Démocratie et droits de l’homme : quels apports de la francophonie ?

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Contraintes politiques et économiques nationales

Le rôle croissant de la société civile dans la décision publique est un élément tout à fait fondamental du monde actuel. Forts de l’expérience de cette réalité, les Conseils économiques et sociaux représentent des institutions essentielles du débat participatif qui permettent à l’Etat de prendre ses décisions sur une connaissance approfondie des attentes citoyennes. Et c’est justement la conscience commune de ce rapport repensé de l’individu au collectif et au pouvoir qui a été à l’origine de la création de l’Union des Conseils Economiques et Sociaux et Institutions Similaires des Etats et gouvernements membres de la Francophonie (UCESIF).

Inaugurée en 2004 lors de l’Assemblée Générale à Ouagadougou, l’UCESIF rassemble les Conseils économiques et sociaux (CES) de 22 pays(1) qui ont en commun la volonté affirmée de « promouvoir les droits économiques, sociaux et environnementaux dans l’espace francophone (2) » De ce fait, l’UCESIF s’inscrit dans le maillage des réseaux institutionnels qui, sous l’égide de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), visent à regrouper les institutions de compétences similaires des pays francophones en vue de créer un espace d’échanges d’expériences entre professionnels évoluant dans le même domaine d’activités. L’exercice de cette appartenance francophone distingue l’UCESIF des associations ou assemblées internationales, régionales ou sous-régionales telles l’Association internationale des Conseils Economiques et Sociaux et Institutions Similaires (AICESIS), EUROMED ou encore l’Union des Conseils Economiques et Sociaux Africains (UCESA).

En effet, porté par une langue partagée, des systèmes juridiques, des institutions et des modes de fonctionnement comparables, l’espace francophone est un cadre propice à la coopération. Adoptée à Paris le 13 mars 2012, la Charte de partenariat entre l’Organisation internationale de la Francophonie et les réseaux institutionnels consacre comme objectif prioritaire la collaboration « dans les domaines de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme »(3). Réaffirmant les principes de la déclaration de Bamako de 2000, la Charte « associe les réseaux institutionnels à l’observation et à l’évaluation permanentes des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone ».

Dans la réalisation de cet objectif, l’UCESIF dispose d’une double capacité d’influence. Certes, comme rappelé ci-dessus, cette influence est relayée vers les instances de la Francophonie et notamment le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement tous les deux ans et lors la conférence ministérielle qui en assure le suivi dans l’intervalle. Il s’agit donc d’une autorité sous-tendue par l’OIF qui dispose de moyens de pressions, sanctions qui peuvent être engagées en cas de ruptures démocratiques dans un pays membre comme l’avait illustré récemment le cas du Mali (4). Mais l’UCESIF dispose également des moyens d’action qui lui sont propres. Comme précisé dans la Charte de partenariat sus-citée, « les réseaux institutionnels francophones se caractérisent par leur autonomie et leur indépendance par rapport à l’OIF ». Ces structures souples et réactives sont mobilisées dans les secteurs du droit et de la justice, des droits de l’Homme, de la régulation, de la médiation et des élections et, en raison de leur expertise, constituent une source précieuse d’information de l’OIF.

Les réalisations de l’UCESIF dans un contexte économique et social fragile

L’UCESIF tend à créer des solidarités de proximité entre les CES. Cela se traduit par un soutien au renforcement mutuel des compétences à travers le partage d’expériences, la formation par les pairs et la réalisation d’actions communes pouvant notamment conduire à la production d’outils tels que des bases de données ou des publications. En tant que forum citoyen du dialogue social et civil, l’UCESIF a décidé d’organiser des rencontres internationales et des travaux sur le rôle des CES en matière de prévention des conflits, dans le cadre des consultations électorales (5) ou encore des crises sociales.

Il est pourtant indéniable que les CES membres de l’UCESIF doivent faire face dans leur grande majorité à des difficultés en matière de ressources financières et de personnels. Ils peuvent également rencontrer des difficultés à s’assurer une assise dans le paysage institutionnel national. Les raisons en sont diverses : manque de visibilité de l’institution ou des retombées positives pouvant venir de son travail, concurrence entre les institutions due à une mauvaise coordination interinstitutionnelle, transition politique non achevée comme celle avec laquelle s’était confronté le Niger (6), remise en question profonde des institutions à la suite de mouvements comme ceux du Printemps arabe, comme en témoigne de son côté le cas tunisien (7). Ces situations peuvent conduire à un respect incomplet des dispositions relatives aux compétences des CES par les gouvernements qui peuvent dans certains pays les marginaliser.

A cela s’ajoute les risques liés à des conflits armés (internationaux ou non) et aux mouvements terroristes qui, déstabilisant un Etat, viennent à empêcher le travail de ses institutions (8). Dans pareil cas, l’UCESIF s’engage tant à maintenir des liens avec les membres de l’institution nationale  qu’à contribuer au rétablissement de l’ordre constitutionnel. Cet engagement est facilité par le fait que les CES bénéficient d’une bonne image auprès des intervenants extérieurs, étant régulièrement sollicités par les partenaires sociaux en cas de rupture du dialogue social. En effet, lieux permettant de forger un consensus, les CES sont impliqués dans la recherche de solutions aux évolutions sociales et aux conséquences de la crise financière et économique actuelle. Les CES membres de l’UCESIF se montrent très actifs, produisent des rapports dans leurs champs de compétences constituant ainsi des supports à la prise de décision par les pouvoirs publics. Au travers de l’UCESIF, ils sont également des laboratoires de bonne gouvernance.

Ainsi, analysés sous l’angle des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les thématiques autour de la jeunesse, de l’emploi, du développement, de l’immigration et de la santé, relèvent-elles des domaines de compétence des CES, mettant en relation les partenaires sociaux avec le monde de l’entreprise. A cet égard, le Bureau de l’UCESIF a retenu fin 2011 le projet d’un travail sur les droits sociaux et tout particulièrement sur une charte sociale en vue de la production d’un outil de diffusion sous le timbre de l’UCESIF et de l’OIF. L’exemple du CES du Maroc est notable à cet égard notamment en raison de son fort engagement sur les droits sociaux, la responsabilité sociale de l’entreprise, les politiques en faveur des jeunes, les problématiques liées à l’emploi, comme le démontrent ses travaux récents.

De ce fait, la Commission Permanente chargée des Affaires Sociales et de la Solidarité qui a mené les travaux qui ont donné lieu au rapport intitulé : « Pour une nouvelle charte sociale : des normes à respecter et des objectifs à contractualiser » mettra à la disposition de l’UCESIF l’expertise des conseillers et des spécialistes marocains qui ont élaboré les référentiels de la charte sociale pour le Maroc.

Ainsi, la construction de la charte sera-t-elle le fruit d’un portage institutionnel entre l’UCESIF, le CES du MAROC et l’OIF.

L’UCESIF contribuera également à la réflexion sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Les CES disposent des intelligences capables de faire converger la gouvernance nationale pour la mise en oeuvre de politiques efficientes, en harmonie avec les objectifs du développement durable ; et ce notamment en matière de RSE, grâce à leur composition.

La définition de la société civile organisée et les modalités de sa représentation dans les CES, fera ensuite l’objet d’un autre chantier, dont les résultats prendront tout leur poids dans le contexte politique que traversent actuellement plusieurs pays de l’espace francophone.

Un engagement fort de l’UCESIF en matière d’environnement

Les 2 et 3 mai 2012, l’UCESIF a organisé un séminaire à Brazzaville (Congo) sur le thème du « Développement durable et solidaire : rôle d’un Conseil Economique et Social ». Les débats, de haute qualité, ont porté sur toute une série de problématiques et perspectives de mise à l’ère du développement durable et solidaire : la gouvernance économique et financière, les opportunités de création de richesse et de promotion de l’emploi offertes par l’économie verte, l’engagement de la société civile dans les stratégies gouvernementales en matière d’énergies renouvelables, la responsabilité sociétale des entreprises, le rôle des conseils économiques et sociaux en matière environnementale, le lien entre la société civile et le développement durable.

L’acquis essentiel de ce séminaire international consiste dans le fait que les CES nationaux se sont approprié ces débats en souhaitant les diffuser auprès leurs partenaires sociaux ainsi que de leurs populations respectives afin de recevoir l’audience la plus large possible. De surcroît, il a permis de faire mieux connaître les initiatives des réseaux professionnels de la Francophonie ou des projets auxquels la Francophonie s’associe, à l’instar de l’Initiative sur la Transparence des Industries Extractives (ITIE) (9).

L’objectif est donc, dans un premier temps, de permettre une prise de conscience des acteurs privés et des pouvoirs publics sur ces problématiques d’une brûlante actualité, comme démontré par les débats du Sommet Rio+20. Mais l’importance de ce séminaire réside surtout dans l’engagement des CES à agir pour la mise en place et le renforcement de systèmes politiques et économiques efficaces et efficients tournés vers le développement durable.

La Déclaration finale du Séminaire de Brazzaville affirme cette volonté partagée qui envisage tant des actions ciblées, comme « la création d’un fonds visant à la valorisation du potentiel énergétique du bassin du Congo et du golfe de Guinée pour plus de soutenabilité des Etats des CES membres de l’UCESIF dans leur dynamique de développement durable », qu’un cadre législatif et politique « favorable au développement de l’économie verte, et au lancement des campagnes d’information, de formation professionnalisante et de recherche et développement en faveur de l’emploi tout particulièrement au bénéfice de la jeunesse » (10).

Cette dynamique est porteuse d’espoir notamment pour les jeunes générations et permet, à travers un dialogue social réel et ouvert, la mise en avant de nouvelles préoccupations ou de thèmes peu exposés jusqu’alors.

 

(1) En 2012, sont membres de l’UCESIF : le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, la Côte d’Ivoire, la France, le Gabon, la Grèce, la Guinée, le Liban, le Luxembourg, le Mali, le Maroc, Maurice, la Mauritanie, Monaco, le Niger, la Roumanie, le Sénégal et le Tchad.

(2) Statuts de l’Union des Conseils Economiques et Sociaux et Institutions Similaires des Etats et gouvernements membres de la Francophonie (UCESIF).

(3) Charte du partenariat avec les réseaux institutionnels

(4) Le Mali a été suspendu, vendredi 30 mars 2012, des instances de la Francophonie après le coup d’Etat qui a porté des militaires au pouvoir le 22 mars.

(5) Le CES de Bénin a apporté avec succès son soutien au processus électoral au Bénin, en 2011.

(6) La rupture de l’ordre constitutionnel au Niger après le coup d’Etat de 2010 à la suite de la décision du président Tandja de se maintenir au pouvoir après deux mandats, s’est traduite, entre autre, par la suspension du CES nigérien par les autorités étatiques. La pression des pairs s’est en permanence exercée sur les autorités nigériennes pour un retour à l’ordre constitutionnel et s’est manifestée par la réinstallation du CES qui compte parmi les plus engagés de l’espace francophone.

(7) Ainsi, le CES tunisien, prévu par la Constitution et créé le 16 janvier 1961 par une loi, a été abrogé en février 2011 et n’a pas été rétabli depuis.

(8) La crise que connaît le Mali depuis le mois de mars a eu des répercussions sur le CES malien dont les bureaux ont été saccagés. Malgré les difficultés, le CES du Mali continue de fonctionner et s’implique dans l’UCESIF qui, comme la plupart des autres réseaux institutionnels, veille à entretenir « la flamme » de ces institutions.

(9) L’ITIE est un instrument visant à répondre aux problèmes soulevés par l’exploitation des ressources naturelles. Cette initiative se base ainsi sur les Etats qui déclarent les revenus perçus par les sociétés du secteur ; les compagnies extractives qui déclarent les paiements versés, la société civile, les techniciens et spécialistes qui peuvent évaluer de manière pertinente les publications chiffrées émises par les autres acteurs du secteur. La Francophonie siège au Conseil d’Administration de l’Initiative depuis 2010.

(10) Lire le  texte de la déclaration 

Elisabeth Dahan

Elisabeth Dahan

Elisabeth Dahan est secrétaire générale de l’UCESIF.

Elisabeth Dahan

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