Chili : la jeunesse ébranle l’héritage de la dictature

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De passage en France, les leaders de la contestation étudiante du Chili ont exposé leur combat pour une éducation gratuite. Mais au-delà, c’est tout un modèle économique libéral, une conception autoritaire du pouvoir et un partage des richesses injuste qu’ils fustigent, et que les gouvernements de l’après dictature de Pinochet n’ont pas su remettre en cause.

Les visages sont juvéniles, les cheveux en bataille. Elle arbore un piercing au nez. Lui traîne un gros sac à dos. Camilla Vallejo, présidente de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili (Fech), Giorgio Jackson, président de la Fédération des étudiants catholiques du Chili (Feuc) et Gabriel Iturra, icônes des lycéens du Chili ne payent pas de mine. Les apparences sont trompeuses car ces jeunes leaders de la plus grande contestation sociale de l’après Pinochet, ont la volonté et la conscience d’écrire une nouvelle page de l’histoire de leur pays. “Le mouvement a commencé par une lutte sectorielle des étudiants, mais cette fois nous pouvons fermer un chapitre de l’histoire du Chili”, assure Francisco Figueroa vice-président de la Fech, également du voyage en Europe.

Au cours de leur tournée, les quatre jeunes gens ont trouvé des appuis auprès de personnalités comme Stéphane Hessel, de syndicats étudiants (comme l’Unef), et ont été reçu à l’Unesco. Le chapitre qu’ils entendent refermer n’est pas celui des années de dictature (1973-1990), mais celui de la “transition”, qui a fait passer le pays pour un “vainqueur économique” de la région en passant sous silence un coût social devenu insoutenable pour les classes populaires du pays. Les gouvernements de centre gauche ont aussi leur responsabilité dans ce chapitre-là, dénoncent les étudiants.

Le secteur de l’éducation est emblématique d’un modèle fondé sur libéralisme économique le plus extrême. Au Chili, les étudiants doivent payer pour leurs études, et cher. Un mois d’université coûte entre 250 et 600 euros, alors que le salaire moyen équivaut à moins de 800 euros par mois. Conséquence : 70% des étudiants chiliens sortent de l’université plombés par l’endettement, pour certains jusqu’à 50 000 dollars, quand les moins chanceux quittent le système faute de moyens.

“Elle va tomber, elle va tomber, l’éducation de Pinochet !”, le slogan résonnait encore dans les rues de Santiago le 19 octobre 2011 lors d’une manifestation de grande ampleur. La mobilisation dure depuis cinq mois, mais le gouvernement ne cille pas. Alors que le dialogue est au point mort, les propositions du gouvernement de Sebastián Piñera se limitent à la prise en charge du coût du crédit pour les emprunts liés aux frais d’inscriptions. Mais en aucune façon le gouvernement ne semble faire un pas vers la mise en place d’un système d’éducation publique, malgré la recommandation du Fonds monétaire international (FMI) d’augmenter les impôts sur les entreprises pour financer l’éducation. Plus grave, le locataire de la Moneda a envoyé au congrès un projet de loi qui punit de prison les blocages de lycées ou d’universités.

“Nous ne sommes pas des indignés”, précise Camila Vallejo, que les médias ont érigée en pasionaria de la contestation. Cette étudiante communiste de 23 ans rappelle que le mouvement s’est construit petit à petit, notamment à partir des révoltes lycéennes de 2006. Les étudiants d’aujourd’hui sont ces lycéens déjà mobilisés il y a cinq ans.

Aujourd’hui, même si le mouvement de contestation est populaire (environ 80% d’appuis parmi dans l’opinion), les leaders sont conscients des défis qui se dressent face à eux. “Tant que les travailleurs ne joignent pas à nous, on n’avancera pas”. Pas facile de convaincre l’ensemble de la société de la légitimité du combat en faveur de l’éducation publique, dans un pays où l’État est perçu comme un “agent de la répression et des privatisations”, soulignent-ils. Pour autant, les étudiants chiliens croient pouvoir “demander l’impossible pour atteindre le possible”, selon la formule de Giorgio Jackson. Un mot d’ordre qui en rappelle d’autres, même si l’époque a changé.