacés ne se résume pas au simple manque de projet d’avenir.

D’après lui la situation humanitaire elle-même est fortement déficiente. «Certes le gouvernement a remplacé tant bien que mal les ONGS internationales qui assuraient la survie de la population mais en réalité, la qualité et la quantité des soins sont en baisse notoire et les populations, si elles résistent, sont en vérité plus faibles qu’avant… De fait le gouvernement est responsable de cette situation».

«Qu’on laisse en paix les Darfouriens…»

Une analyse que l’écrivain Darfourien Ibrahim Ishaq, auteur de nouvelles pastorales et réalistes sur sa région d’origine, ne partage pas. De tradition Ansari, c’est-à-dire Mahdiste et donc originellement contre l’Etat centralisé soudanais, cet intellectuel, formé en Arabie Saoudite, est très critique à l’endroit de la communauté internationale. Pour lui, la désagrégation du Darfour est en partie due  à l’interventionnisme occidental. «Aujourd’hui, après des années de division, on peut dire que la question darfourienne est résolue. A Doha, les négociations sont allées bon train et aujourd’hui les Darfouriens n’attendent qu’une chose : qu’on les laisse en paix pour résoudre vraiment ce conflit avec leurs méthodes. Ils savent le faire, ils ont toujours su le faire. Que certains pays de l’ouest cessent d’armer des rebellions à moitié convaincues par leur mission…pour servir leur propres intérêts…le Darfour est riche dans son sous sol… Laissons les Darfouriens, nomades et sédentaires, s’asseoir ensemble pour qu’ils reprennent leur destin en main. Regardez le rapprochement avec le Tchad, Déby et Béchir n’ont eu besoin de personne pour se rencontrer».

Un processus de réconciliation que met en doute fortement Abbas Annoor, ce rappeur originaire de l’ouest Darfour… Il fustige le gouvernement dans ses vers et ses chansons en arabe, en anglais et en français. «En octobre, je suis revenu pour la première fois depuis dix ans dans la région de mes parents à Turu, à quatre heures de piste de Zalinge. Les villages étaient détruits, je n’ai rien reconnu. Tous mes frères sont armés maintenant. Tout le monde a sa kalach. On ne sait plus qui est qui. Armé ou non, tout le monde porte un treillis… ici la peur et la tension sont devenues des habitudes. Il y a à boire, il y a à manger, mais on vit au jour le jour… c’est vrai aussi que  les gars sont devenus fainéants, et qu’il est plus facile de voler ou d’attendre des aides que de retourner travailler la terre et le bétail…»

Une seule chose est sans doute certaine, la région du Darfour longtemps sous le feu des médias internationaux est  aujourd’hui passée au second plan (1). A quelques semaines d’élections générales qui se tiendront au Soudan pour la première fois depuis un quart de siècle, la question Nord Sud a peu à peu pris le devant de la scène médiatique. Pour le meilleur penseront certains, pour le pire diront  les autres.

(1) Pour preuve les événements de Jebel Mara où selon l’ONG Médecins du Monde, présente sur place, les forces gouvernementales mènent des opérations de guerre contre l’Armée de libération du Soudan d’Abdelwahid Nour (SLA-Abdelwahid, un des deux importants groupes rebelles du Darfour). Au moment où nous mettons « sous presse » cette édition de mars de Grotius.fr, MDM, dans un communiqué, avance le chiffre de 100.000 déplacés. Les médias, dans leur très grande majorité, passent sous silence ces événements.

Par contre l’accord de paix signé à Doha entre Khartoum et l’autre groupe rebelle, le JEM – accord qui doit entrer en vigueur le 15 mars, a été largement couvert par la presse. (Lire l’analyse de Jérôme Larché de MDM dans la rubrique Média).

Stéphane Aubouard

Stéphane Aubouard

Stéphane Aubouard est journaliste indépendant .