L’Etat palestinien en question

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La marche vers un Etat palestinien est longue et ardue. Le Conseil de Sécurité le 29 novembre 1947 avait prévu la création de deux Etats, l’un juif, l’autre arabe. Mais l’application de ce texte ne fut jamais mise en oeuvre.

Ce n’est que récemment que le principe même d’un Etat a été accepté par Nétanyahou dans son discours à l’université Bar-Ilan le 14 juin 2009, et que le mot semble  faire consensus dans la communauté internationale et en Israël même.

Paradoxalement, c’est au moment même où les termes d’une solution de compromis sont connus et que le principe même d’un Etat palestinien n’est plus contesté que leur mise en oeuvre apparaît de plus en plus problématique, en raison d’une absence de volonté ou de capacité politique et de l’évolution de la situation. Si un Etat palestinien n’est plus possible, existe-t-il une solution de rechange?

Une absence de volonté (ou de capacité) politique.

L’objectif théoriquement atteignable suppose une détermination politique qui n’existe pas actuellement tandis que les obstacles sur le terrain se sont accumulés.

Du côté israélien en effet, il est clair qu’un compromis est actuellement irréalisable. Certes le premier ministre, B. Nétanyahou assure qu’il prêt à négocier à tout moment, sans préalable, mais il pose des conditions qui vident largement cette proposition de son sens: après avoir rappelé que «Eretz Israël» est le lieu d’origine du peuple juif, il demande aux Palestiniens de reconnaître Israël comme un Etat juif et de renoncer à toute armée, à tout contrôle aérien.

D’autre part, il affirme que «Israël n’a pas l’intention de bâtir de nouvelles implantations», mais cet engagement ne couvre pas l’agglomération du grand Jérusalem, ni la «croissance naturelle» des colonies de Cisjordanie. La position est totalement fermée sur le problème des réfugiés comme sur Jérusalem qui restera «la capitale unifiée d’Israël».

La difficulté de la négociation n’est pas un problème conjoncturel, lié à un gouvernement. Depuis près de trente ans, Israël est gouverné par des gouvernements de coalition fragiles au sein desquels les petits partis radicaux, notamment religieux, sont surreprésentés par rapport à leur base électorale limitée. Ils sont profondément hostiles aux Arabes, y compris aux Arabes israéliens, et leur influence ne cesse de croître. On peut observer la même évolution chez une partie des colons dont la radicalisation préoccupe le gouvernement israélien comme l’armée.

Aujourd’hui la question palestinienne n’est plus une priorité : il s’agit d’un «conflit de basse intensité» gérable au jour le jour ou éventuellement par des interventions massives et ponctuelles pour maintenir un effet de dissuasion, comme celle déclenchée contre le Hezbollah en juillet 2006 ou contre le Hamas en décembre 2008. Ainsi la vie en Israël au quotidien est-elle redevenue normale après la période difficile des attentats-suicides de la période 2002-2004 maintenant jugulée.

En revanche, la menace représentée par l’Iran est ressentie comme «existentielle» et  fait l’objet d’un consensus national. Il s’agit d’un défi majeur auquel Israël doit faire face, provoqué par la volonté de l’Iran d’affirmer sa «souveraineté nucléaire»  dont la finalité apparaît de plus en plus militaire. Dans cette perspective, le Hezbollah comme le Hamas ne sont que des «pions» avancés de l’Iran.

Du côté palestinien, Mahmoud Abbas, bien qu’il soit un des chefs historiques de l’OLP, n’a plus la légitimité et la crédibilité nécessaires pour être un interlocuteur valable. Juridiquement, son mandat est terminé depuis janvier 2009. Politiquement, il apparaît à la majorité de la population palestinienne, comme un «collaborateur».

Cependant le Hamas lui-même n’apparaît toujours pas comme un interlocuteur valable. Il ne l’est pas aux yeux de la Communauté internationale, tant que les trois conditions d’une négociation émises par le Quartet – reconnaissance de l’Etat d’Israël, respect des accords conclus, renonciation à la violence – n’ont pas été respectées. Cependant le Hamas conserve une influence souterraine en Cisjordanie, contrôle Gaza, renforce son appareil répressif, fait régner un ordre islamique. Gaza  est devenu pour reprendre l’expression même utilisé du côté israélien comme un «émirat islamique» avec lequel il  faut compter mais avec qui on refuse de négocier.

Cette absence de véritable interlocuteur avec qui négocier, correspond à l’objectif poursuivi de façon constante par les autorités israéliennes, et rend tout compromis avec l’Autorité palestinienne difficile à mettre en oeuvre en Cisjordanie et impossible à Gaza.

Les effets pervers du fait accompli

Cependant tout autant que l’absence de volonté ou de capacité politique, la situation sur le terrain rend difficile la construction d’un Etat palestinien viable.

En effet, déjà en 2006, les études faites par les Nations Unies font apparaître que l’addition des territoires situés à l’ouest du mur, des terres détenues par les colonies officielles ou sauvages, des espaces utilisés par les routes de contournement, et des zones militaires fermées de la vallée du Jourdain, représentent au total 45 % du territoire de la Cisjordanie  dont la surface est de 5.800 km², soit la surface d’un département français.

Ainsi le temps ne fait que réduire l’assise territoriale d’un éventuel Etat qui en quelque sorte «s évaporerait» progressivement.

Quant aux colonies de peuplement, tout autant que leur nombre et l’importance de leurs habitants, leur localisation  pose un problème majeur. On rappellera que pour la seule Cisjordanie,  les implantations officielles et sauvages (outpost) représentent 350.000 habitants répartis dans 150 colonies. Il convient d’y ajouter les 200.000 habitants vivant dans des communes annexées illégalement dans le Grand Jérusalem.

En outre leur développement d’ouest vers l’est a contribué à fragmenter le territoire de la Cisjordanie.  Deux groupes de colonies importantes, celles d’Ariel et  celle de Maale Adoumim et Beitar Eilet,  tronçonnent  la Cisjordanie en trois sous territoires, le nord avec comme «capitale» Naplouse, le centre avec Ramallah et le sud avec Hébron.

Cette réduction en peau de chagrin du territoire palestinien semble irréversible. Tout laisse penser que la politique du fait accompli, caractéristique de la politique israélienne depuis l’origine se poursuivra dans l’avenir.

Quels scénarios pour le futur ?

Le scénario le plus probable est celui du pilotage à vue ou un «statu quo évolutif», ne serait-ce qu’en raison des faits accomplis sur le terrain ou des décisions unilatérales prises par le gouvernement israélien.

Cet oxymore reflète très largement la politique actuelle dans la continuité de celle du gouvernement Olmert. Le gouvernement israélien lâche du lest pour réduire la pression extérieure, notamment américaine, par exemple en supprimant certains barrages à l’intérieur de la Cisjordanie, mais la colonisation en Cisjordanie se poursuit  par le biais de la «croissance naturelle» ; si besoin est, une intervention militaire du type de celle décidée en décembre 2008, massive mais limitée dans le temps, peut survenir avec des  moyens délibérément «disproportionnés» pour obtenir un effet de dissuasion.

Une telle politique a l’avantage d’avoir une réel soutien de l’opinion israélienne qui, pas plus que le gouvernement, ne voit intérêt à une négociation dont on souligne surtout les inconvénients sans en percevoir des avantages jugés incertains.

Cette gestion de conflit à faible intensité n’est cependant pas sans danger sur le long terme. Elle entretient, derrière un mur, mais à proximité immédiate, une population dépourvue de tout espoir qui ne peut que se radicaliser, non seulement contre Israël, mais contre l’Occident, accusé de pratiquer deux poids deux mesures. A terme, la sécurité d’Israël est fragilisée. . .

Un deuxième scénario pourrait se développer sous la pression conjointe des Etats-Unis et des pays de l’Union européenne qui conduirait Israël à accepter une négociation sérieuse avec l’Autorité palestinienne. L’objectif serait donc d’aboutir à la création d’un Etat  palestinien viable selon un schéma proche de «l’accord de Genève» ou du relevé de conclusions de Taba, qui comprendrait notamment la reconnaissance de la ligne verte de 1967, comme frontière ; la reconnaissance de Jérusalem  également comme capitale de l’Etat palestinien ; un arrêt des colonies de peuplement, voire dans certains cas, démantèlement.

Un troisième scénario serait la proclamation d’un Etat palestinien. Un tel scénario se fonderait sur le fait que grâce aux réformes mises en œuvre par le premier ministre Salam Fayyad, de facto des structures administratives et politiques sont en place. Cette proclamation se ferait soit par décision unilatérale de l’Autorité palestinienne ou par une résolution du Conseil de sécurité, déclaration de l’Union européenne et des Etats-Unis. Après le choc initial, une telle évolution créerait sans doute plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait.

Quant à la perspective d’un Etat bi-national, elle est totalement inacceptable pour Israël. Les mêmes raisons qui avaient conduit au refus d’une solution de ce type en 1947 restent toujours valables. La majorité démographique, à terme arabe, pourrait réclamer à  gouverner le pays, ou tout au moins être associée étroitement à son gouvernement, hypothèse inenvisageable pour Israël.

Des voix s’élèvent de part et d’autres pour refuser la fatalité et tenter de promouvoir une solution de la dernière chance. Elles viennent de différents horizons,  américains, européens, et même israéliens.

Le statu quo n’est pas tenable. Il est trop lourd de menaces et d’incertitudes et peut déboucher sur une situation chaotique dont seraient victimes non seulement Israël mais également les pays voisins, notamment la Jordanie et l’Egypte dont les gouvernements modérés sont déjà fragilisés et en porte à faux par rapport à leur opinion publique. Il est clair qu’Israël ne pourra véritablement assurer sa sécurité et sa pérennité que s’il existe une solution négociée et la création d’un Etat palestinien viable.

 

 

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001). Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.