La fusion entre PU et AMI : une association de métiers et de compétences…

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Le rapprochement entre Première Urgence et Aide Médicale Internationale est officiel depuis le 1er avril 2011. Pour le nouveau Directeur général de l’ONG ainsi créée – PU-AMI, Thierry Mauricet, cette fusion est avant tout une « association de métiers et de compétences ». Thierry Mauricet reconnaît que si ce mariage est une réussite, c’est aussi le signe, disons, de la fragilité de l’humanitaire français.

Grotius.fr : Quelle forme juridique prend ce rapprochement entre PU et AMI, le terme de fusion est-il juste ?

Thierry Mauricet : C’est le terme approprié effectivement, avec cette précision : l’option choisie a été la fusion-création, c’est-à-dire qu’on a créé une nouvelle association qui s’appelle donc Première Urgence-Aide Médicale Internationale. PU et AMI ont apporté à cette structure l’ensemble de leurs actifs et passifs au sens comptable du terme, c’est-à-dire la totalité de leurs ressources (personnels, équipements, projets, etc). L’effet de taille n’est cependant pas ce que l’on recherchait avant tout par ce rapprochement. Certes peser plus, c’est être mieux équipé, mieux structuré, mais c’est surtout d’addition des compétences qui a été le moteur de la fusion, le fait de pouvoir associer des activités médicales à des activités non médicales pour répondre à l’ensemble des besoins fondamentaux des populations victimes de crises humanitaires.

Ce fut le vrai fondement de ce projet associatif. C’est cette dimension qui a suscité le plus d’intérêt au sein de Première Urgence. Le projet s’est construit dans la durée, près d’une année et demie de discussion, ce processus n’a pas entraîné de scénarios de ruptures brutales.

Grotius.fr : Qui a pris l’initiative de ce rapprochement, PU ou AMI ?

Thierry Mauricet : C’est une initiative d’AMI qui, il y a un an et demi à peu près, a pris attache auprès d’un conseil, Philippe Chabasse, ancien co-directeur d’Handicap International. Cette initiative a été prise parce qu’AMI connaissait des difficultés et l’ONG cherchait, disons, un second souffle. Dans ses recommandations, Philippe Chabasse a préconisé qu’Aide Médicale Internationale fasse un retour vers l’urgence, et/ou s’associe, se rapproche d’une autre structure. Ce rapport d’étude a été présenté il y a un an et demi lors d’une assemblée générale d’Aide Médicale Internationale et le principe a été retenu qu’AMI devait essayer d’opérer un retour vers l’urgence et se rapprocher d’une autre association. Erwan Le Grand, alors délégué général d’AMI, a pris contact avec moi. Il m’a exposé cette idée d’un rapprochement et m’a demandé qu’ensemble, nous y réfléchissions.

Grotius.fr : S’il n’y avait pas eu cette fusion, AMI risquait-elle de devenir moribond, voire de disparaître à terme ?

Thierry Mauricet : L’histoire ne dira pas si AMI aurait disparu, mais cette fusion était une solution fortement préconisée, c’est certain.

Grotius.fr : Dans ce processus, de quelles façons a été validée la complémentarité entre PU et AMI, complémentarité qui existe sur le papier ?

Thierry Mauricet : Au cours de cette année et demie de processus, trois terrains nous ont permis de faire un certain nombre de validations. Le premier acte en quelques sortes a été posé à l’occasion du tremblement de terre en Haïti où AMI était présent depuis 1984. AMI a simplement ouvert sa porte à PU pour que nos équipes puissent être opérationnelles le plus rapidement possible. Le travail de PU s’est révélé complémentaire de l’action menée par Aide Médicale Internationale. PU a apporté son savoir-faire dans les domaines de l’alimentation, des abris, de l’accès à l’eau et de l’assainissement… Il y a donc eu en Haïti un embryon de coopération, mais décisif, parce que le fait d’être accueilli par une équipe déjà en place, c’est un gage d’efficacité quasi immédiat. Le deuxième essai effectué, c’est fait au travers d’un projet en consortium sur la province de l’Equateur en République Démocratique du Congo.

Ce projet, qui a été adressé à différents bailleurs conjointement, a permis avec deux équipes distinctes, d’avoir des financements conjoints. Et le troisième essai tenté, ce fut un programme intégré au Pakistan en lien avec les récentes inondations. Donc progressivement, au travers de ces 3 expériences, on s’est rapprochés structurellement de plus en plus pour arriver à monter dans la dernière expérience, celle du Pakistan, un projet totalement commun, totalement intégré.

Grotius.fr : Parallèlement à ces étapes sur le terrain, PU et AMI sont entrés dans une phase d’explication en direction des bailleurs…

Thierry Mauricet : Le point important,  a été effectivement les bailleurs : savoir à quelles conditions ils accepteraient de transférer les contrats, les entités juridiques, comment ils apprécieraient finalement « l’ancienneté » de la nouvelle structure, puisque juridiquement cette association qui s’est créée le 1er avril 2011 a sur le papier aucune antériorité, et que pour satisfaire certains de leurs critères ou exigences, il faut parfois faire état de 3 années d’ancienneté. Alors, les bailleurs allaient-ils considérer juridiquement que cette création d’association pouvait reprendre à son compte l’ancienneté et l’expérience de Première Urgence (20 ans d’ancienneté) et AMI de son côté 30 ans ?

Donc tout cela a fait l’objet de rencontres, de discussions pour s’en assurer préalablement, parce que s’ils avaient refusé de prendre en considération cette antériorité, cette ancienneté, le projet de fusion aurait été compromis.

Grotius.fr : Une communication est engagée par ailleurs en direction des autorités nationales et locales dans les pays d’intervention… et ce n’est pas seulement un changement de tee-shirt.

Thierry Mauricet : Ce n’est pas un changement de tee-shirt. Progressivement nous devons enregistrer la nouvelle association auprès des autorités habilitées à le faire. Dans certains pays, on pourra le faire, dans d’autres ce sera peut-être plus difficile. Dans ce dernier cas, il nous faudra certainement conserver l’identité d’origine des deux ONG, identités qui nous sont toutes deux juridiquement associées, afin de pouvoir continuer à intervenir.

Grotius.fr : Depuis plusieurs années maintenant nous assistons soit à des disparitions d’ONG soit à des rapprochements. Vous avez expliquez que le mariage entre PU et AMI s’est réalisé dans de bonnes conditions, mais au-delà n’est-ce pas l’aveu de la fragilité structurelle des ONG françaises?

Thierry Mauricet : Je le reconnais bien volontiers. Ces dernières années, quelques associations françaises ont disparu, certaines étaient plutôt connues comme Pharmaciens sans Frontière ou Enfants du Monde Droit de l’Homme. Elles ont disparu parce qu’elles étaient sans doute trop petites. En tout cas la taille, le poids sont des facteurs déterminants sur le long terme . L’action humanitaire ne peut plus seulement se placer dans un cadre franco-français, nous devons avoir vision mondialisée de l’humanitaire. Même les plus grosses associations françaises comme MSF ou Handicap International restent petites au regard d’autres ONG américaines ou britanniques. Ceux qui nous financent aujourd’hui nous le font parfois comprendre, ils préfèrent travailler avec des ONG plus importantes parce qu’ils estiment qu’elles sont davantage en capacité de mettre en œuvre et de gérer des projets lourds. Je crois que ça les rassure. Donc le fait de se rapprocher, au-delà de l’association des compétences, influe en effet sur la taille, ce qui me semble être favorable en l’état actuel des choses.

A l’avenir, je pense que la plupart des ONG françaises devront peut-être se poser la question et faire ce choix de se rapprocher pour peser plus. Cela ne m’étonnerait pas que nous assistions à d’autres rapprochements dans les prochaines années.

 

La fusion PU-AMI en quelques mots…

La gouvernance de la nouvelle association : Première Urgence-Aide Médicale Internationale compte 20 membres. Parmi ces 20 membres, 12 sont issus de Première Urgence et 8 de l’AMI. Le conseil d’administration est constitué de 15 membres : 8 de Première Urgence et 7 de l’AMI. Le bureau est formé de 6 membres, dont le président est Bruno de Coupigny, l’ancien président de Première Urgence. Le vice-président de ce bureau est Philippe Augoyard, ancien président d’Aide Médicale Internationale. Les autres postes sont occupés à part égale entre AMI et Première Urgence. Nous avons recherché une certaine équité.

Le budget prévisionnel : La prévision pour 2011 était un budget de 40 millions d’euros mais celui-ci sera probablement dépassé au regard des événements en Côte d’Ivoire et en Libye.

Eléments de la restructuration : Le projet a été suivi sur plus de 12 mois et a fait l’objet d’explications et de validations à divers niveaux (notamment lors d’assemblées générales). L’option de ne pas remplacer les départs a été choisie avec pour objectif donc de contenir les effectifs en attendant la fusion. Il y a eu des départs volontaires, 5 ou 6 au total sur plus d’un an et répartis entre PU et AMI affirme Thierry Mauricet. « Mais pas de plan social, c’était très important pour moi. C’est vrai qu’en règle générale, quand on parle de fusion, on s’imagine naturellement que tout cela se solde par une économie d’échelle importante et donc par un plan social. Fort heureusement, ça n’a pas été le cas » explique le nouveau Directeur général.

En volume : PU-AMI intervient dans 16 pays, sur 19 missions en Afrique, au Moyen-Orient, dans le Caucase, dans les Caraïbes et en Asie, grâce à l’implication de plus de 2 500 collaborateurs nationaux, environ 130 expatriés et 39 salariés au siège, pour la mise en œuvre plus de 150 projets et plus de 2 millions de bénéficiaires.

Jean-Jacques Louarn

Jean-Jacques Louarn

Jean-Jacques Louarn est journaliste à RFI.