L’élection d’Ollanta Humala à la présidence de la République, le 5 juin 2011, a nourri des espoirs parmi les populations “originaires”. La sociologue Tarcila Rivera, présidente du Centre non gouvernemental des cultures indigènes du Pérou (Chirapaq), dresse néanmoins un bilan mitigé de ce début de mandat en assumant sa part d’autocritique.
“J’ai voulu croire de la même manière en Evo Morales, le président bolivien, parce qu’il a donné force de loi aux droits indigènes. Mais comment faire respecter ces droits dans un contexte économique qui ne change pas ?” s’interroge-t-elle. L’exploitation des ressources naturelles en Bolivie continue de porter préjudice aux indigènes et à leurs territoires. Des contradictions de ce type sont à craindre au Pérou, où la loi dite de “consultation anticipée” vient d’être approuvée. Cette loi accorde aux indigènes un droit d’avis préalable sur tout projet pouvant affecter leurs territoires.
Reste à appliquer la loi et toute la loi. Tarcila Rivera souligne que les indigènes doivent pouvoir être informés le plus complètement possible des questions techniques et des enjeux des projets et note également que le “droit à la consultation” ne vaut pas droit de veto éventuel.
Plus grave, les conflits socio-environnementaux n’ont pas connu de trêve depuis l’arrivée à la présidence de l’ancien lieutenant-colonel formé à la doctrine ethno-cacériste, qui prétendait assurer la revanche de la civilisation inca sur l’héritage colonial. L’opposition des habitants de Cajamarca au projet minier Conga, qui leur fait redouter pollution et prédation de leur eau, a rapidement ébranlé le nouveau pouvoir, l’obligeant à rassurer à la fois les investisseurs miniers étrangers et les populations locales.
Historiquement, Tarcila Rivera n’a pas le sentiment que le mouvement indigène péruvien n’ait jamais reçu le soutien attendu des autorités du pays. Le seul à avoir “levé la tête” aura été, selon elle, le général Juan Velasco Alvarado, pour avoir entrepris une réforme agraire et valorisé le quechua sous son régime autoritaire, de 1968 à 1975. La présidente de Chirapaq voit avantage à “lutter au niveau international” en rappelant d’importantes avancées comme la mise en place du Forum permanent pour les questions indigènes aux Nations Unies, la Déclaration de l’Onu sur les droits des peuples indigènes, la Conférence mondiale de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, ainsi que la Convention n°169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux, dont les articles 6 et 7 consacrent le “droit à la consultation”.
Lucide, Tarcila Rivera estime que l’Etat péruvien a moins cédé sous la pression de ses propres citoyens que sous la contrainte des textes internationaux qu’il a ratifiés. Elle reconnaît en même temps la difficulté des indigènes à s’accorder entre eux sur leur identité et leurs droits. Certains parlent de “race”, considérant la peau “cuivrée” des indigènes boliviens comme un signe de “pureté”. Pour Chirapaq, l’identité indigène “n’est pas une question de couleur mais de culture”.
Dans cette perspective, il s’agit de défendre les arts, les savoirs, les langues et les valeurs transmises par les anciens. Le patrimoine culturel génère malgré tout des interrogations identitaires, à l’heure où de nombreux indigènes naissent et vivent en dehors des communautés rurales traditionnelles. L’identité indigène des jeunes générations, celles des villes et de la globalisation, dépend moins de la transmission des traditions que d’un état de conscience: de jeunes indigènes s’auto définissent comme tels parce qu’ils valorisent cette partie de leur identité. La revendication d’émancipation des femmes portée par Chirapaq s’est, quant à elle, heurtée à des conservatismes au sein même du mouvement indigène, certains tenant le féminisme pour une idée occidentale.
La préoccupation péruvienne pour les indigènes est née de la compassion d’intellectuels et d’artistes péruviens de la première moitié du XXe siècle. Plus tard, les guérillas du Sentier lumineux (maoïste) et du Mouvement Tupac Amaru (guévariste) ont tenté d’instrumentaliser ces populations pour légitimer la violence. C’est pourquoi Tarcila Rivera tient à ce que les indigènes défendent eux-mêmes leurs droits et refuse que quiconque prétende faire leur bonheur à leur place. Malgré des clivages internes. Malgré le soutien nécessaire de réseaux internationaux. “D’où venons-nous et où allons-nous ?”, Tarcila Rivera pose la question aux siens.
Matthias Cougnaud
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