L’Istom, école des futurs acteurs de la solidarité internationale

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Quand on rencontre les étudiants de l’Istom (Institut Supérieur Technique d’Outre-Mer) à Cergy, on se croit arrivé dans un autre monde. Un monde où les cheveux sont longs, les couleurs vives, les cuisines remplies d’épices et les mains vertes. Des hippies, pensera-t-on immédiatement, des personnes qui ne se soucient pas des réalités. Mais ce serait mal connaître leur engagement et leur implication quotidienne à défendre des valeurs humaines alliées à de nombreuses connaissances théoriques et pratiques.

Rien ne destinait l’Istom à former des jeunes à l’ingénierie agronome appliqué au développement durable et à la solidarité internationale. L’école, fondée en 1908 au Havre, avait pour vocation de répondre à la demande de recrues des grandes entreprises exploitant le coton en Afrique de l’Ouest. « C’était pour ainsi dire l’école des cotonniers », précise Gérald Liscia, enseignant-chercheur à l’Istom et directeur des programmes. « Au départ, elle fournissait des compétences pratiques puis elle est  sortie des techniques agricoles, tout en passant du statut consulaire au privé. » L’Istom a quitté Le Havre en 1991 pour s’installer à Cergy sous le nom d’Ecole Supérieure d’Agro-développement International, que l’on retrouve aujourd’hui à l’Institut Polytechnique Saint-Louis. Ce n’est qu’en 2004 que la Commission des Titres d’Ingénieur habilite l’école à fournir des diplômes d’ingénieurs. « Ces dix dernières années, le nombre de professeurs a augmenté et la formation a été normalisée, ce qui se ressent sur sa qualité », estime Gérald Liscia.

Aujourd’hui, l’Istom vise à former des cadres d’entreprises travaillant dans les filières agricoles des pays du sud, de la production au négoce. Selon l’enseignant, « l’étudiant istomien est généralement issu d’une filière scientifique, veut voyager et se rendre utile au monde. Ce n’est pas forcément le meilleur scientifique mais il est ouvert, curieux, engagé et se reconnait dans le développement. Il a envie d’ouvrir son étude des sciences à une complexité plus grande, à des réflexions socio-économiques. » Les étudiants de l’école peuvent entrer directement en première ou en deuxième année sur concours, mais sont également admis en parallèle les élèves issus de prépa, BTS, DUT et licence.

Une école ouverte aux différentes pratiques
de l’ingénierie et de la solidarité

Etudier à l’Istom semble être une vocation pour les personnes qui passent le concours. A l’image d’Etienne Prolhac, en cinquième année spécialité Territoires, risques et aménagement, venu d’un lycée agricole et pour qui le choix de cette formation a été évident : « J’avais eu une expérience humanitaire au Sénégal qui m’a poussé à réfléchir sur le néocolonialisme de ce milieu. Quand j’ai entendu parler d’une école qui pouvait répondre aux questions que je me posais, je suis allé aux portes ouvertes et l’ambiance m’a convaincu », explique l’étudiant.

L’origine des étudiants est donc plutôt diversifiée, pour un parcours très dense en cinq ans. Les première et deuxième années correspondent à une sorte de « prépa intégrée », comprenant les sciences fondamentales de l’ingénieur (mathématiques, biologie…) ainsi que des spécialités (agronomie, environnement…) et des sciences économiques et sociales. A la fin de la deuxième année, les élèves réalisent un stage en agriculture. Ce n’est qu’en troisième année que « les choses sérieuses commencent » aux dires de Gérald Liscia, avec le premier stage à l’international (de trois mois) et la préparation de la MJE(Mission Jeune Expert, voir encadré ci-dessous) qui occupe un an et demi des étudiants. La cinquième année est dédiée au stage individuel de fin d’études de six mois. « A partir de la troisième année, les enjeux deviennent réels, comme avec la MJE où les étudiants ont un commanditaire et un projet réel avec le suivi du corps enseignant. Les dernières années servent également à construire son réseau et son CV, ce qui est indispensable à une arrivée réussie sur le marché professionnel », détaille Gérald Liscia.

Des expériences pratiques tout au long de la formation

Ce sont effectivement les enjeux « réels » qui semblent intéresser les étudiants. Etienne n’a commencé à apprécier vraiment la formation qu’avec le début des stages et projets professionnels. « J’ai fait un stage agricole en Savoie à la fin de ma deuxième année et un voyage non-encadré à Madagascar dans une association de préservation des réserves naturelles », raconte-t-il. « Ce sont mes premières expériences professionnelles, la première fois que l’on me faisait confiance et que j’avais des responsabilités. » C’est aussi de cette façon qu’il approfondit sa vision de la solidarité internationale. « On payait 300 euros par mois pour ne rien faire, l’association nous avait envoyé dans le mauvais village et on a réalisé que c’était une couverture de la président de l’association, qui de Marseille se servait des stagiaires pour envoyer de l’argent à sa famille. » Une telle expérience pourrait décourager n’importe quel personne engagée dans la solidarité internationale, mais les étudiants de l’Istom savent que cela fait partie des risques du métier : « Nous avons choisi de tirer parti de la situation et de lancer un projet d’achat et de revente de semences adaptées aux besoins locaux ».

En troisième année, Etienne se rend trois au mois au Kenya dans une ferme d’aquaculture : « J’ai modélisé un système de production et réalisé des prévisions financières avec une étude de marché, c’était intéressant de voir comment fonctionnait une activité génératrice de revenus et de rencontrer les employés locaux, de travailler avec eux ».

Concernant sa Mission Jeune Expert (voir encadré), l’étudiant a été moins chanceux : « Mon groupe devait diagnostiquer les usages qui dégradent les forêts au Maroc, en Algérie, au Liban, en Turquie et en Tunisie pour le « projet plan Bleu » de l’Office National des Forêts, mais il y avait tellement de monde impliqué que cela a été impossible à coordonner, et donc on s’est retrouvés un mois avant le départ à ne rien avoir », regrette-t-il. « Heureusement, l’Istom a contacté le réseau des anciens et nous avons finalement réalisé une mission pour GDF Suez en France. On a travaillé dans l’urgence mais au final, le commanditaire a été plutôt satisfait et nous avons appris de nouvelles techniques. » Et de constater : « Nous avons une formation pluridisciplinaire, on n’est excellents nulle part mais bons partout, ce qui nous rend très adaptables, et vues les conditions de vie de certains stages, je pense que l’on sera capables de se débrouiller dans n’importe quelle condition ! ».

Les étudiants sont amenés à « avoir une vie professionnelle passionnante, ouverte sur l’étranger, avec de nombreuses expériences intéressantes », selon Gérald Liscia. Une formation qui a un coût : 4500 euros l’année. L’enseignant décrit le prix comme « moyen par rapport aux autres écoles d’ingénieur ». L’Istom accepte les boursiers, et propose aussi des bourses internes pour les étudiants aux situations particulières, attribuées sur critères sociaux. « Nous restons très vigilants à ne pas augmenter les frais de scolarité, car c’est vrai qu’avec le travail qu’on leur demande et les stages à l’étranger, il leur est difficile de s’autofinancer en travaillant à côté », ajoute-t-il.

Une formation technique basée sur la réflexion

L’Istom, contrairement au formatage dénoncé dans la plupart des grandes écoles, ne défend pas une vision unique du développement mais un parti-pris que l’enseignant qualifie d’ « original » : « L’ingénieur istomien travaille souvent directement avec les bénéficiaires de son projet, il est donc impliqué consciemment dans un processus qui affecte les sociétés et les communautés. Il est donc indispensable à nos étudiants de s’appuyer sur un diagnostic des dimensions économique, politique et sociale des groupes sociaux qu’ils côtoient », explique-t-il.

« La culture est un instrument dont s’emparent les groupes sociaux pour la mobiliser, nous tâchons de sortir nos étudiants de la vision standard de la culture, de leur faire comprendre que celle-ci, comme toutes les abstractions, n’explique rien mais à au contraire besoin d’être expliquée ». Cette ouverture à la réflexion se veut toutefois sans prétention, comme tient à souligner Gérald Liscia : « Notre travail c’est de les aider à comprendre les termes du débat, de les aider à se positionner mais sans verser dans l’idéologie. L’important est qu’ils deviennent des ingénieurs éclairés et libres d’opinion, mentalement robustes et capables de produire un travail scientifiquement fiable. »

Etienne rejoint l’opinion de l’enseignant lorsqu’il revient sur la formation à la fois pratique et théorique dispensée par l’Istom : « Grâce aux connaissances que j’ai acquises, je regarde les choses différemment, j’essaye de comprendre ce qui se passe derrière différents milieux ». Il s’estime aussi plutôt confiant pour son avenir : « J’ai pu savoir ce qui me plaisait le plus, j’ai appris à travailler en groupe, à faire des compromis, et je me sens préparé », même si l’aspect financier l’inquiète : « c’est un milieu spécifique, avec beaucoup de volontariat, c’est très dur d’en vivre ». En-dehors des cours et des stages, l’aspect humain de la vie istomienne l’a profondément marqué : « J’ai rencontré plein de gens qui partagent mes idées et avec qui j’ai pu les faire mûrir, nous discutons tout le temps de tout ! Les étudiants viennent de partout et ça te pousse à tout remettre en question en permanence, ce qui est très intéressant », expose le jeune homme.

L’Istom : un univers clos

De fait, la socialisation joue un grand rôle pour les étudiants de l’Istom. A l’instar des grandes écoles blâmées pour leur bizutage brutal, l’intégration est dans cette école très « soft ». « Nous avons une association chargée de l’intégration des nouveaux étudiants et qui organise des soirées basées sur le partage et la rencontre, comme les « home parties » où chacun est invité à découvrir les maisons et les appartements des étudiants plus âgés, et l’ambiance est très décontractée. Personne ne juge au premier abord », détaille Etienne. Une atmosphère bon enfant qui n’est pas sans double tranchant, comme l’explique l’étudiant : « Les istomiens sont assez fermés sur l’extérieur, il existe un tel sentiment d’appartenance à l’école qu’il nous pousse à vivre autour de notre nombril, sans rencontrer les autres étudiants de Cergy. C’est tout un mode de vie ! ». Ce mode de vie est quasiment familial, avec un réseau cergyssois de colocations où « la porte est toujours ouverte », selon Etienne : « On peut être accueilli à toute heure n’importe où, c’est très communautariste, ce qui fait que certaines personnes ne s’y retrouvent pas ».

Au cœur de ces relations amicales réside un réseau associatif plutôt important pour une école d’ingénieurs. Environ une dizaine d’associations sont très actives au sein de l’école, comme l’association Eden  qu’Etienne a aidé à relancer lors de sa première année : « C’est une organisation pour les passionnés de plantes exotiques, nous avons des serres à gérer et nous animons le salon Edenia, qui est le plus grand salon réservé aux amateurs de plantes de l’ouest parisien », explique-t-il. Le réseau istomien compte aussi une troupe de théâtre, Passe à L’acte, une association d’échanges culturels entre la France et l’Afrique qui réalise un festival chaque année, le festival Uksa, une fanfare appelée la Smecta Tourista Orchestra, une AMAP locale (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), et d’autres plus ou moins bien implantées.

A la fin de cinq années de formation, la promesse
de débouchés variés

En plus de cette diversité associative, les étudiants ont le choix en cinquième année entre onze spécialités, dont sept dans d’autres écoles d’ingénieurs situés à Lille, Angers, Montpellier, Lyon, Toulouse et Cranfield. Le choix est relativement vaste, avec entre autres des spécialisations en développement agricole et financement, productions végétales tropicales, développement agricole et agrobusiness, et gestion de l’eau. Les débouchés sont très larges, avec des activités professionnelles allant « du champ à l’assiette », affirme Marie-Pierre Guerra, responsable relations entreprises de l’Istom. « Le réseau des anciens élèves joue beaucoup dans la recherche de stages et du premier emploi, en majorité à l’étranger. » Un parcours professionnalisant qui semble porter ses fruits : selon l’enquête métier réalisée en 2011 par l’Istom, 78% des étudiants travaillaient six mois après leur sortie de l’école.

Comme la plupart des étudiants de l’Istom, Etienne se destine à l’expatriation : « Pour l’instant, je cherche à faire mon stage de fin d’études en Amérique Latine en aménagement du territoire, de préférence un stage rémunéré mais ce n’est pas évident ! Le reste dépendra beaucoup de cette dernière expérience, mais je cherche en priorité à travailler à l’étranger, de préférence à un endroit où l’intégration est plus ou moins facile, où je n’aurai pas de trop grand fossé avec la population ». Aujourd’hui, il aborde également sa carrière future sous un angle différent, plus mûr : « La solidarité internationale c’est du grand n’importe quoi, très hypocrite car cela manque de cohérence, c’est une expression fourre-tout », estime Etienne. « Je suis dégoûté par les grosses structures qui font de l’aide d’urgence sans connaître les besoins réels d’une population, par exemple certaines personnes envoient pour 2000 euros de tables dans des containers au Sénégal alors que les artisans locaux pouvaient les construire ! Désormais, je sais que je vais me diriger vers des activités où l’on me permettra d’établir des diagnostics sur les ressources et les besoins d’un milieu. »

 

 La MJE, point d’orgue de la formation

Entretien avec Clémentine Blondon, élève en quatrième année de l’Istom.

Qu’est-ce que la MJE?

La MJE, Mission Jeunes Experts, est une étude que nous devons réaliser entre la 4ème et la 5ème année, par groupe de 9 ou 10. Après la constitution des groupes, la première étape est de trouver un commanditaire, qui peut être une ONG, une entreprise ou un organisme public ayant besoin d’une étude d’impact d’un projet réalisé, une étude de marché ou de faisabilité. Nous avons ensuite toute la 4ème année pour préparer l’étude, faire des recherches bibliographiques, mettre au point la méthodologie et la logistique de l’étude, et nous partons entre un et deux mois sur le terrain pour la mission proprement dite.

Le plus dur est de trouver le commanditaire et les fonds nécessaire, car peu de commanditaires financent entièrement l’étude. La MJE est un moment-clé de notre cursus, du fait que nous travaillons une année entière dessus, avec plusieurs soutenances à présenter à l’école pendant l’année, en fonction de notre avancement.

 Qu’est-ce que cette expérience est censée t’apporter?

L’intérêt dela MJE est d’apprendre à monter un projet de A à Z (formulation de projet, recherche de financements et de partenaires, méthodologie, logistique), ce qui nous prépare à nos futurs métiers dans le développement. Cela nous apprend également à travailler en équipe, ce qui n’est pas toujours une mince affaire.

On sait que l’on sera confronté à ce type de situation dans le milieu professionnel, alors il faut bien s’y frotter un jour. Ce n’est pas notre premier travail en groupe, mais c’est de loin le plus long et le plus lourd. On apprend à être patient et diplomate, à jeter l’éponge sur les petites disputes et les désaccords. Il est souvent difficile de trouver un juste milieu entre pas assez et trop de réunions pour arriver à faire un bon travail et à avancer vite, tout en ayant l’occasion de pouvoir s’aérer un peu la tête avec d’autres personnes.

En revanche, ça ne fait que quelques années que ce travail a été ajouté dans notre cursus, et tout n’est pas encore au point. Par exemple, les nombreux groupes qui ne trouvent pas rapidement leur commanditaire doivent quand même passer les soutenances imposées par l’école sur des sujets fictifs, ce qui représente une grande perte de temps.

 Quelle est la composition de ton groupe?

Nous sommes neuf dans mon groupe, et c’est un groupe assez hétéroclite, du fait qu’on ne s’est pas regroupés entre amis. Je trouve que cela a été un bon choix, car on travaille de manière plus professionnelle. L’ambiance est plutôt bonne, même s’il y a régulièrement des tensions, ce qui semble assez inévitable ! Comme dans toute équipe, on a des éléments leaders et des éléments suiveurs, malgré tout on ne gère pas trop mal la répartition du travail.

Quelle est votre projet ?

Nous partons cet été en Bolivie avec une petite ONG bolivienne, Isa Bolivia, pour faire une étude sur l’impact du changement climatique sur les producteurs de la région de Cochabamba. C’est un sujet d’étude aussi intéressant que complexe, et nous avons encore pas mal de travail avant d’arriver à le définir clairement. Ce qui nous plaît dans ce projet, c’est qu’il a une dimension sociale, économique et environnementale, et qu’il est commandé par une petite ONG locale, mais si cela implique que nous devons rechercher plus de financements, car elle n’est évidemment pas en mesure de financer la totalité de l’étude.

 

 

Florence Massena

Florence Massena

Florence Massena est journaliste indépendante.

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