Omar El Béchir, la paix par les armes…
Dans cet entretien, le Professeur Mohammed Hassan de la faculté des Sciences politiques de l’université de Khartoum explique pourquoi le mandat d’arrêt international lancé le 4 mars 2009 par la CPI a été perçu par une grande majorité des Soudanais comme une blessure faite à leur identité nationale… « Omar el Béchir est devenu, depuis l’émission de ce mandat, très populaire au Soudan, y compris au Darfour. Et il ne s’agit pas seulement de propagande rondement menée par le parti du Congrès national » affirme Mohammed Hassan…
Stéphane Aubouard : De quelles façons ce mandat d’arrêt a-t-il été perçu par les populations soudanaises ?
Mohammed Hassan : Cette action de la CPI n’a pas été appréciée par l’ensemble des Soudanais, y compris chez les ennemis politiques du président Béchir. Ils ont vu dans cette décision une attaque personnelle et finalement une blessure faite à l’identité nationale complexe de ce pays.
Omar el Béchir est devenu, depuis l’émission de ce mandat, très populaire au Soudan, y compris au Darfour. Et il ne s’agit pas seulement de propagande rondement menée par le parti du Congrès national. Il y a vraiment de la part des Soudanais une envie, une volonté de défendre leur souveraineté.
Maintenant, sur le terrain, au Darfour, d’un strict point de vue des combats, on peut dire que ceux-ci se sont arrêtés. Il n’y a plus – à part dans le Djebel Marra (1) où les rebelles d’Abdel Wahid se déchirent entre eux- de combats à proprement parler.
La situation humanitaire et sanitaire est stable quoique fragile, mais de nouveaux problèmes plus importants se posent. Cette lutte entre gouvernement et rebellions a changé en profondeur les habitudes des Darfouriens. Aujourd’hui plus de 80 pour cent de la population habite dans de grands ensembles urbains.
Et certains camps fonctionnent à peu de choses près comme des villes. Le challenge qui se pose aujourd’hui c’est de réussir la transition nécessaire et obligatoire d’une économie de type rurale-pastorale à une économie plus moderne, industrielle et donc urbaine.
S.A : Mais dans les différents accords ou pré accords de paix signés au Darfour, le retour des «déplacés» dans leur village d’origine n’était-il pas une condition sine qua non d’un retour à la paix ?
Mohammed Hassan : Oui, mais les choses ont changé. Aujourd’hui les «déplacés» qui ne représentent que 15 à 20 % de la population ne sont plus forcément intéressés à l’idée de repartir dans leurs villages. Tout d’abord l’insécurité règne plus dans les campagnes que dans les villes, car si la guerre s’est arrêtée, le banditisme, lui, a énormément augmenté dans la région. Et puis le coût de la vie a considérablement augmenté. Au contact de la ville, des besoins nouveaux se sont créés.
Et aujourd’hui force est de constater que cette nouvelle population aura besoin plus que jamais de se trouver un avenir économique. Le problème, c’est que jusqu’à présent, les Darfouriens n’ont jamais été très à l’aise avec le gouvernement central.
Malgré une culture quasi commune, Khartoum c’est toujours très loin du Darfour et vice versa. Ce qu’il va falloir faire désormais, c’est réaliser une vraie identité soudanaise au Darfour afin que les blessures se referment. Jusqu’à présent tous les gouvernements de Khartoum ont négligé cette région. Aujourd’hui le conflit du Darfour a redessiné les perspectives.
Les négociations qui se sont tenues à Doha sont une base de départ et devraient aboutir à une cessation complète des activités militaires. Ce sera un bon début pour poser les fondements d’une modernisation, d’un développement de la région et offrir un avenir à l’ensemble des Darfouriens.
Note de la rédaction : Les rebelles du MJE et le gouvernement soudanais n’ont pas signé d’accord de paix le lundi 15 mars 2010, comme prévu. «La date du 15 mars ne tient plus» a affirmé le chef de la délégation du MJE à Doha. Le MJE, le principal mouvement rebelle, qui prépare depuis des semaines à Doha un pré-accord avec le gouvernement soudanais réclame désormais un report des élection générales prévues en avril prochain.
(1) Ndlr : La situation semble plus compliquée qu’il n’y parait… Médecins du monde, seule ONG présente dans cette zone de Jebel Marra, a suspendu l’ensemble de ses activités médicales après une offensive de grande ampleur des forces gouvernementales contre un groupe rebelle hostile au processus de paix de Doha, l’Armée de libération du Soudan d’Abdelwahid Nour (SLA-Abdelwahid, un des deux importants groupes rebelles du Darfour). Cette attaque a fait à ce jour plus de 100.000 déplacés, selon MDM.
Stéphane Aubouard
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