Pérou – Haïti : les promesses de l’“antisystème”

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Depuis le mois de mai, Michel Martelly est à la tête d’Haïti… Et depuis dimanche 5 juin Ollanta Humala dirige le Pérou… Deux personnages atypiques. Pour quelle politique ?

Le haïtien Michel Martelly et le péruvien Ollanta Humala sont, sans conteste, les figures politiques émergentes de l’année 2011. Quelques correspondances sont mêmes repérables entre deux hommes se revendiquant de la rupture, et dont la relation avec ce que l’on nomme la société civile pourrait bien révéler le véritable tempérament. Quitte à confirmer ou faire mentir une image parfois retaillée en cours de campagne.

Une notoriété déjà acquise en dehors de la politique a évidemment servi au nouvel élu d’Haïti comme au favori du scrutin péruvien pour briguer le rang suprême au nom de l’“antisystème”.  Les premiers pas sont pourtant sans commune mesure. Militaire, Ollanta Humala surgit une première fois sur le devant de la scène à son corps défendant, au plus fort de la grande offensive contre le Sentier lumineux.

Passé capitaine à 29 ans, en 1991, il se distingue un an plus tard dans la sinistre opération Cuchara destinée à briser les liens entre la guérilla maoïste et certaines communautés paysannes. La manœuvre se paye de graves violations des droits de l’homme dont le jeune officier sera comptable. La même époque est nettement plus prospère pour un Michel Martelly qui s’adjuge bien avant la place de président d’Haïti le surnom de “président du compas”, variété populaire du cru, à la tête de son groupe “Sweet Micky”.

Néanmoins, les deux hommes partagent à bonne distance une imprégnation identitaire qui influe sur leur parcours. Elle passe par la culture chez Martelly, alors icône d’une créolité décomplexée, épanouie et rentable. Par la théorie politique chez Humala, le métis d’indien, qui s’inscrit dans la filiation de la doctrine dite de l’ethnocacérisme née à la fin XIXe siècle, où la référence à l’âge d’or de l’empire inca se prolonge dans la revanche de l’homme à peau “cuivrée” sur l’ancien colon.

C’est à l’appui de cette idéologie que le capitaine promu lieutenant-colonel tente, en 2000 et à contretemps, un soulèvement contre le président péruvien Alberto Fujimori en bout de course, dont les mesures ultralibérales et l’auto coup d’État ont essoré le pays. Partie du Venezuela, l’équipée emprunte pour beaucoup à la tentative de putsch de 1992 d’un autre lieutenant-colonel, Hugo Chávez, contre le non moins contesté Carlos Andrés Pérez.

La référence pèsera sur le futur candidat mais elle marque enfin son entrée en politique. Moins affirmée, celle de Michel Martelly contient sa part d’ombre. Avant la gloire en chanson, le crooner avait pris sa carte dans les années 80 parmi les sinistres tontons macoute du dictateur Jean-Claude Duvalier. Devenu célèbre, il tisse quelques réseaux politiques dans le sillage du coup d’État de 1991 contre Jean-Bertrand Aristide. La comparaison qui est aujourd’hui faite de lui avec ce dernier, la  doit-elle à la création, en 2008, de la fondation caritative Rose et Blanc destinée aux plus démunis d’Haïti ?

Candidat malheureux à une première présidentielle en 2006, Ollanta Humala a dû céder à son patriotisme inca pour se hisser en tête des suffrages cinq ans plus tard. Le retour de l’histoire se nomme pour lui Keiko Fujimori, fille de et concurrente du 5 juin. L’autre ombre portée, celle d’Hugo Chávez, lui ayant autrefois coûté la victoire, l’homme épouse une social-démocratie ambitieuse qui l’a globalement emporté en Amérique du Sud, du Brésil à l’Argentine mais aussi, en définitive, en Bolivie et en Équateur.

Mais Ollanta Humala donne aussi d’autres gages. Il accepte de débattre devant l’Institut presse et société (IPYS, organisation de défense de la liberté de la presse) sur la question de libertés publiques. Il garantit aussi de laisser une marge aux ONG –  souvent suspectes d’attenter à  la souveraineté nationale (voir l’article paru dans grotius.fr) – tout en restaurant l’État dans la lutte contre la pauvreté.

Michel Martelly, lui, s’embarrasse moins des fantômes de l’histoire récente. Il propose même d’associer à son action les Duvalier et Aristide revenus au pays. Mais quelle action ? Capitalisant sur le séisme du 12 janvier 2010, l’humanitaire Martelly a promis éducation, soins gratuits et relogement pour un million de sinistrés. Les chiffres demeurent flous mais le message est passé auprès d’une population jeune, dégoûtée de sa classe politique et rendue impatiente par les retards à la reconstruction malgré la débauche d’aide extérieure. Contre sa rivale Mirlande Manigat, mais aussi contre cette communauté internationale qui ne fait pas chanter les lendemains,  “Sweet Micky” a gagné et très largement.

Aménagements rassurants dans la rupture pour Ollanta Humala. Rupture accordée aux incertitudes du sort avec Martelly. Haïti n’est pas, sans mauvais jeu de mots, le Pérou et le plus révolutionnaire des deux hommes n’est peut-être pas celui qu’on imagine. Pour quel avenir ?

 

 

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu est Directeur du Bureau Amériques – RSF…………………………………………………………………………….
Benoît Hervieu, Reporteros sin Fronteras, Despacho Américas .