Le tournant Obama ou le «réalisme éthique»

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La magie de Barack Obama qui avait tellement séduit le reste du monde lors de la campagne électorale résistera-t-elle aux confrontations avec une réalité internationale tourmentée ? Après avoir présenté sa stratégie pour l’Afghanistan, l’un des éléments clés du redéploiement de la force américaine dans l’arc de crise du Proche et du Moyen-Orient, le président américain a entamé cette semaine une tournée internationale qui testera sa capacité de convaincre. Car il s’agit bien cette fois ce convaincre et non plus d’imposer.

L’administration Bush avait choisi l’exclusive, l’unilatéralisme, la morgue moralisatrice (du moins jusqu’au remaniement ministériel en 2006 qui avait amené au sein de l’équipe républicaine des représentants du «réalisme modéré», comme le ministre de la Défense Robert Gates, proche de l’ex-président George H.W. Bush). Sûre de sa force et de son droit, elle menait une politique fondée sur l’imposition et non sur la concertation.

D’un côté, les néoconservateurs (Paul Wolfowitz, Douglas Feith, Elliott Abrams…), forgés dans les combats pour les refuseniks et les dissidents soviétiques, brandissaient la bannière de la morale et de la liberté ; de l’autre, les Vulcains, ultranationalistes et tenants de l’hégémonisme américain (Dick Cheney, Donald Rumsfeld), mettaient en avant l’omnipotence des Etats-Unis comme si celle-ci leur conférait le droit de régenter le monde.

Ces deux factions réussirent à déstabiliser leurs adversaires. Les néoconservateurs divisèrent le camp «libéral» au moment de la guerre en Irak en accusant de « Munichois » tous ceux qui s’inquiétaient du recours à la force contre Saddam Hussein ; les Vulcains convainquirent certains  – Hubert Védrine parla de l’hyper-puissance américaine – que les Etats-Unis  avaient effectivement le pouvoir de redessiner le monde et de sanctionner ceux, adversaires ou amis, qui s’opposaient à leurs desseins.

L’échec de ces deux approches fut cinglant. Les néoconservateurs se prirent les pieds dans les contradictions de la politique américaine. Comment se draper dans le drapeau de la liberté alors que les Etats-Unis s’exemptaient des conventions de Genève et que les juristes de l’administration Bush justifiaient la torture ?

Les Vulcains se trompèrent de siècle. En dépit d’être la plus grande puissance économique et militaire, ils étaient entravés dans leurs ambitions par un monde beaucoup plus complexe que celui, très manichéen, qu’ils esquissaient. Ils découvraient également les limites de la force militaire et de l’intimidation diplomatique.

Le message de l’administration Obama est une rupture par rapport à ces prétentions d’incarner la vertu et la puissance. Pour les nouveaux «conseillers du prince», il était impératif de combler le fossé entre, d’un côté, la rhétorique de la liberté et, de l’autre, la pratique, selon le terme de Michael Ignatieff, de «l’exemptionalism » par rapport au droit international. Il était tout aussi essentiel de redéfinir les conditions de l’exercice de la puissance.

Dès son premier jour à la Maison Blanche, le nouveau Président a, d’un trait de plume, annulé les dérives les plus choquantes de son prédécesseur (rejet de la torture, fermeture dans un délai d’un an de la prison de Guantanamo, respect de la Constitution et du droit international humanitaire). Prêcher par l’exemple, c’est-à-dire en respectant les droits de l’homme aux Etats-Unis mêmes : cette politique est devenue le leitmotiv de la nouvelle équipe parce ce qu’elle est une condition de son « influence douce » (soft power) sur la scène internationale.

Cet « idéalisme » a été conforté par le retour du « réalisme », c’est-à-dire par la reconnaissance des difficultés pour les Etats-Unis de dicter leur loi au reste de la planète. Barack Obama sait que les Etats-Unis sont dépendants des pays (la Chine, le Golfe persique) qui ont financé leur irresponsabilité fiscale ou énergétique. Il a pris la mesure des réaménagements qui se sont opérés dans les rapports de force mondiaux avec l’émergence de puissances comme la Chine, le Brésil et l’Inde, le « retour » de la Russie et la constitution d’un pôle antiaméricain très remuant (Venezuela, Iran, etc.). Même s’il a choisi à ce jour d’accroître la présence militaire américaine en Afghanistan, il est conscient des limites de l’emploi de la force dans le contexte de pareils conflits complexes que les analystes les plus burinés qualifient d’«ingagnables».

Le discours d’Obama est dès lors radicalement différent de celui de son prédécesseur. La restauration de l’Etat de droit aux Etats-Unis et l’acceptation de la complexité du monde produisent d’autres mots -multilatéralisme, dialogue, ouverture – et l’abandon du langage purement guerrier dans la lutte contre le terrorisme.

Deux politologues renommés, John Hulsman et Anatol Lieven, parlent à ce propos de « réalisme éthique ». D’autres diront plus simplement que Barack Obama a brisé le siège que l’administration Bush avait établi contre l’intelligence et la raison.

« Un nuage d’idéologie ignare, d’anti-intellectualisme, de copinage, d’incompétence et de cynisme a enveloppé pendant 8 ans le pouvoir exécutif américain, écrit Brian Urquhart dans la New York Review of Books. Ce brouillard est en train de se dissiper ». Il révèle un pays affaibli économiquement, diplomatiquement, par une administration républicaine qui avait promis de restaurer la puissance américaine. Il laisse entrevoir une route défoncée au milieu d’un champ de mines.

Jean-Paul Marthoz

Jean-Paul Marthoz

Jean-Paul Marthoz, chroniqueur de politique internationale au journal Le Soir (Bruxelles), professeur de journalisme international à l’Université catholique de Louvain, auteur notamment de : « La liberté sinon rien », et de  » Mes Amériques de Bastogne à Bagdad ».

Jean-Paul Marthoz

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