Aux portes de la Libye : « des besoins urgents et réels » affirme Rachid Lahlou, président du SIF

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Crise humanitaire ou pas crise humanitaire ? De retour de Sallum, à la frontière entre la Libye et l’Egypte, Pierre Salignon, Directeur général de Médecins du Monde (MDM), a affirmé sur Grotius.fr et dans différents médias, qu’il n’y a pas, que ce soit à la frontière entre la Libye et l’Egypte ou à la frontière entre la Libye et la Tunisie, de crise ou de catastrophe humanitaire. Rachid Lahlou, président du Secours islamique France (SIF), s’interroge sur ce que recouvre cette appréciation et se demande s’il faut poser la question en ces termes car la réponse, elle, dans tous les cas, est humanitaire…

Nous entendons différents acteurs estimer, à propos de la situation aux frontières de la Libye, que les besoins sont couverts ou qu’il ne s’agit pas d’une crise humanitaire. Poser le débat autour de questions sémantiques sur la réalité ou pas d’une crise humanitaire en faisant l’économie de répondre aux besoins les plus élémentaires de milliers de personnes déplacées, n’est-ce pas d’une certaine façon déplacer  le problème ?

Je suis actuellement dans le sud de la Tunisie où notre organisation (Secours Islamique France), après évaluation des besoins, a déployé une équipe et des activités d’assistance aux personnes ayant fui la Libye ces dernières semaines. A notre arrivée, la situation des réfugiés était très critique. La réponse humanitaire était essentiellement apportée par la population tunisienne, formidablement mobilisée, ce qui, au dire des Nations Unies, a permis d’éviter une crise humanitaire.

Aujourd’hui, même si d’autres acteurs sont venus en renfort et si la réponse humanitaire s’organise, nous constatons que de nombreux besoins restent encore à couvrir et que la situation est complexe :

– Un flux de personnes déplacées de près de 3000 passe la frontière au quotidien ces derniers jours (pour un total de 150 000 en presque un mois).

– Ces personnes se répartissent sur trois sites dont le plus important est celui de Choucha,  situé à 7 kilomètres de la frontière et qui a atteint le nombre de 25000 personnes (aujourd’hui environ  15 000).

– Les  installations sanitaires sont insuffisantes il n’y a pas de  douches dans le camp et le nombre de latrines construites et fonctionnelles son ne couvrent pas les besoins. Ce manque pourrait engendrer des problèmes d’hygiène et des risques d’épidémie.

– Les distributions alimentaires ne sont pas encore à la hauteur des besoins. Les repas ne sont pas distribués en nombre suffisant et les besoins spécifiques des femmes et surtout des enfants et nourrissons qui arrivent en nombre croissant dans le camp ne sont pas pris en compte. Le camp s’agrandit de jour en jour et certains arrivants déjà réfugiés en Libye ne pourront pas rentrer dans leur pays actuellement en guerre.

– Les témoignages des réfugiés font état de maltraitance, de vols et de cas de viols avant le passage à la frontière.

– Des tensions se créent dans le camp du fait de la promiscuité, du manque d’hygiène et de la diversité des nationalités (plus de 10 nationalités différentes). Des cas de viols dans le camp ont été rapportés. L’armée tunisienne a été obligée d’intervenir à plusieurs reprises.

Dans les réunions de coordination organisées par les Nations Unies, près de 40 organisations internationales (plus de 70 personnes) sont présentes tous les soirs pour collecter les informations transmises par le HCR, le CICR et quelques autres agences des Nations Unies.

Sur le terrain, seuls quelques acteurs (pas plus d’une dizaine) ont réellement commencé à mettre en place des réponses aux besoins identifiés. Très peu de fonds institutionnels sont débloqués. Le Secours Islamique France travaille pour l’instant exclusivement sur fonds propres ou en partenariat avec des acteurs locaux. Et pour cause,  les Nations Unies et l’Union Européenne ont décrété qu’il ne s’agissait pas d’une crise humanitaire.  Derrière cette décision, ce sont des choix qui se dessinent, notamment financiers et politiques, qui peuvent être légitimes pour ces institutions, mais en aucun cas conditionner l’intervention et les choix des ONG, à priori neutres, impartiales et indépendantes.

La vraie question n’est-elle pas de savoir si la situation de 15 000 personnes de plus de 10 nationalités différentes dans un camp en plein milieu d’une zone désertique (qui plus est dans un pays en en reconstruction et sans expérience de ce genre de situation), vivant depuis un mois dans des conditions difficiles d’hygiène d’accès à l’eau et à la nourriture et avec des problématiques additionnelles de transit et d’insécurité, justifie une intervention des ONG ?

Notre réponse est clairement oui,  et nous considérons que notre mandat nous impose non seulement de fournir l’assistance nécessaire à ces personnes, mais aussi de nous mobiliser tant que nous estimerons que la réponse apportée par les acteurs humanitaires n’est ni suffisante, ni satisfaisante.

Des ONG peuvent bien sur choisir de ne pas intervenir sur cette situation pour différentes raisons objectives et légitimes, par exemple lié à leur mandat (par exemple, les besoins médicaux ne sont pas importants pour le moment et la couverture à ce jour est suffisante), mais il nous semble que ces raisons devraient être clairement explicitées afin de ne pas éluder des besoins réels et urgents et  minimiser la réalité de l’urgence humanitaire.

 

Rachid Lahlou

Rachid Lahlou

Rachid Lahlou est président du Secours islamique France (SIF).