En 1863, les négociateurs réunis à Genève pour adopter les résolutions portant création des Sociétés nationales de secours aux militaires blessés ont choisi le signe de la croix rouge comme emblème distinctif et protecteur.
L’adoption de ce signe de la croix rouge renvoie à l’histoire. En effet, depuis toujours, le blanc est la couleur du drapeau de celui qui se rend et du parlementaire ; c’est la couleur avec laquelle on demande la suspension du feu. Quant à la croix rouge, elle impose le respect dû au blessé et au personnel soignant.
Au XVe siècle, le soldat de Rome et de Naples devenu prêtre, Camille de Lellis (1550-1614), a adopté le signe de la croix rouge lorsqu’il a fondé la congrégation des Camilliens pour secourir les blessés des champs de bataille.
Pour les chrétiens, la croix rouge signifie le sacrifice et le sang du Christ. L’emblème de l’Hôpital de saint Jean de Jérusalem était une croix blanche apposée sur un manteau noir ou rouge et celle des Teutoniques était noire sur un manteau blanc. Cet insigne était placé sur le devant de l‘épaule gauche. Les participants à la Conférence de Genève de 1863 l’imagineront au bras gauche.
En 1864, les diplomates réunis à Genève pour adopter la première Convention relative à la protection des militaires blessés et malades, reprennent ce signe de la croix rouge pour le brassard et le drapeau du personnel sanitaire des armées, des hôpitaux et des ambulances militaires. L’année suivante, la Sublime Porte adhère à la Convention sans émettre de réserve. C’est la première fois qu’un Etat musulman s’associe à une initiative venue du monde chrétien.
L’unité du signe
Puis, en 1876, lors de la guerre russo-turque, l’empire ottoman indique au Conseil fédéral à Berne, dépositaire de la Convention, que désormais il utilise le signe du croissant rouge afin de ne plus blesser «les susceptibilités du soldat musulman». Dans le même temps, la société ottomane remplace la croix par le croissant.
En 1899, cependant, à l’occasion de la première Conférence de la Paix à La Haye et de la discussion du traité adoptant les principes de Genève à la guerre maritime, la Turquie et le Siam – qui souhaitaient la reconnaissance de la croix accompagnée du symbole de la flamme rouge – ne peuvent rédiger aucune réserve quant au signe. La Suisse estime en effet que l’objectif de la Conférence est limité à la transposition des principes votés à Genève en 1864. Aucun ne peut donc être modifié. En outre, elle tient beaucoup à l’unité du signe.
En 1906, à Genève, lors de la révision de la Convention de 1864, les négociateurs sont conscients de la nécessité de laïciser le signe afin qu’il puisse être accepté par tous les Etats. Le Français Louis Renault – dont le pays vient d’opérer la séparation de l’Eglise et de l’Etat – est tout désigné pour remplir cette mission. Aussi, fait-il adopter un article affirmant le caractère laïc du signe de la croix rouge, qui correspond à l’inversion des couleurs du drapeau de la Suisse et représente un hommage au pays où est née l’œuvre de secours aux blessés.
D’ailleurs en 1906, le délégué japonais déclare n’attacher aucune signification religieuse au signe de la croix. Celui de la Chine souhaite que son pays fasse de même. Cependant, il demandera un peu plus tard qu’il soit permis de faire des réserves sur le signe. Le représentant de la Perse explique, quant à lui, que les difficultés de l’emploi de la croix dans les pays non chrétiens ne proviennent pas de l’idée religieuse du signe, mais «d’autres considérations historiques». Il est approuvé par l’envoyé du Siam. En 1906, le principe de l’unité du signe est donc maintenu. Malgré tout, la Perse, qui utilise l’emblème du lion et soleil rouges, signe le Traité en faisant une réserve. Mais, elle ne le ratifie pas. En 1907, la Turquie – absente à la Conférence – adhère au Traité en précisant qu’elle utilise le signe du croissant rouge.
L’emblème de l’oeuvre
A La Haye, lors de la deuxième Conférence de la Paix de 1907, la question du signe est de nouveau posée pour la révision de la Convention de 1899 sur les secours aux marins en cas de guerre sur mer. La Perse et la Turquie ont assorti leurs signatures des mêmes réserves que l’année précédente à Genève. Mais aucun des deux Etats n’a ratifié le Traité. En 1929, lors de la révision du Traité de 1906, les délégués perse et turc relancent la question du signe.
Ils demandent que les emblèmes utilisés dans leurs pays respectifs soient mentionnés dans la nouvelle convention. Appuyant cette requête, le délégué égyptien déclare que les signes du croissant et du lion et soleil rouges, désignent le même idéal que celui de la croix rouge. Il explique aussi que ces deux signes ont été reconnus grâce aux réserves acceptées précédemment.
Prenant ces considérations en compte, les négociateurs de la Convention de 1929 reproduisent l’article de 1906 et précisent dans un second alinéa que les signes du croissant et du lion et soleil rouges, sont également acceptés.
Cependant, le problème de l’emblème de l’œuvre demeure. Il a pourtant souvent été réglé à la suite d’un échange de lettres entre la Société nationale demanderesse et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Ainsi, en 1877, la Société japonaise de secours, juste créée, utilisa tout d’abord le symbole du disque solaire surmontant une bande rouge.
Neuf ans après, en 1886, lorsque le Japon adhéra à la Convention de Genève, la société adopta le signe de la croix rouge. Beaucoup plus tard, après l’indépendance, l’Inde eut l’idée de remplacer la croix par le symbole de la roue sur fond blanc. Mais elle ne l’a pas fait. En 1949, alors que la Conférence chargée de réviser le droit de Genève adopté vingt ans plus tôt, doit se réunir, la question du signe est d’une actualité brûlante. En effet, Israël qui a adhéré à la Convention de 1929 en août 1948 sans émettre de réserve sur le signe, utilise pourtant l’emblème du bouclier rouge de David. Aussi, en 1949, la délégation israélienne espère-t-elle faire adopter son signe par la Conférence de révision en mettant en avant l’argument du fait accompli.
Or, cela conduit le représentant belge à dire sa crainte que d’autres Etats ne fassent de même. Ainsi, il donne raison au CICR qui redoute depuis longtemps une multiplication des signes qui ne pourrait être que néfaste pour l’œuvre. Aussi, le CICR préconise-t-il un retour à l’unité du signe de la croix, ou bien la seule acceptation du croissant en plus de la croix. Pour défendre sa position, le Comité international affirme encore que seule l’universalité du signe garantit une reconnaissance aisée de la présence de l’œuvre sur un champ de bataille, et peut donc éviter des abus de toutes sortes.
En 1949, le délégué israélien se dit prêt à renoncer à sa requête si les exceptions déjà reconnues disparaissent. Or, cela ne pouvait pas être accepté par les Etats concernés. Aussi, plusieurs délégations proposent-elles le remplacement des signes de la croix et du croissant par un autre, dénué de référence religieuse. Déjà en 1899 à La Haye, le délégué des Etats-Unis déclarait que, le signe de la croix rouge ayant une connotation religieuse, il faudrait adopter un autre signe pouvant être accepté par tous les Etats. En 1949, le représentant des Pays-Bas suggère l’adoption d’un cœur rouge stylisé en forme de triangle.
Quant à la délégation de l’Inde, elle propose qu’un organisme ad hoc étudie la création d’un nouveau signe géométrique. Mais le CICR et la Suisse insistent sur la nécessité de conserver le signe de la croix rouge connu dans le monde entier et qui existe depuis 1863. Ces différents arguments entraînent le rejet de la demande israélienne et le maintien de la disposition de 1929.
Le signe du bouclier de David rouge n’est pas mentionné dans la Convention de 1949 relative à la protection des blessés et des malades des armées de terre. Israël a donc assorti sa signature d’une réserve, confirmée en 1951 lors de la ratification de la Convention. Le Liban et les Etats-Unis ont alors émis des objections sur cette réserve israélienne.
La croix ou le croissant
En 1980, à la suite de la révolution de l’ayatollah Khomeni, l’Iran informe Berne que l’Etat emploie désormais le signe du croissant. Cela est accepté par Genève. Ainsi, le signe du lion et soleil rouges n’est plus utilisé.
En revanche, le CICR refuse l’emploi du double emblème de la croix et du croissant car cela peut être considéré comme la preuve de la connotation religieuse des deux signes, et c’est un risque de scission pour la Société visée. Aussi, en 1993, lorsque la Société du Kazakhstan décide d’adopter le double emblème de la croix et du croissant, Genève refuse de reconnaître formellement la nouvelle Société. Celle-ci renonce donc à cet emblème et adopte le signe du croissant, entré en vigueur en 2001.
Cependant, bien que l’Erythrée n’ait pas émis de réserve lors de son adhésion en 2000 aux Conventions de 1949, la Société de la Croix-Rouge de l’Erythrée a déclaré souhaiter utiliser le double emblème de la croix et du croissant rouges. La question du signe est intimement liée à celle de l’appellation des Sociétés nationales et des institutions coordinatrices situées à Genève. En 1977, la Ligue, créée en 1919 pour intervenir lors des catastrophes naturelles, ajoute sur son papier à entête la mention explicative suivante : «Fédération internationale des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge».
En 1980, le terme de Ligue disparaît au profit de celui de «Fédération». Puis, en 1991, l’institution devient la «Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge». Entre temps, en 1986, la Croix-Rouge internationale est devenue le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Aucune mention n’est faite du bouclier rouge de David.
En effet, lors de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit humanitaire, qui s’est déroulée entre 1974 et 1977, Israël a vainement tenté de faire mentionner le signe du bouclier rouge de David dans les Protocoles additionnels I et II aux Conventions de 1949.
De ce fait, la Société israélienne ne bénéficie que d’une reconnaissance de fait par le CICR, qui néanmoins entretient avec elle les mêmes relations qu’avec les autres Sociétés. Elle ne fait pas non plus partie du Mouvement.
Sa situation est comparable à celle de la Société du Croissant-Rouge palestinien, non en raison du signe employé, mais parce que depuis 1863, les statuts prévoient qu’une Société ne peut être fondée que dans un Etat indépendant. Or, celui-ci n’existe pas. Cette situation ne pouvait pas durer indéfiniment. Mais il fallait trouver un consensus. Deux questions liées aux statuts sont posées. Une difficulté supplémentaire existe car droit et géopolitique sont ici très intimement liés. Et le règlement de cette situation passe en tout premier lieu par celui de l’emblème utilisé en Israël.
La société israelienne
En 1992, le président du CICR, Cornelio Sommaruga, relance la question du signe avec pour objectif, très clairement affiché, d’arriver à une solution acceptable pour tous les Etats ; ceux-ci doivent pouvoir conserver le signe déjà utilisé, et la multiplication des signes doit être évitée. Ainsi, seule l’adoption d’un signe supplémentaire dépourvu de toute connotation religieuse, nationale ou politique, peut remplir ces objectifs.
Après plusieurs réunions et conférences d’experts, la Suisse – en accord avec le CICR qui a rédigé un projet de protocole additionnel III aux Conventions de 1949 –, convoque une conférence diplomatique pour octobre 2000.
Un accord sur le nom et le graphisme du nouveau signe a alors été trouvé. Mais la conférence est ajournée en raison de la reprise des affrontements au Proche-Orient. Et, la Ligue des Etats arabes et les Etats membres de l’organisation de la Conférence islamique ayant demandé la suspension des négociations tant que dureraient les hostilités, la conférence diplomatique ne pouvait pas être réunie avant plusieurs mois.
Le CICR a néanmoins continué à discuter avec les Sociétés érythréenne, israélienne et palestinienne afin de préparer leur entrée dans le Mouvement. En novembre 2005, le gouvernement suisse et le CICR permettent ainsi la conclusion d’un accord de coopération entre la Société israélienne et la Société palestinienne qui doit faciliter l’adoption du troisième protocole et l’entrée des deux Sociétés dans le Mouvement.
Le 5 décembre 2005, la Conférence diplomatique peut enfin se réunir à Genève et adopter le Protocole additionnel III le 8 décembre suivant. Entré en vigueur le 14 décembre 2007, il prévoit que les Sociétés nationales peuvent utiliser le signe du cristal rouge ayant la forme d’un carré rouge posé sur la pointe placé sur un fond blanc. Il peut être utilisé avec un signe déjà utilisé, la croix, le croissant ou le bouclier rouge de David, ou bien encore une combinaison de la croix et du croissant. Le CICR, la Fédération et les Sociétés peuvent conserver leurs signes actuels et leurs noms respectifs.
Le CICR et la Fédération peuvent adopter ce nouveau signe dans les situations exceptionnelles où la croix ou bien le croissant seraient difficilement acceptés. Le nom du cristal rouge ne contient pas de connotation négative. Il a les mêmes initiales que les expressions de croix rouge ou de croissant rouge en français et en anglais. Le cristal peut renvoyer à l’eau, source de vie ; il est aussi le symbole de la pureté et de la transparence.
Un accord universel
L’acte final de la Conférence diplomatique de 2005 mentionne l’accord conclu entre les Sociétés israélienne et palestinienne et annonce la tenue d’une Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Celle-ci a ouvert ses portes le 20 juin 2006 à Genève afin de voter des amendements à ses Statuts – devenus nécessaires en raison de l’adoption du Protocole III – et l’admission de la Société palestinienne. Entre temps, Le CICR et la Fédération ont aidé les deux Sociétés à mettre leurs statuts en conformité avec les règles du Mouvement pour que le président du CICR puisse prononcer leur reconnaissance et leur entrée dans le Mouvement. Cette annonce a été faite à l’issue de la Conférence de 2006. La reconnaissance de la Société israélienne ne pouvait avoir lieu qu’avec l’accord des pays arabes.
Quant à celle de la Société palestinienne, elle ne pouvait se réaliser qu’avec l’assentiment d’Israël. Ces deux évènements revêtent donc un caractère fort. Ils ont été rendus possibles grâce à l’idéal de charité qui sous tend le Mouvement. Avec l’adoption du Protocole III aux Conventions de 1949, le Mouvement a renforcé son universalité. Il a montré sa capacité et celle des Etats à s’entendre pour la réalisation de grands objectifs.
Bibliographie :
F. Bugnion, Croix rouge, croissant rouge, cristal rouge, CICR, mai 2007, 118 p.
F. Bugnion, L’emblème de la Croix-Rouge : Aperçu historique, CICR, 1977, 85 p.
F. Bugnion, «Vers une solution globale de la question de l’emblème», dans la Revue internationale de la Croix-Rouge, nov. 2003, N°838, p. 427-478, et tiré à part, 2003, 64 p.
V. Harouel, Histoire de la Croix-Rouge, Paris, PUF, 1999, 126 p.
V. Harouel-Bureloup, Traité de droit humanitaire, Paris, PUF, 2005, 556 p.
Véronique Harouel-Bureloup
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